VISER LA LUNEPour Claudie Haigneré, «la Lune est une étape intermédiaire» avant Mars

VIDEO. 50 ans de l’Homme sur la Lune: «La Lune est une étape intermédiaire pour l’exploration plus lointaine»

VISER LA LUNEPremière Européenne à être allée dans l’espace, Claudie Haigneré travaille aujourd’hui à la réalisation d’un village lunaire pour le compte de l’Agence spatiale européenne. Elle explique à « 20 Minutes » les enjeux technologiques mais aussi politiques de ce projet
Béatrice Colin

Propos recueillis par Béatrice Colin

L'essentiel

  • Le 20 juillet 1969, Neil Armstrong foulait le sol de la Lune. A l’occasion des 50 ans des premiers pas de l’Homme sur le satellite de la Terre, 20 Minutes vise la Lune avec une série d’articles.
  • L’astronaute française Claudie Haigneré, conseillère du directeur général de l’Agence spatiale européenne, travaille sur la question du village lunaire.
  • Si les projets – publics et privés – avancent, pour celle qui fut la première femme française dans l’espace, du chemin reste à faire notamment sur les questions technologiques, physiologiques mais aussi diplomatiques.

A 12 ans, Claudie Haigneré assiste à l’exploit des astronautes de la mission Apollo 11 sur la Lune. Cinquante ans plus tard, et un séjour dans la station Mir puis dans l’ISS, l’astronaute française planche sur le futur du village lunaire pour le compte de l’Agence spatiale européenne.

Alors que « la course à la Lune » a repris, l’ancienne ministre prône une coopération multilatérale, à la fois entre les nations et les projets publics et privés.

Mais avant de s’installer durablement sur la Lune, pour celle qui fut la première astronaute française à voler à bord de la station spatiale internationale, il faut encore trouver pas mal des solutions techniques.

Quel souvenir gardez-vous des premiers pas de l’homme sur la Lune ?

Claudie Haigneré, à la Cité de l'espace, dont elle est la marraine, est conseillère du directeur général de l'Agence spatiale européenne.
Claudie Haigneré, à la Cité de l'espace, dont elle est la marraine, est conseillère du directeur général de l'Agence spatiale européenne. - B. Colin / 20 Minutes

Ce soir de juillet 1969, j’avais 12 ans, nous étions en vacances dans un camping et la télévision était à l’extérieur. Mon père nous avait donné l’autorisation de passer la soirée à vivre ce moment extraordinaire. Pour moi, je pense que cela a été un moment déterminant dans l’orientation de ma carrière. L’audace à un moment donné de me dire : « Pourquoi pas moi ? Pourquoi ne pas participer à cette aventure ? ». Dans la tête d’un enfant quand quelque chose semble d’impossible devient une réalité, cela ouvre une porte, une fenêtre, c’est ce qui m’a marqué.

Comment expliquez-vous cette fascination de l’homme pour la Lune et l’espace ?

L’espace c’est une frontière, on se dit que si on commence à entrer sur le chemin de l’exploration des limites et des frontières on ne sait pas quel est le bout. On sait bien qu’on a des moyens technologiques qui vont nous permettre de revivre cette aventure extraordinaire de retourner vers la Lune et de préparer ensuite des missions habitées plus lointaines, pourquoi pas la planète Mars. Par étapes, on repousse justement ces limites. On en a besoin, parce qu’on n’a pas tellement d’autres occasions de relever le regard au-delà de l’horizon du quotidien. L’espace permet de nous projeter dans un avenir. Et puis ce sont des conditions très différentes de celles que l’on connaît sur Terre, cela nous oblige à être très créatifs. A penser des solutions qu’il faut impérativement trouver si on envisage d’être sur ce chemin de l’expansion de l’Humanité sur d’autres corps célestes que notre planète Terre.

L’homme a marché sur la Lune pour la première fois il y a 50 ans. Ils sont douze à l’avoir fait de 1969 et 1972, et depuis plus rien. Pourquoi ?

