INTERVIEWLa nouvelle guerre des étoiles est-elle une bonne nouvelle ?

Espace: «L’arrivée de nouvelles puissances spatiales est une bonne chose»

INTERVIEWDans la nuit de jeudi à vendredi, Israël a tenté de poser une sonde sur la Lune. C’est manqué, mais le pays promet de réessayer. Qui sont ces nouvelles puissances spatiales ? Faut-il s’inquiéter de leur arrivée ? La géopolitologue Isabelle Sourbes-Verger répond à « 20 Minutes »
Cette photo publiée par SpaceX le 21 février 2019 montre un Falcon 9 en train de lancer le satellite Nusantara Satu en orbite à partir du Complexe de lancement spatial 40 (SLC-40). A son bord, le vaisseau spatial israélien Beresheet.
Cette photo publiée par SpaceX le 21 février 2019 montre un Falcon 9 en train de lancer le satellite Nusantara Satu en orbite à partir du Complexe de lancement spatial 40 (SLC-40). A son bord, le vaisseau spatial israélien Beresheet. - HO / SPACEX / AFP
Fabrice Pouliquen

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • L’Inde, la Chine, les Emirats arabes unis… Ces dernières années, de nouvelles nations ont affiché de fortes ambitions spatiales, voire déjà réalisés des gros coups. Israël a tenté d’élargir ce cercle la nuit dernière en tentant de poser une sonde sur la Lune.
  • Il est loin le temps où les Etats-Unis et l’URSS menaient seuls la guerre des étoiles. Une soixantaine de pays ont aujourd’hui une agence spatiale. Les Etats-Unis restent « l’hyperpuissance », rappelle sabelle Sourbes-Verger. Mais derrière, ça se bouscule. ​
  • Faut-il s’en inquiéter ? Pour la géographe du Centre Alexandre-Koyré, cet agrandissement du cercle est dans l’ensemble une bonne nouvelle.

Une panne moteur à quelques kilomètres de la Lune, suivie, très certainement, d’un crash à la surface de notre satellite… Rageant. Israël a raté le coche la nuit dernière en ne réussissant pas à poser sur la Lune la sonde Beresheet, un appareil de 585 kg ressemblant à une araignée à cinq pattes.

Israël serait devenu le quatrième pays à y parvenir, après les Etats-Unis, la Russie et la Chine. Il reste tout de même des lots de consolation. Beresheet restera dans l’Histoire comme la première sonde développée et financée par des fonds privés. Surtout, elle a contribué à ouvrir un peu plus encore la conquête de l’Espace, Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, réfléchissant désormais à lancer un programme spatial national.

Le 27 mars, c’était l’Inde qui faisait parler d’elle en détruisant par un missile l’un de ses satellites en orbite. Le 3 janvier, c’était la Chine, en parvenant à poser l’ atterrisseur Chang’e-4, chargé d’un petit rover, sur la face cachée de la Lune, permettant au pays de signer sa « première spatiale ».

Qui sont ces nouvelles puissances spatiales ? Faut-il se féliciter de l’arrivée de ces nouveaux venus bousculant l’hégémonie américaine ? Comment la France tire son épingle du jeu dans ce nouveau contexte ? Isabelle Sourbes-Verger, géographe spécialiste de géopolitique spatiale au Centre Alexandre-Koyré (CNRS), répond aux questions de 20 Minutes.

Que des entreprises israéliennes puissent concevoir une sonde spatiale comme Beressheet était inimaginable il y a quelques années encore. Que penser de cet événement ?

Il y a aujourd’hui une démocratisation du domaine spatial, c’est certain. Les technologies se simplifient, leurs coûts baissent et de nombreux acteurs -relativement ouverts et disponibles- sont aujourd’hui capables de lancer des satellites. Tout cela contribue à élargir le club spatial et à permettre à des nouveaux acteurs -publics ou privés- de mener des projets d’utilisation de l’espace, voire d’exploration spatiale. L’époque où les Etats-Unis et l’URSS faisaient seuls la course sur fond de guerre froide est bel et bien révolue. Une soixantaine de pays ont aujourd’hui une agence spatiale. Parfois, Il s’agit seulement d’un bureau créé dans un ministère avec, derrière, une petite équipe d’ingénieurs et/ou de scientifiques qui vont commencer à se familiariser avec les technologies spatiales. Tous ne se lancent donc pas dans la construction de satellites et de lanceurs avec une feuille de route clairement définie. En revanche, parmi les nouveaux venus, certains ont lancé des programmes spatiaux très ambitieux. Comme les Emirats arabes unis, qui ont l’espoir d’atteindre Mars en 2021 [avec le vaisseau spatial non habité Hope].

