60 ans de la Nasa: L’Agence spatiale américaine a-t-elle encore un avenir ?
INTERVIEW•Soixante ans, ça se fête. C’est le cap passé ce lundi par la Nasa. Quel bilan pour l’agence spatiale américaine ? Et quel avenir ? On en parle avec Olivier Sanguy, de la Cité de l’Espace...Propos recueillis par Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- La Nasa fêtait ce lundi son soixantième anniversaire.
- Créée pour rattraper le retard américain sur la Russie dans le domaine de la conquête spatiale, l’agence spatiale américaine a engrangé de belles réussites. Un premier homme sur la Lune, un premier rover véhicule sur Mars, la visite de toutes les planètes de notre système solaire...
- Mais a-t-elle encore un avenir alors que les entreprises privées, du type Space X, émergent sur le devant de la scène ?
Soixante ans tout juste. La Nasa a passé un cap important ce lundi 1er octobre. Si elle a connu des échecs, l’agence spatiale américaine peut se targuer aussi de belles réussites, dont les premiers pas de l’homme sur la Lune, le 20 juillet 1969, sont la plus spectaculaire.
Que promet la suite ? La Nasa annonce encore des décennies « pleines d’aventures dont seuls les écrivains de science-fiction ont pu rêver et que seule la Nasa et ses partenaires pourront accomplir ». Pour les aventures, oui pas de doutes. Mais l’avenir de l’agence spatiale américaine, lui, reste incertain. Sera-t-elle là encore dans 60 ans ? Olivier Sanguy, rédacteur en chef de la rubrique actualité de la Cité de l’espace, répond à 20 Minutes.
Qu’est-ce qui a poussé, en 1958, à créer la Nasa ?
L’objectif est très clair : rattraper l’Union soviétique en matière de conquête spatiale. Le 4 octobre 1957, les Russes étaient les premiers à envoyer dans l’espace un satellite, Spoutnik 1. On ne s’en rend pas compte aujourd’hui, mais ce fut un choc immense. Beaucoup pensaient que les Etats-Unis seraient les premiers à réussir la prouesse. Moins d’un an plus tard, les Américains créaient la Nasa, le 29 juillet 1958. Celle-ci démarrait donc officiellement ses activités le 1er octobre.
Les Russes ont collectionné de longues années encore les « premières ». Premier homme dans l’espace [Iouri Gargarine, 12 avril 1961], première femme [Valentina Terechkova, le 16 juin 1963] première sortie extra-véhiculaire… Kennedy a rapidement compris que les Etats-Unis avaient perdu la première bataille et qu’il fallait voir plus loin pour reprendre le leadership aux Russes. Ce projet qui permettrait de marquer les esprits serait d’envoyer les premiers hommes sur la Lune.
En quoi la création de la Nasa a permis aux Etats-Unis de rattraper son retard sur les Russes ?
Jusque-là, les Etats-Unis avaient la Naca [National advisory committee for aeronautics]. Il s’agissait donc d’un simple comité de conseils, quand la Nasa, elle, est une véritable agence fédérale avec un programme précis et des fonds dédiés, derrière laquelle tout le monde se range. Ce fut la grande force de la Nasa d’ailleurs : elle a concentré le savoir-faire et l’ingéniosité spatiale américaine sous une bannière et un programme clair : celui de faire marcher un homme sur la Lune et le faire revenir sain et sauf. Dans le même temps, du côté soviétique, il y avait plusieurs bureaux d’études qui se concurrençaient et chacun avait ses soutiens politiques. Cette dispersion des efforts russes leur a coûté la Lune.
Quelles sont les réussites les plus marquantes de la Nasa ?