Ce sont de grandes aventures qui mobilisent beaucoup de technologies, de recherches, bien évidemment de moyens financiers et de volontés politiques. L’époque de 1969, c’est celle de la Guerre froide, une compétition entre les Etats-Unis et l’Union soviétique, c’était un contexte politique qui faisait que l’espace était le sujet où il fallait se montrer, être le pionnier pour être celui qui dominerait le monde quelque part. Une fois cette étape franchit, effectivement l’intérêt politique s’est émoussé, puisque la démonstration de l’effet pionnier avait été faite. On est passé à autre chose, on a appris à maîtriser la microgravité, l’orbite basse et c’est vrai qu’il y a 20 ans que nous y sommes dans des stations.

Qu’est ce qui a relancé ce besoin d’y aller à nouveau ?

On se retrouve aujourd’hui de nouveau dans une forme de compétition, de course à la Lune. Quels sont les aiguillons pour les puissances spatiales classiques ? Il y a bien sur les Chinois, on est tous étonnés et admiratifs de ce qu’ils réalisent aujourd’hui avec leurs multiples missions et en particulier « Chang’e 4 » sur la face cachée de la Lune, mais aussi leur planification d’une base scientifique sur la Lune à l’horizon 2030. On sait que ça se fera parce qu’ils ont la technologie et la volonté politique. Nous sommes conscients qu’il y a plusieurs entreprises privées qui ont leur propre projet visionnaire et qui sont en capacité d’avoir des lanceurs et des alunisseurs comme Elon Musk avec Space X et Jezz Bezos avec Amazon et Blue Origin. C’est un aiguillon supplémentaire qui peut être dans l’émulation et pas obligatoirement dans la compétition. Et cette émulation fait que l’objectif est placé haut dans les priorités des agendas politiques.

Est-ce que ce n’est pas frustrant de voir que des milliardaires rêveurs vont très vite comparé aux agences plus classiques ?

On est au XXIe siècle, on est dans une phase de transition, le paysage du spatial est aussi en transition, il y a de nouvelles puissances spatiales institutionnelles et d’autres d’origine privée. Je crois qu’il faut viser la synergie, la coopération multilatérale, et ce n’est pas toujours évident quand on a de grandes puissances qui veulent faire des démonstrations technologiques de puissance. C’est pour cela que je promeus au sein de l’Agence spatiale européenne ce concept intéressant et visionnaire de village lunaire qui a été posé sur la table par le directeur général de l’ESA. Il a dit : « Voilà, on va retourner sur la Lune, y déployer des habitats permanents, y vivre et y travailler, pourquoi ne pas essayer d’y penser en termes de collectif multilatéral ». Il faut essayer de préserver notre bien commun, la Lune, patrimoine de l’Humanité, tout en permettant à des intérêts privés de se développer, que ce soit du tourisme, des activités de recherches et développement technologique, ou l’exploitation de ressources sur la Lune. C’est une chance pour notre Humanité.

Vous planchez sur le village lunaire. C’est pour quand ?

Pour y vivre et pour y travailler, ça nécessite tout une phase robotique pour l’installer. Cette phase se passe à distance, en orbite autour de la Lune pour cartographier, voir où sont les ressources, les glaces d’eau, les bons endroits d’atterrissage. Après il y a des sondes sur la surface de la Lune, celle des Chinois, Chang’e 4, et il va y avoir une sonde indienne d’ici à la fin de l’année. Sur la surface on va commencer à apprendre à utiliser ces ressources in situ, car on ne va pas amener toujours tout depuis la Terre si on envisage de s’y installer. Cette phase-là il faut l’apprendre en automatique. Et ces missions-là elles sont programmées en 2020, 2021. On a l’annonce de 2024 pour le retour d’un premier équipage, c’est ce qu’a indiqué l’administration du président Trump et la NASA. Les Chinois ont annoncé un village scientifique en 2030. L’aventure est lancée, elle pourra être une aventure individualiste ou globale. Ce que je souhaite c’est que l’Europe puisse apporter sa contribution.

