INTERVIEWFalcon Heavy, une mégasfusée... mais pour quoi faire?

Espace: «Space X ne vise pas Mars avec le Falcon Heavy»

INTERVIEWMardi, peu avant 22h heure française, SpaceX, la société spatiale d’Elon Musk, a testé avec réussite sa mégafusée, la Falcon Heavy. Mais pour quoi faire au juste ? Jean-Marc Astorg, directeur des lanceurs au Cnes, répond aux questions de « 20 Minutes »…
La fusée Falcon Heavy, de l'entreprise d'Elon Musk Space X, s'élève dans le ciel de Cap Canaveral, en Floride, le 6 février 2018.
La fusée Falcon Heavy, de l'entreprise d'Elon Musk Space X, s'élève dans le ciel de Cap Canaveral, en Floride, le 6 février 2018. - Terry Renna/AP/SIPA
Fabrice Pouliquen

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen

«Merci au nom de SpaceX. Un futur excitant nous attend », répondait mardi, sur Twitter, Elon Musk au président Trump qui le félicitait un peu plus tôt d’avoir montré à son meilleur niveau l’ingéniosité américaine. Indéniablement, le milliardaire sud-africain, à la tête de SpaceX, a frappé un grand coup mardi soir en réalisant avec succès le décollage de sa mégafusée, la plus puissante au monde (mais pas de l’histoire*).

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Mardi, il s’agissait d’un premier test, réalisé quasi à vide avec une simple voiture électrique à son bord. Mais à l’avenir, la fusée Falcon Heavy pourra embarquer jusqu’à 64 tonnes de charge utile en orbite terrestre. C’est trois fois plus qu’Ariane 5 et deux fois plus que la fusée Delta IV de United Launch Alliance, la joint-venture de Lockheed Martin et Boeing.

À quoi donc pourra servir cette nouvelle fusée ? Jean-Marc Astorg, directeur des lanceurs au Cnes (Centre national des études spatiales) répond aux questions de 20 Minutes.

Quel est l’intérêt premier d’un lanceur lourd comme le Falcon Heavy : aller loin dans l’espace ou être capable d’y envoyer un maximum de charge utile ?

Les deux sont liés. Pour atteindre la Lune, et encore plus Mars, il vous faut un lanceur capable d’envoyer beaucoup de masse en orbite basse autour de la Terre. Rappelez-vous le film Apollo 13 : la fusée Saturne V envoie la navette en orbite terrestre basse et ce n’est qu’à ce moment-là que les astronautes allument les moteurs de leurs modules pour viser la Lune. Plus vous êtes capables d’envoyer de masses en orbite basse et plus vous êtes capable d’aller loin.

En juxtaposant au premier étage du Falcon Heavy trois de ses Falcon 9 [un de ses lanceurs moyens], Space X est parvenu à concevoir un lanceur avec une très forte capacité de mise en orbite basse. Assez même pour viser Mars. C’est l’un des projets forts d’Elon Musk : lancer des vols habités vers la planète rouge et y établir même une colonie. Mais il ne le fera pas avec le Falcon Heavy testé mardi. Cette méga-fusée n’a pas été conçue pour le vol habité.

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Pourquoi a-t-il alors développé ce Falcon Heavy ?

Cette mégafusée peut permettre à Space X de décrocher des contrats pour la mise en orbite de certains satellites très lourds. On sait qu’il y a de gros projets spatiaux aux Etats-Unis, notamment militaires, qui nécessiteront de concevoir des satellites assez lourds et donc des lanceurs puissants, du type du Falcon Heavy, pour les expédier dans l’espace.

Et il n’y a pas que les contrats publics américains. Plusieurs entreprises spatiales, dont SpaceX, planchent en ce moment sur des constellations de satellites, de 30 à plusieurs milliers, qui seraient mis en orbite basse terrestre. Les objectifs sont multiples. Certains projets visent à améliorer l’observation de la Terre, l’intérêt d’une constellation de satellites étant de pouvoir prendre des photos d’un même endroit du globe dans un laps de temps très rapproché. D’autres, et c’est le cas du projet porté par SpaceX, visent à connecter le monde entier à l’Internet haut débit. L’entreprise d’Elon Musk veut ainsi mettre en orbite une constellation de près de 4.000 satellites avec des premiers lancements dès 2019.

On ne sait pas encore si ces projets se concrétiseront, mais il y a potentiellement des marchés à prendre et des sommes colossales sont investies. Il ne faudra pas seulement lancer ces satellites, mais aussi les gérer, s’assurer qu’ils n’entrent pas en collision…

Avant la conquête de Mars, qui revient beaucoup dans la communication d’Elon Musk, ce sont la mise en orbite de satellites et les missions qu’elle remplit pour la Nasa, qui font vivre Space X– 8.000 salariés aujourd’hui- au quotidien. Il faut noter que SpaceX bénéficie de forts soutiens publics américains et même d’une loi qui interdit à des satellites gouvernementaux américains d’être lancés sur des lanceurs non américains. C’est « America First » pour l’Espace. Au contre, Ariane se bat sur un marché très concurrentiel et malgré tout reste numéro 1 mondial depuis plus de 30 ans !

Tout de même, avec ce premier test réussi du Falcon Heavy, Elon Musk a-t-il fait un pas de plus dans son projet de vols habités vers Mars ?

C’est le projet de Big Falcon Rocket [surnommé aussi Big Fucking Rocket] (BFR) qu’Elon Musk a présenté en septembre dernier. Avec cette fusée, qui dépasserait la puissance de feu de Saturne V, SpaceX vise la réalisation des vols habités vers Mars même si d'autres applications plus terrestres ont aussi été présentées comme le transport rapide de passagers entre New York et Sidney avec cette fusée. Le lancement réussi mardi de la Falcon Heavy est un pas de plus en effet vers cette BFR. Ou disons plutôt qu’un lancement raté du Falcon Heavy aurait sans doute remis en cause cet autre projet.

Il faut malgré tout avoir en tête que Falcon Heavy et BFR sont deux lanceurs très différents. Le premier est un bricolage à partir de Falcon 9 et fonctionne avec de l’oxygène et du kérosène. Le BFR, à l’inverse, nécessite pour SpaceX de partir de zéro. Ses moteurs fonctionnent à l’oxygène liquide et au méthane. La fusée ne pourra pas être tirée du même pas de tir que mardi. Et puis Elon Musk a annoncé la couleur en déclarant vouloir qu’un voyage vers Mars ne coûte à terme pas plus cher aux Américains que l’achat d’une maison. Autrement dit, le ticket pour Mars ne doit pas coûter plus que 200.000 dollars. Or, SpaceX ne pourra arriver à ce tarif que si elle parvient à récupérer et à réutiliser les deux étages de sa Big Falcon Rocket. C‘est un projet très ambitieux. Elon Musk avance la date de 2025, ça sera sans doute plus 2030.

*Le lanceur Saturne V, développé dans les années 1960 dans le cadre du programme Apollo pour marcher sur la Lune avait une capacité d’envoi de 140 tonnes en orbite basse.