« On paye avec deux organismes le même soin » … Faut-il en finir avec les mutuelles ?
Question qui fâche•Le système de complémentaires santé en France est de plus en plus critiqué, alors que les mutuelles coûtent de plus en plus chères et réfléchissent à moins rembourser
Jean-Loup Delmas
L'essentiel
- Les mutuelles augmentent leurs tarifs pour la troisième année consécutive en 2025 tout en réduisant les remboursements, ce qui soulève des questions sur la pertinence du système de complémentaires santé.
- Le système de remboursement à deux niveaux - Sécurité sociale + complémentaires - pour un même soin est critiqué depuis des années pour sa complexité administrative et ses coûts de gestion élevés.
- Un passage à un système « 100 % Sécu » sans complémentaires permettrait, selon de nombreux experts, de réduire les coûts globaux pour les Français tout en assurant une meilleure égalité d’accès aux soins.
Pour la troisième année consécutive, le tarif des mutuelles augmente en 2025. Autre mauvaise surprise, les complémentaires santés réfléchissent à rembourser moins de soins, et moins fréquemment. Dans un entretien aux Echos, Éric Chenut, président de la Fédération de la Mutualité française au quotidien, a exprimé sa volonté de diminuer la prise en charge. Entre autres souhaits, de nouvelles lunettes remboursées tous les trois ans contre deux, les prothèses auditives tous les cinq ans au lieu de quatre, et la fin du remboursement des culottes menstruelles.
Autrement dit, payer toujours plus cher pour toujours moins de services. Bon… Mettons les pieds dans le plat directement : et si on en finissait avec ce système ? En juillet 2021, un rapport de la Cour des comptes tirait à boulets rouges sur les complémentaires santé, jugés « globalement coûteuses » et « parfois inéquitables », tout en entraînant une « superposition de dépenses » pour le citoyen. La même année, le Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance Maladie évoquait l’idée de se passer purement et simplement des mutuelles.
La contre-simplification
Pourquoi 2021 ? En pleine période de Covid, l’Assurance maladie avait exceptionnellement tout pris en charge, comme il est prévu en période de crise. 100 % des vaccins, des tests, des téléconsultations, 100 % remboursé. Le tout via la création d’une taxe Covid d’1 milliard d’euros en 2020 et de 500 millions en 2021. De quoi faire réfléchir pour l’après.
En France actuellement, la Sécurité sociale couvre 80 % des dépenses de santé ; 13 % vont aux complémentaires santé, et les 7 % restants à la charge des ménages. Un système qui interroge. « Pourquoi payer avec deux organismes le même soin ? », s’étrangle Christophe Ramaux, maître de conférences à la Sorbonne et spécialiste de la protection sociale et des politiques économiques. Premier grief : la complexité du procédé, dans un pays qui veut faire de la « simplification » son nouveau cheval de bataille politique. Complexité pour le patient, mais également pour le soignant, atteste Michaël Rochoy, médecin dans l’Est : « Pour nous aussi, c’est une perte de temps, d’énergie et de sens. On doit gérer deux factures, deux remboursements. »
Le coût supplémentaire des frais de gestion
Pour Christophe Ramaux, deux services pour le même soin, cela représente surtout deux fois des frais de gestion, soit « des dépenses inutiles » à ses yeux. D’autant que les complémentaires coûtent très cher en frais de gestion. Ces dépenses représentent entre 16 et 23 % de leur budget, selon les années, chiffre l’expert, contre 4 % pour l’Assurance-maladie. Même attaque mathématique signée Nicolas Da Silva, économiste de la santé : les frais de gestion coûtent environ 7 milliards par an aux complémentaires santé, tout comme ceux de l’Assurance-maladie. Or l’un couvre 80 % des frais de santé, et l’autre 13 %.
« Les complémentaires ne bénéficient pas des effets du monopole de l’Assurance-maladie où tout le monde a le même contrat, où toute la population est adhérente, ce qui entraîne beaucoup moins de frais, explique Nicolas Da Silva. Il y a cette fausse idée selon laquelle le service public est forcément moins efficace que le privé. Mais dans le cas présent, c’est exactement l’inverse. »
« De la pub du Vendée Globe plutôt que de la santé »
Sans oublier un autre poste de dépenses pour les mutuelles : le marketing. « Vu qu’elles sont plusieurs, souvent au choix du client, les mutuelles santés doivent se faire connaître, et donc investir dans la publicité », explique l’économiste. Qui plus est, les mutuelles ne peuvent être ni bénéficiaires, ni déficitaires. Cela signifie qu'« elles voient large en début d’année pour ne pas être dans le rouge, et font donc souvent payer plus que nécessaire », développe Michaël Rochoy. La conséquence ? Souvent un trop-plein perçu, des bénéfices inexploitables qui sont réinsérés dans le marketing. « On peut se demander si cet argent ne serait pas mieux investi dans la santé que dans le naming d’un énième voilier du Vendée Globe », s’amuse le médecin.
Concrètement, « si on passait au 100 % Sécu en supprimant les complémentaires, les Français paieraient certes un peu plus de cotisation santé, mais moins cher au global leur couverture », assure Christophe Ramaux. Dernier reproche, l’aspect non égalitaire : 4 % de la population - 2,6 millions de personnes - ne dispose d’aucune complémentaire, selon l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) en 2022. Parmi eux, 11 % des retraités les plus pauvres et 20 % des chômeurs longue durée, « soit les populations les plus précaires », regrette Christophe Ramaux. Alors, on arrête ?