ESPACEAvec ClearSpace-1, l’Europe se lance dans la chasse aux débris spatiaux

Avec ClearSpace-1, l’Europe se lance dans la chasse aux débris spatiaux

ESPACEL’Agence spatiale européenne et la start-up suisse ClearSpace ont signé ce mardi un contrat à 86 millions d’euros afin de lancer, en 2025, un premier chasseur de débris dans l’Espace. Une première mission qui en appelle d’autres de ce type ?
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Depuis Sputnik, premier satellite artificiel lancé en 1957, les agences spatiales estiment le nombre des débris dans l’Espace à 34.000 pour les objets de plus de 10 cm en orbite, à 90.000 pour ceux entre 10 et 1 cm, et à 128 millions pour ceux inférieurs au cm.
  • Ces déchets, dont le nombre croît à mesure que nous envoyons des satellites dans l’Espace, dérangent. En particulier pour les risques de collisions avec des satellites opérationnels.
  • Faut-il songer à capturer ces débris et à les « désorbiter » ? C’est la conviction de l’Agence spatiale européenne et de la start-up suisse ClearSpace. Une mission est en projet et consiste à aller capturer en 2025 le débris Vespa avec un satellite chasseur.

La première mission d’enlèvement d’un débris spatial se précise… Et c’est l’Agence spatiale européenne (ESA) qui en sera aux manettes. Ou plus précisément la startup suisse ClearSpace, choisie pour être à la tête du consortium européen constitué pour l’occasion.

L’ESA s’est déjà exprimée par le passé sur cette mission, tant sur le choix de ClearSpace que sur les budgets alloués. « Ce mardi, on a signé le contrat », indique Luc Piguet, cofondateur et président-directeur-général de ClearSpace, basée à Lausanne. Un contrat de 86 millions d’euros, précise l’ESA, qui voit dans ce projet « non pas un démonstrateur, mais une véritable mission spatiale », pour reprendre les termes de Johann-Dietric Wörner, son directeur.

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Un premier chasseur de débris lancé en 2025

De fait, c’est à la construction d’un véritable chasseur de débris et à la collecte d’un véritable déchet spatial que s’attelle ClearSpace. Le lancement est prévu courant 2025, depuis Kourou (Guyane). Dans le collimateur : Vespa, l’étage supérieur d’une fusée Vega lancée en 2013 et qui erre depuis sur une orbite entre 800 et 600 km de la Terre. L’objet de forme conique, d’une masse de 100 kg, « est ce qu’on met entre deux satellites, dans une fusée, afin de les séparer l’un de l’autre une fois dans l’espace », détaille Muriel Richard, cofondatrice de ClearSpace. Une fois sa mission remplie, Vespa a rejoint la longue liste des débris spatiaux à tourner autour de la Terre depuis le lancement de Spoutnik, premier satellite artificiel, le 4 octobre 1957.

Depuis cette date, 5.990 fusées ont été lancées depuis la Terre et 10.490 satellites mis en orbite. 6.090 sont toujours dans l’Espace, dont près de la moitié sont hors de service. Forcément, le nombre de débris en orbite autour de la Terre augmente en proportion. L’ESA estime leur nombre à 34.000 pour les objets de plus de 10 cm en orbite, à 90.000 pour ceux entre 10 et 1 cm, et à 128 millions pour ceux inférieurs au cm. Leurs origines sont diverses. Ce peut être des restes de lancements, comme Vespa, mais aussi le résultat de l’explosion d’un objet spatial en orbite ou de sa collision avec un autre objet. L’ESA recense plus de 550 d’événements de ce type depuis 1957.