Quelles sont alors les grandes puissances spatiales aujourd’hui ?

Les Etats-Unis restent une hyperpuissance, incomparable presque aux autres nations. C’est déjà une question de budget. Le pays consacre environ 40 milliards de dollars par an à son programme spatial (civil et militaire), et ceci depuis très longtemps. En comparaison, l’Union européenne [via l’Esa – l’agence spatiale européenne), c’est davantage autour de 9 milliards et la Chine 8 milliards. Vient ensuite la Russie, autour de 4 ou 5 milliards de dollars de dépenses spatiales par an. Il faudrait aussi citer l’Inde (1,8 milliard de dollars) et le Japon (environ 1,2 milliard). On voit bien donc que les Etats-Unis sont un monde à part, avec un budget colossal et des projets hors normes. Ce n’est pas tant un hasard, d’ailleurs, si un entrepreneur comme Elon Musk [PDG de Space X] a éclos aux Etats-Unis.

Mais les budgets ne font pas tout, il faut aussi parler de la maîtrise technologique et scientifique. Le classement n’est alors plus tout à fait le même. Les Etats-Unis restent hors catégorie. L’ESA est un acteur très important également, impliqué dans de nombreuses coopérations spatiales, mais qui développe aussi ses propres programmes comme Copernicus et Galiléo. La Russie, qui dépense relativement peu aujourd’hui dans le domaine spatial, garde malgré tout des points d’excellence. C’est le seul pays qui permet aujourd’hui d’aller sur la station spatiale internationale, ceci depuis que la Nasa a fermé en 2011 la page des « navette shuttle ». Rien que pour ça, la Russie reste un acteur important, même si elle peine aujourd’hui à avoir de grands objectifs définis. Les Russes ne disent pas « on va revenir sur Lune ou aller sur Mars ». La Chine n’a pas encore la maîtrise technologique de la Russie. En revanche, elle a une feuille de route très claire et un budget important qui lui permet de rattraper son retard. Elle veut apprendre progressivement tout ce que les Etats-Unis, la Russie et l’Europe sont parvenus à faire par le passé. En prenant le temps qu’il faut et sans investir exagérément. Elle veut s’installer durablement sur la Lune, ramener des échantillons de sa face cachée. Elle vise Mars également.

Mais faut-il craindre l’arrivée de ces nouveaux acteurs ? Peuvent-ils raviver des tensions, créer de nouveaux conflits ?

Les enjeux sont colossaux, en tout cas. Si des nouveaux pays se mettent au spatial, ce n’est pas seulement pour des questions d’orgueil national. C’est tout simplement parce que l’Espace est désormais une composante indispensable de notre vie quotidienne. Les télécommunications, la navigation par GPS, le domaine militaire passent par les satellites que nous mettons en orbite. Florence Parly, ministre des armées, avait marqué les esprits en septembre dernier en pointant les risques d’une nouvelle guerre de l’Espace et en dénonçant une tentative d’espionnage d’un satellite franco-suisse par un satellite russe.

Il faut avoir conscience de ces risques. Mais l’arrivée de ces nouvelles puissances spatiales est aussi une chance. Plus il y a de pays à maîtriser des technologies spatiales, plus nous aurons des sources diverses d’information, et plus nous prendrons conscience de l’intérêt de préserver l’Espace et de l’urgence d’y ériger des règles précises. La destruction par l’Inde d’un de ses satellites en orbite, dénoncée par plusieurs pays, a par exemple mis en exergue la question des débris spatiaux.

Et la France ? Parvient-elle à tirer son épingle du jeu dans ce nouveau contexte ?

Elle contribue bien entendu aux grands programmes spatiaux de l’Agence spatiale européenne. Et le Cnes [l’agence spatiale française] développe ses propres programmes. L’une de ses caractéristiques est notamment de multiplier les coopérations internationales. Vous avez ainsi souvent, régulièrement, des instruments français à bord de missions spatiales américaines, chinoises, indiennes, japonaises… A l’automne, le Cnes a aussi ouvert un bureau de représentation aux Emirats arabes unis, et en mai dernier, il annonçait un accord de coopération avec l’Australie. Autrement dit, nous essayons de capitaliser sur les éléments d’excellences que nous avons acquis dans les domaines de la science spatiale, où nous sommes très bons. Pour Insight Mars, par exemple, une mission de la Nasa, ce sont des chercheurs français qui ont conçu le sismomètre embarqué par la sonde qui s’est posée sur Mars le 26 novembre dernier. Cet appareil est l’outil principal de la mission. Cette stratégie de coopération me semble judicieuse. Elle permet au Cnes de gagner en crédibilité, de faire vivre ses équipes, mais aussi de monter en compétence.