Les incertitudes de la greffe de visage

Les incertitudes de la greffe de visage

La greffe de visage a peu de chance de rejoindre un jour la liposuccion ou le botox dans l’arsenal des chirurgiens esthétiques.
Yaroslav Pigenet

Yaroslav Pigenet

La greffe de visage a peu de chance de rejoindre un jour la liposuccion ou le botox dans l’arsenal des chirurgiens esthétiques.

Contrairement aux deux greffes partielles de visages précédentes, effectuées en France et en Chine, celle réalisée par le Professeur Lantiéri a bénéficié à un homme de 27 ans défiguré par une maladie et non par accident. Il aura fallu quinze heures d’opération au chirurgien et à son équipe de l’Hôpital Henri Mondor pour enlever les tissus malade, les remplacer par un greffon bouche-nez-joue, et enfin « rebrancher » les nerfs et les vaisseaux du visage. Le patient semble avoir bien supporté l’opération, mais les médecins attendent maintenant de voir comment il va tolérer le traitement immunosuppresseur, indispensable pour éviter le rejet du greffon.

Pas de nouvelles du greffé chinois

En effet, même si selon l’équipe médicale « le donneur et le receveur étaient semi-compatibles, c'est-à-dire qu’ils partageaient la moitié des antigènes de la transplantation », le risque de rejet est assez important durant les premières semaines qui suivent une greffe. On sait par exemple qu’Isabelle Dinoire, la première greffée du visage, a connu, 18 jours, puis six mois après l’opération, deux épisodes de rejet du greffon qui n’ont pu être enrayés que grâce à l’administration massive d’immunodépresseurs. Par ailleurs, hormis quelques photos et l’annonce de sa sortie de l’hôpital fin juillet, on ne sait pas comment se porte le paysan chinois greffé du visage le 14 avril 2006.

De fait, même s’il est maximal dans les jours qui suivent l’opération, le risque de rejet reste important par la suite et nécessite, pour le patient, la prise à vie d’un traitement d’un traitement qui neutralise son système immunitaire pour l’empêcher de s’attaquer au greffon. Un traitement très contraignant et qui a pour effet secondaire de favoriser l’apparition d’infections opportunistes et le développement de cancers. Sans garantie de succès, car la peau est un des organes les plus immunogènes.

Risque de rejet de 50%

A partir des résultats obtenus avec les 18 opérations de greffe de main effectuées jusqu’ici, qui impliquaient la greffe d’une assez grande surface de peau, un récent rapport du Royal College of Surgeon — une sorte de comité d’éthique anglais — estime que le risque de rejet d’un greffon de visage est de 50% au bout de 5 ans. Le rapport rappelle ainsi qu’en cas de rejet aigu, il ne reste plus au chirurgien qu’à retirer le greffon et recouvrir les plaies avec des autogreffes de peau. Le patient se retrouve alors dans une situation plus inconfortable qu’avant l’opération.


Néanmoins, contrairement au Comité Consultatif National d’Ethique qui s’était prononcé en 2004 contre les greffes totales de visage, le comité anglais a décidé en novembre 2006 d’autoriser ce type de greffe sous contrôle strict. Cette annonce a été saluée par plusieurs associations de défigurés anglais. Au même moment, le chirurgien irlandais Peter Butler, qui depuis 2002 affirme la faisabilité des transplantations de visage, a annoncé qu’il allait réaliser une greffe totale dans les prochains mois. 30 patients ont déjà été présélectionnés pour une opération qui aura lieu au Royal Free Hospital de Londres.

Réservés aux cas les plus désespérés

Par ailleurs, le Professeur Devauchelle, qui a opéré Isabelle Dinoire en novembre 2005, a annoncé que plusieurs autres transplantations partielles de visage étaient prévues en 2007 dans son service. Toutefois, modérant l’espoir démesuré suscité par les premiers succès de ces chirurgiens pionniers, les comités d’éthiques rappellent que la greffe du visage est et demeurera encore longtemps une opération à l’issue très incertaine et donc réservée aux cas de défiguration les plus désespérés.