Le risque croissant de collisions

Comme sur Terre, ces déchets dérangent… Certes, à cette altitude, ils n’ont pas d’impact sur la biodiversité. En revanche, le risque qu’ils provoquent des collisions avec des satellites opérationnels existe. Même petits, ils peuvent faire de gros dégâts, insiste Luisa Innocenti, responsable de l’initiative Clean Space de l’ESA. « Ils circulent très vite, de l’ordre de 7 à 10 km par seconde pour un petit débris, détaille-t-elle. Autrement dit, ils font Paris-Marseille en trois minutes. A cette vitesse, en touchant un satellite opérationnel, il peut lui occasionner d’importantes dégradations, voire son explosion. »

L’une de ces collisions a marqué les esprits en 2009, lorsque le satellite de télécommunication Iridium 33 a percuté le satellite russe Kosmos-2251, éteint depuis de longues années. « Les deux unités se sont instantanément pulvérisées en des milliers de débris : plus de 1.500 morceaux de ces satellites sont encore répertoriés en orbite dix ans plus tard », raconte Clubic. C’est cette collision qui est à l’origine de la start-up ClearSpace, raconte d’ailleurs Muriel Richard, à cette époque ingénieur système à l’ Ecole polytechnique Fédérale de Lausanne. « SwissCube, un petit satellite universitaire que nous avions lancé quelques mois après la collusion, s’est retrouvé en partie dans le champ des débris, explique-t-elle. Nous recevions régulièrement des messages d’alertes de l’agence américaine en charge du suivi de ces débris, pour nous prévenir de risques de collisions avec tel ou tel objet. De cette expérience-là, nous avons créé un programme de recherche articulé autour de cette question : comment aller enlever des débris dans l’espace ? »

D’abord observer Vespa, le capturer puis plonger dans l’atmosphère

Depuis, ClearSpace a fait du chemin et est bien partie pour être la première à capturer un « déchet » dans l’Espace. Avec Vespa, l’ESA et la start-up suisse s’attaquent à un débris qu’ils qualifient de « simple ». « Le plus simple en tout cas de la vingtaine d’objets qu’avait proposé de cibler l’ESA, poursuit Muriel Richard. Le plus compliqué étant l’ENVISAT, un satellite [éteint] de 8 tonnes et grand comme un bus scolaire. »

Capturer Vespa ne sera pas pour autant chose aisée. « La difficulté de la mission sera d’approcher un débris qui bouge de façon non contrôlée, indique Luisa Innocenti. La première tâche alors de ClearSpace1 sera d’observer ce débris depuis l’espace, jusqu’à ce qu’il comprenne ses mouvements. » Viendra ensuite la deuxième étape, au cours de laquelle le chasseur de débris devra se rapprocher au plus près de sa cible et la capturer entre ses quatre tentacules. Le tout en évitant de générer, dans l’opération, de nouveaux débris. « Une fois capturé, nous allons utiliser de la propulsion pour freiner ClearSpace1 et son débris, poursuit Muriel Richard. Cette manœuvre permettra de réduire leur altitude et les faire entrer doucement dans l’atmosphère, où ils vont se désintégrer. »

Les prémices de la dépanneuse de l’Espace

Autrement dit, ClearSpace1 ne servira qu’une fois. On pourrait alors se dire que l’investissement est lourd pour un seul débris retiré dans l’espace. « C’est une première mission, le but n’est pas de se limiter à celle-ci », insiste alors Luc Piguet, qui ne perd pas de vue les projets de constellations de satellites – Starlink, OneWev, Iridium… – annoncés pour bientôt et qui prévoient, pour les plus grands, des grappes de plusieurs milliers d'appareils. « L’idée, pour ClearSteam, est de développer des services commerciaux, depuis l’Espace, pour ces opérateurs de constellation », reprend Luc Piguet.

Parmi les services imaginables, Luisa Innocenti évoque, par exemple, des pleins d’ergols [le carburant des satellites] ou des révisions de satellites en orbite pour étendre la durée des missions. Mais ça peut être aussi, très certainement même, l’enlèvement d’un débris jugé à risque. Il reste encore un business model à trouver, concèdent Luc Piguet et Muriel Richard. « Il est absolument clair qu’il faudra arriver, à l’avenir, à ce que nos chasseurs puissent désorbiter plusieurs débris, indique Muriel Richard. L’idée serait que le capteur soit capable de capturer un débris, de le déposer sur une orbite suffisamment basse pour qu’il rentre de lui-même dans l’atmosphère, puis de remonter en chercher un autre, et ainsi de suite jusqu’à cinq ou dix objets… » Une sorte de dépanneuse de l’Espace, autrement dit. La start-up suisse y travaille activement.