Une vue d'artiste du village lunaire sur lequel l'Agence spatiale européenne travaille.
Une vue d'artiste du village lunaire sur lequel l'Agence spatiale européenne travaille. - Foster + Partners / ESA

Techniquement, sait-on déjà comment construire ce village ?

L’Agence spatiale européenne travaille déjà sur des technologies, comme la construction physique des bâtiments lunaires. Nous avons un programme sur l’exploitation des ressources in situ. Que ce soit l’eau glacée pour en extraire l’oxygène et l’hydrogène, ou que ce soit l’exploitation de cette poussière lunaire, le régolite, qui peut fournir de l’oxygène et qui peut être aussi utilisé comme matériaux de construction dans une imprimante 3D pour construire des matériaux protecteurs pour les habitats. C’est vrai qu’au sol nous avons déjà obtenu des résultats, avec à la fois l’utilisation du régolite et son durcissement par l’énergie solaire. On travaille sur des alunisseurs avec des agences publiques. Mais nous sommes aussi dans des entreprises privées et des start-up pour qu’ils s’emparent du sujet.

Est-ce que l’homme peut physiquement rester sur la Lune sur une période longue ?

C’est une question importante parce qu’on a beaucoup parlé de l’exploration habitée sur la planète Mars. Il y a cinq ans, on ne parlait que de cela, on envisageait à peine l’étape lunaire intermédiaire. On s’est aperçu que par rapport à l’homme, dans l’exploration habitée, il y avait plein de problèmes non résolus. La Lune c’est aussi ça, une étape intermédiaire pour se préparer à l’exploration plus lointaine. Sur le sol lunaire, nous ne sommes pas en microgravité comme dans la station spatiale internationale, il y en a un petit peu, un sixième de la gravité terrestre. Est-ce suffisant pour faire en sorte que le système cardio-vasculaire, les muscles, les os soient capables sur de très longues durées de vivre dans ces conditions, et puis de revenir sur Terre. Il y a aussi le sujet majeur des radiations. Quand on est en orbite basse, à 400 km au-dessus de la Terre, on est encore protégé par les champs magnétiques terrestres et des radiations les plus agressives, ce qui ne sera pas le cas sur missions lunaires et martiennes. Il faut trouver comment protéger l’organisme. Du coup se pose aussi la question, faut-il enfouir les habitats. L’une des questions essentielle est celle de l’autonomie, d’être capable de l’être dans sa prise de décision. Cela veut dire être assisté par des intelligences artificielles. Il y aura beaucoup de robots et peu d’hommes, on a des solutions techniques et des réflexions qui nous permettent d’envisager dans la décennie qui vient des séjours de longue durée sur la surface lunaire. On ne sera pas encore en autonomie, bien évidemment, on sera en semi-autonomie dans les années 2030 à 2040. Et en autonomie après 2040.

Le projet de village lunaire imaginé par l'Agence spatiale européenne en partenariat avec avec l'agence d'architecture Foster + Partners.
Le projet de village lunaire imaginé par l'Agence spatiale européenne en partenariat avec avec l'agence d'architecture Foster + Partners. - Foster + Partners / ESA

Notre dossier sur la Lune

Le 21 juillet, vous serez à la Cité de l’Espace, dont vous êtes la marraine. C’est important de transmettre au grand public, et en particulier aux enfants ?

Ce que j’essaie de transmettre aux enfants c’est qu’il trouve en eux ce qui leur donne du désir, qui peut parfois être un rêve et qui résonne très profondément. Il faut se mettre en route, cela veut dire parfois vaincre des clichés, des stéréotypes, en particulier pour les jeunes filles. Au contraire se dire pourquoi pas. Il faut se donner les moyens de réussir, mais la première étape, c’est de franchir les obstacles. Je leur dis souvent qu’on a tous des limites, mais on ne sait pas quelles sont ces limites et ce ne sont pas aux autres de les fixer.