Les pharmaciens en grève : manifestation de privilégiés ou réel mal-être ?
Mobilisation•Ce jeudi, de nombreuses officines seront fermées en France. La profession est en grève pour divers motifs et des signes de tensions se font sentirThibaut Gagnepain
L'essentiel
- Les pharmaciens français font grève ce jeudi pour réclamer notamment une revalorisation de leurs honoraires à l’Assurance Maladie et s’opposer au projet de vente de médicaments en ligne, susceptible de « démanteler le réseau des pharmacies ».
- De nombreuses officines ferment, notamment en zone rurale, du fait de la désertification médicale, des difficultés à recruter ou des départs à la retraite non remplacés.
- Les syndicats demandent un changement de politique pour maintenir le maillage des pharmacies sur le territoire.
Leur croix ne clignotera pas. Un peu partout en France, des pharmacies vont tirer le rideau ce jeudi. En grève. A l’appel des syndicats, une journée nationale de mobilisation est organisée afin de « préserver le réseau des officines ». « Le mouvement sera massivement suivi », assure à 20 Minutes Philippe Besset, le président de la Fédération des pharmaciens d’officine (FSPF). Il évoque même des départements « avec 100 % de fermetures ». « Mais que la population ne s’inquiète pas : il y aura un service minimum pour les urgences. »
Certains professionnels de santé resteront donc derrière le guichet pendant que d’autres défileront, dans de nombreuses villes. Avec quelles revendications ? « Ce n’est pas une seule mais plusieurs qui nous font penser que le gouvernement veut démanteler le réseau des pharmacies », répond Pierre-Olivier Variot, président, lui, de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (Uspo). Avant de détailler : « La première, ce sont les nombreuses ruptures de médicaments, plus fréquentes que dans les pays voisins. Ensuite, les baisses de marge dans les officines pendant que nos charges explosent. On demande une revalorisation des honoraires à l’Assurance maladie depuis 2018 ! J’ajoute le doute qui entoure la vente de médicaments sur internet. Si Amazon arrive, ce sera la fin de notre réseau. Et enfin, on voudrait que la réforme du 3e cycle des études soit enfin actée… Elle traîne depuis huit ans ! »
Des revenus confortables
Un ensemble de doléances qui traduit un certain mal-être dans la profession. Une question de revenus ? Oui et non. Les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress) l’attestent : les pharmaciens d’officine ne sont pas les plus défavorisés. Dans ce rapport de 2017, les titulaires, c’est-à-dire ceux qui sont propriétaires d’au moins une partie de leur pharmacie, avaient touché en moyenne environ 120.000 euros net en 2014. Soit 10.000 euros par mois.
Leurs adjoints, qui n’ont pas de parts dans la pharmacie, sont eux soumis à des grilles salariales réglementées. Avec comme plus petit coefficient 400, ce qui correspond à près de 2.400 euros net mensuels. Un montant supérieur donc au revenu médian en France, de 1.930 euros net mensuels. « Mais il y a aussi des pharmaciens au Smic », assure Pierre-Olivier Variot, en faisant forcément référence à des titulaires en proie à des difficultés.
« Pas une question de salaire »
Ils existent bien : l’an dernier, « 300 officines ont fermé ». « Depuis 2014, ce sont même 2.000 qui ont disparu et depuis janvier, en est déjà à 100 », précise Philippe Besset. Une large majorité se situe en zone rurale. Avec plusieurs causes de déclin : la désertification médicale du lieu, la difficulté d’attirer du personnel ou tout simplement la retraite des titulaires.
A Puycasquier dans le Gers, Frank Debant vit un peu tout ça. « Je suis dans une zone très rurale et on a perdu un médecin en novembre », détaille le pharmacien. « Forcément, j’ai moins de patients depuis mais ça va encore pour vivre. Le problème, c’est que je ne trouve plus d’assistant. Ce n’est même pas une question de salaire : personne ne veut venir et chez mes confrères alentour, c’est pareil. »
Seul en poste, il a déjà réduit les horaires d’ouverture aux cinq premiers jours de la semaine et fermera cet été pour ses congés. « Et j’arrêterai au 31 janvier 2025 », annonce la blouse blanche, qui a déjà trouvé une solution. « J’ai 59 ans et pour aller jusqu’à la retraite, je ferai des remplacements. Il y a plein de demandes sur des sites, je ne suis pas inquiet. » Son officine, qu’il estime « entre 100.000 à 150.000 euros », c’est-à-dire son chiffre d’affaires annuel, devrait donc définitivement tirer le rideau. A moins qu’un repreneur ne se manifeste… « On m’a dit qu’elle était invendable. Au pire, je vendrai la licence ou je la rendrai, on verra. »
« Un vrai changement de politique »
Son officine devrait, en tout cas, rejoindre la longue liste des disparues. Un argument supplémentaire pour les syndicats. « On demande un vrai changement de politique », confirme le président de la FSPF. « Aujourd’hui, elle vise à fermer les petites pharmacies pour concentrer les grosses dans les centres-villes ou près des centres commerciaux. Or si on veut que le pharmacien soit un professionnel de santé dont l’exercice est en proximité, ça ne peut plus durer. On se bat pour un maintien de notre maillage du territoire. Il faut une position claire du gouvernement à ce sujet. »
Sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, les officines ont vu leur rôle évoluer ces dernières années. Il est désormais possible de s’y faire vacciner, de réaliser des tests, de se faire accompagner dans son traitement… Des nouvelles missions pas toujours bien rémunérées à en croire les syndicats. L’acte vaccinal est aujourd’hui par exemple facturé 7,50 euros à la CPAM contre le prix d’une consultation chez un médecin. « Des revalorisations sont prévues avec l’Assurance maladie mais ce n’est pas encore assez », indique Philippe Besset, plutôt confiant quant à « une issue positive des négociations. »
+ d'infos sur la grève des pharmaciensLes pharmaciens ne sont pas habitués à descendre dans la rue. La dernière grève remonte à 2014, alors que l’ouverture de leur monopole sur la vente des médicaments était menacée. « Notre revenu est aujourd’hui le même qu’il y a douze ans. Quelle profession serait d’accord avec ça ? Partout autour de moi, des confrères me disent qu’ils licencient… On se doit d’agir si on ne veut pas que 20.000 collaborateurs soient sur le carreau », conclut Pierre-Olivier Variot, persuadé que le mouvement passera bien auprès du grand public. « J’en suis convaincu car tout ce qu’on réclame va dans le bon sens. »