Assouplissement de la loi Evin: Nora Berra dénonce «un coup d'épée dans notre dispositif de lutte contre le tabac»
INTERVIEW•La secrétaire d'Etat à la Santé met en garde contre une idée qui peut paraître séduisante...Propos recueillis par Ingrid Gallou
Alors qu’une proposition de loi visant à assouplir la loi Evin est débattue jeudi à l’Assemblée nationale, Nora Berra, secrétaire d’état à la Santé s’oppose à une éventuelle brèche dans la loi anti-tabac.
La proposition de loi du député PS Didier Mathus propose de «concilier lutte contre la tabagisme et préservation des œuvres culturelles». Sur le papier, l’idée peut paraître séduisante...
On lui a effectivement donné une image séduisante, pour mieux cacher la dangerosité de la démarche. Concilier lutte contre le tabagisme et préservation des œuvres culturelles, bien sûr, sauf que le dispositif contre le tabac n’a compromis l’intégrité d’aucune oeuvre culturelle. Notre patrimoine n’est en rien menacé. D’emblée, cela vous renseigne sur l’inutilité d’une telle loi.
Comment expliquer que les Français aient eu la sensation d’une confiscation de leur patrimoine par la loi Evin, comme lors de la polémique autour de la pipe de Jacques Tati?
La loi Evin n’a jamais imposé de falsifier les œuvres culturelles. C’est une régie publicitaire de droit privé qui est à l’origine de l’effacement de la pipe de Tati. Il faut absolument rétablir la vérité et faire savoir que la loi Evin n’impose pas ce type de censure. Cette initiative privée n’a rien à voir avec le code de santé publique. D’ailleurs, la convention cadre de lutte contre le tabac de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) signée par la France confirme que notre dispositif n’est en rien liberticide et bien compatible avec la liberté de création artistique.
Selon les associations, une première brèche dans la loi Evin serait catastrophique. C’est aussi votre point de vue?
Si elle était votée, elle donnerait, de manière détournée, la possibilité aux industriels du tabac de faire de la publicité. C’est un coup d’épée dans notre dispositif de lutte contre le tabac, alors même que le Haut conseil de la santé publique a émis mardi un avis très défavorable à l’adoption du texte. Je voudrais rappeler que ce sont chaque année 250 000 jeunes qui commencent à fumer. On sait que la moitié d’entre eux mourront des conséquences de ce tabagisme.
Et pourtant, la proposition de loi risque d’être adoptée jeudi...
Elle risque effectivement d’être adoptée, car elle n’est pas passée comme elle aurait dû l’être par une commission des affaires sociales (où les questions de santé publiques sont habituellement débattues), mais a été portée par des députés de la commission des affaires culturelles. C’est une manière astucieuse de porter un texte qui vient entamer un dispositif de santé publique.