Chaque matin, Morgane, 23 ans, se réveillait avec des maux de tête et des douleurs à la mâchoire. Une douleur parfois si intense que la jeune femme n’arrivait plus à ouvrir entièrement la bouche ni à s’alimenter correctement. Et pour cause. Toutes les nuits, sans s’en rendre compte, elle serrait et grinçait des dents. Un grincement tellement fort qu’elle s’en est abîmé les crocs.

Morgane souffre de bruxisme, un symptôme qui consiste à serrer ou à grincer des dents, en journée ou pendant le sommeil. « La plupart des cas sont nocturnes et ont lieu pendant la phase de sommeil paradoxal ce qui rend le phénomène incontrôlable », précise Christophe Lequart, chirurgien-dentiste et porte-parole de l’Union française pour la santé bucco-dentaire (UFSBD).

Les personnes souffrant de bruxisme nocturne n’en ont pas conscience et sont souvent alertées par leurs proches, notamment par leur partenaire qui partage leur lit.

Une hausse depuis le Covid

Certaines personnes consultent leur dentiste à la suite de douleurs aux dents, à la mâchoire, voire après une réorientation d’un ostéopathe en raison d’un mal de dos ou à la nuque. « Sur le plan dentaire, le bruxisme peut entraîner une usure voire des fractures des dents, explique la chirurgienne-dentiste Précilia Ziri. Au niveau articulaire et musculaire, on constate des douleurs, voire des claquements ou des craquements. »

S’il est difficile d’obtenir des chiffres exacts sur le nombre de personnes qui souffrent de bruxisme (autour de 10 % de la population), les dentistes constatent une explosion des consultations pour ce motif, notamment chez les jeunes, ces dernières années.

Un symptôme lié à l’anxiété

Une augmentation qui s’explique notamment par le fait que le grand public connaît davantage ce terme aujourd’hui. Mais ce n’est pas tout. « La société dans laquelle on vit est particulièrement stressante et on sait que l’anxiété est la principale cause, souligne Christophe Lequart. On a d’ailleurs eu une augmentation très importante des cas pendant la période du Covid. »

Même explication du côté de Précilia Ziri, chirurgien-dentiste, qui cite « pas mal d’événements assez anxiogènes ces derniers temps ». « Je pense que ces patients sont souvent dans le contrôle, ont du mal à lâcher prise et à exprimer leurs émotions et donc les expriment en serrant les dents », analyse la médecin.

A ses patients qui la consultent pour du bruxisme, Sandy Cohen, docteur en chirurgie dentaire, fait remplir un questionnaire médical. « Je constate que j’ai beaucoup plus de patients qui prennent des antidépresseurs qu’auparavant. » Parmi eux, certains traversent des événements de vie douloureux, comme une séparation, ou des périodes éprouvantes comme des examens universitaires.

Mais d’autres facteurs plus sociétaux joueraient aussi sur leur niveau d’anxiété. « J’ai un patient qui m’expliquait qu’il ne dormait plus la nuit à cause de l’inflation. »

Un travail à faire sur soi

Il n’existe pas de remède à proprement parler pour soigner le bruxisme mais des solutions permettent d’éviter qu’il ne cause trop de dégâts. Si les dentistes peuvent prescrire une gouttière et un décontractant musculaire pour soulager leurs patients, « un travail sur soi peut parfois s’avérer nécessaire », estime Précilia Ziri qui voit « le bruxisme comme le symptôme de quelque chose ».

Elle invite d’ailleurs ses patients à consulter un thérapeute en cas de besoin. « J’ouvre la porte mais après, ce n’est pas de mon ressort. » Sandy Cohen explique de son côté aux personnes la consultant « que tout ce qui peut diminuer le stress permet de diminuer le bruxisme ».

Relaxation, sophrologie, yoga, exercices de respiration… A chacun sa méthode pour faire baisser la pression. Morgane, elle, a fini par comprendre l’origine de son bruxisme. « Je souffrais d’un trouble anxio-dépressif depuis déjà cinq ans mais cette anxiété était très internalisée. » Son dentiste lui explique également que le bruxisme peut être héréditaire. « C’est en parlant à mes parents que j’ai appris que mon père en avait pas mal souffert plus jeune lui aussi. »

Depuis trois ans, Morgane dort avec sa gouttière et, surtout, elle a réussi à soigner son trouble anxio-depressif. « Je ressens beaucoup plus rarement les douleurs d’avant et mon sommeil et ma qualité de vie se sont, de fait, beaucoup améliorés. »