Intelligence, poisson, capacités infinies: Cinq idées reçues sur la mémoire
NEUROSCIENCES•Deux neurologues reviennent sur les mécanismes du souvenir dans notre cerveau…Romain Scotto
Impossible à palper, difficile à quantifier, la mémoire humaine est l’un des domaines d’étude les plus fascinants de la neurologie. A l’occasion de la semaine de la mémoire, du 15 au 21 septembre, ponctuée par la journée mondiale d’Alzheimer, le professeur Francis Eustache, neuropsychologue à Caen, et Stéphane Epelbaum, neurologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, passent en revue certaines idées reçues sur la mémoire.
Les champions de la mémoire ont un don. NON, mais… Quand certains retiennent des listes de chiffres interminables (jusqu’à 2.000), il y a de quoi se poser des questions. Pourtant, le cerveau des «champions» ne serait pas fondamentalement différent de celui des autres. «Ce sont des sportifs de haut niveau hyperspécialisés qui s’entraînent pendant des heures», indique le professeur Eustache. A force, ils développent des automatismes sur des choses invraisemblables.» Rien à voir avec l’amnésie autobiographique, une pathologie. Les personnes atteintes ne synthétisent pas les informations importantes et se souviennent d’informations générales ou personnelles très précises associées à des dates. Même plusieurs années après les événements en question. Et vous, vous faisiez quoi le 14 juin 2002 à 16h34?
Manger du poisson et du chocolat, c'est bon pour la mémoire. NON. Pour Stéphane Epelbaum, il s’agit d’une légende urbaine: «Il n’y a pas d’aliment miracle.» Les médecins affirment juste que l’obésité ou l’hypertension sont des facteurs de risque d’Alzheimer. Le café ou d’autres excitants peuvent temporairement améliorer les capacités attentionnelles et de ce fait, les capacités de mémorisation. Mais ponctuellement. A contrario, l’alcool diminue les capacités attentionnelles. D’où le fameux trou noir après une soirée trop arrosée.
La mémoire est signe d’intelligence. OUI et NON. Tout dépend du sens qu’on donne au mot intelligence. «Une mémoire au sens fort, une disponibilité des connaissances ponctuée d’éléments véridiques, précis, c’est un aliment de l’intelligence», observe Francis Eustache. La mémoire devient un outil au service de l’intelligence dans la mesure où elle alimente la conviction, le raisonnement. «Il ne faut pas un QI de 200 pour cela, poursuit le neurologue. On a le même cerveau aujourd’hui que les hommes de la grotte de Lascaux, mais vu les connaissances qu’on peut acquérir, il se modifie.»
Notre mémoire est infinie. OUI ET NON. Si on parle de mémoire à court terme, nos capacités sont limitées. Quelques minutes ou quelques heures après avoir enregistré l’information, celle-ci s’évapore, à l'image d'une commande de garçon de café. Cette mémoire se travaille et peut être augmentée. Mais elle reste limitée. La mémoire à long terme, elle, est considérée comme quasi infinie dans la mesure où elle comprend toutes les connaissances, tous les événements de vie contextualisés.
Il y a plusieurs types de mémoires. OUI. Au-delà des notions de court et long terme, Stéphane Epelbaum évoque une mémoire déclarative, regroupant ce que l’on peut dire, une mémoire épisodique, relative aux faits, et une mémoire sémantique, en lien avec les connaissances. Il existe enfin une mémoire non déclarative, procédurale, comme le fait de savoir pédaler sur un vélo. Non, ça ne s'oublie pas.
Les mémoires artificielles altèrent nos capacités. OUI. Platon déjà avait une position critique par rapport à l’écriture. Stocker nos connaissances sur papier, puis sur des disques durs, présenterait un risque sur le long terme, selon le professeur Eustache: «C’est l’arroseur arrosé. L’homme a accès facilement aux connaissances et in fine, il risque, s’il n’y prend pas garde, une modification de l’équilibre entre mémoire interne et l’accès à des connaissances externes.» Mais en même temps, qui a envie de se replonger dans ses tables de multiplication quand on a la possibilité de sortir sa calculette?