Le programme Apollo, achevé en 1975 et destiné à explorer la Lune en y envoyant des hommes, en fait forcément partie. « Skylab », une première station spatiale mise en orbite en 1973, a aussi sa place la liste des succès. Les Etats-Unis impulseront aussi la station spatiale internationale (ISS), une station permanente dédiée à la recherche expérimentale et lancée en 1998. Ce programme est aujourd’hui une belle réussite collective à laquelle participent en bonne entente cinq agences spatiales aux méthodes de travail différentes. C’est un petit miracle. Ensuite, il y a tout le programme d’exploration du système solaire de la Nasa. Elle a multiplié les envois sondes, satellites et rover [une sonde spatiale capable de se déplacer]. Elle est la première ainsi à faire atterrir un rover à la surface de Mars [sojourner en 1996], elle est aussi la seule agence spatiale à avoir visité toutes les planètes du système solaire. Il s’agissait parfois de « simple » survol, comme pour Venus. Mais cela reste une performance incroyable. C’est une part très importante du travail de la Nasa et qui a permis d’acquérir de nombreuses données notamment pour le suivi du changement climatique…
Enfin, la Nasa a aussi fait avancer l’aéronautique et ses missions spatiales ont souvent nécessité de puiser dans les technologies sur Terre et de les améliorer. Dans le domaine de l’informatique notamment.
Et les échecs ?
Il y en a eu oui. Un incendie dans la capsule du programme Apollo 1, lors d’un essai au sol, a fait trois morts en 1967. Les explosions enfin des navettes Challenger en 1986, puis Columbia en 2003, toutes deux quelques minutes après leurs décollages, ont fait au total 14 morts et ont convaincu la Nasa que les navettes spatiales restaient des véhicules dangereux.
Le budget alloué à la Nasa n’est plus celui de l’époque Apollo* et la Nasa est aujourd’hui dépendante d’entreprises privées ou d’autres agences spatiales pour réaliser ses programmes… A-t-elle perdu de sa superbe ?
On pourrait le croire oui, mais à mon avis c’est un trompe-l’œil. Elon Musk le rappelle très souvent d’ailleurs : SpaceX n’en serait pas là sans la Nasa et son choix de privatiser la desserte cargo de l’ISS. Les restrictions budgétaires, qui ne concernent pas d’ailleurs que les Etats-Unis, poussent à aller dans cette direction. Il faut s’attendre à l’avenir à ce que la Nasa soit moins une agence spatiale opérationnelle et plus une agence de développement qui, par ses commandes, aident les entreprises spatiales privées à se structurer. Ce rôle est un peu sous-estimé, il est pourtant capital. D’abord parce que la Nasa n’achète pas les yeux fermés ses lanceurs. Elle reste le donneur d’ordre et regarde ce qui est fait dans le détail avec la possibilité de dire à tout moment : « ça, ça ne me plaît pas ». Ensuite, parce que la Nasa, en tant que premier client de ces entreprises privées, fixe encore aujourd’hui le cap à suivre.
Quelles seront alors les prochaines aventures que promet la Nasa ?
Si on parle de ces prochains défis, le premier sera de mieux utiliser son budget alloué. Cet enjeu ne concerne pas que la Nasa alors que la maîtrise des dépenses publiques devient un enjeu primordial. Cela ne concerne pas que les Etats-Unis. Les agences dépendantes des fonds publics doivent montrer qu’elles sont des bons élèves et qu’elle tire le maximum de chaque dollar investi. Ensuite, le programme officiel de la Nasa est de passer l’ISS au privé afin de dégager du budget pour faire une station autour de la Lune espérée pour 2024. Celle-ci permettrait de faire des missions plus complexes, plus proches de celles prévues sur Mars, quitte même à reposer le pied sur la Lune. Mike Pence, le vice-président américain, a clairement évoqué cette possibilité. Tout ce travail sur la Lune vise à acquérir les bases solides pour aller vers Mars dans la décennie 2030.
La Nasa existera-t-elle encore en 2080?
A moins qu’on change complètement de société, je pense qu’il y aura toujours des agences spatiales dans 60 ans. C’est vrai, les initiatives privées sont extraordinaires à l’image de Space X qui, en quelques années, a mis au point un lanceur qui revient et qui est réutilisable. Aucune agence spatiale n’y était parvenue. En revanche, la science fondamentale reste essentiellement à l’initiative des Etats, tout simplement parce que les retours sur investissement sont à long terme. Une société privée n’a pas d’intérêt à les entreprendre, une agence spatiale nationale peut se le permettre en revanche.