«Pour le législateur français, la mère porteuse remet en question la notion d'instinct maternel»
INTERVIEW•Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste et auteur de «Famille à tout prix»...Propos recueillis par Prune Antoine (BR)
Alors qu'un rapport sénatorial préconise la légalisation des mères porteuses, 20minutes.fr a interviewé Geneviève Delaisi de Parseval. Psychanalyste française et membre associé de plusieurs Centres d'éthique bio-médicale dans le monde, elle vient de publier «Famille à tout prix» (Ed. Seuil), un ouvrage dans lequel elle dissèque «la cuisine procréative contemporaine». A ses yeux, la révolution familiale est en marche.
Pourquoi l'image des mères porteuses est-elle si sulfureuse?
Pour le législateur français, la réputation sulfureuse des mères porteuses remet en question la notion d'instinct maternel. Dans les années 80, des affaires judiciaires ont défrayé la chronique: on a découvert que, moyennant finances, des femmes étaient capables de «vendre» leurs enfants à des tiers, de les abandonner. Pour prévenir de telles pratiques, le droit français a édicté un principe strict: la mère est «celle qui accouche». En réalité, la gestation pour autrui existe, clandestine et parfois dramatique. Petites annonces désespérées sur des forums, «nounous arnaqueuses» ou insémination «à la maison», certains couples infertiles se disent «prêts à tout» pour avoir un enfant. Il arrive qu'une grand-mère «prête» son utérus à sa fille ou que les couples gays et lesbiens se lancent dans une coparentalité expérimentale.
La gestation pour autrui (GPA) n'est-elle pas psychologiquement dure à vivre?
La procréation médicalement assistée (PMA) est dans l'absolu une manière compliquée d'avoir des enfants. Prenez le don d'ovocytes: cette pratique est complètement banalisée en France alors que son principe est infiniment plus problématique sur le plan psychologique. Une femme se retrouve enceinte d'un enfant qui lui est à demi-étranger, puisque conçu avec les gamètes d'un(e) autre. Même question avec le principe d'anonymat du donneur de sperme: comment fait l'enfant pour retrouver ses racines? Concernant la gestation pour autrui, il faut distinguer si elle se limite à une gestation ou si elle comprend également une conception. La GPA dans sa forme simple, c'est à dire lorsque la femme porte un embryon constitué des gamètes du couple d'intention, est assez peu compliquée: l'expérience montre que dans les pays ayant légalisé la pratique, cela se passe plutôt bien. Le dédommagement financier facilite les choses et un lien très fort se noue souvent entre la mère gestationnelle et la mère d'intention. En Israël, des groupes de parole réunissent les protagonistes autour de leur projet d'enfant. La configuration est plus délicate dans le cas où la femme prête à la fois son ovocyte et son utérus: elle devient à la fois gestatrice et génitrice de l'enfant à venir.
Pensez-vous que la société française est prête à accepter la gestation pour autrui?
A l'heure actuelle, personne ne sait ce que va donner le pourvoi en cassation demandé dans l'affaire de Sylvie et Dominique Pittaro-Menesson. Le jugement rendu en octobre dernier est historique et suscite de nombreux espoirs. Le tourisme procréatif se développe au point de créer des situations inconfortables: où la filiation paternelle peut par exemple être établie mais non celle de la mère. Cela ne peut plus durer. Pour autant, le législateur redoute que cet arrêt ne fasse jurisprudence: cela reviendrait par exemple à autoriser les couples homosexuels à recourir à la GPA alors même que l'adoption homosexuelle est interdite en France - une interdiction qui suscite les foudres du Conseil de l'Europe -. Dans l'Hexagone, c'est tout le droit de la famille qui en serait bousculé. Nos voisins européens ont déjà évolué sur le sujet en Angleterre, en Finlande; l'Espagne est en train de légiférer. Des sondages menés par l'Agence de biomédecine montrent que l'opinion publique est plutôt favorable à la GPA: interrogées, 60% des personnes pensaient que la pratique de la gestation pour autrui était légale et 70% d'entre elles se sont prononcées en faveur d'une légalisation. Les blocages viennent du législateur, pas de la société.