La prosopométamorphopsie, le trouble qui fait voir des démons partout
illusions•Atteint de ce trouble dont la cause reste inconnue, Victor Sharrah voit les autres êtres humains avec des oreilles pointues et des yeux gigantesques20 Minutes avec AFP
Un matin de 2020, au réveil, Victor Sharrah a eu une vision choc : son colocataire avec des oreilles pointues, des yeux gigantesques et une bouche tailladée jusqu’aux bords du visage. Tentant de garder son calme, cet homme de 58 ans est parti promener son chien, avant d’apercevoir des passants aux visages également distordus. « Ma première pensée a été que je m’étais réveillé dans un monde de démons », a-t-il raconté à l’AFP par téléphone, depuis son domicile du Tennessee (Etats-Unis). « J’ai commencé à paniquer » et à penser que « j’allais être interné en psychiatrie », rembobine ce chef cuisinier.
S’il n’a pas « totalement perdu la tête », il souffre d’un trouble visuel rarissime, nommé prosopométamorphopsie (PMO), qui déforme les visages sans empêcher leur reconnaissance. Si Victor Sharrah voit des visages d’apparence démoniaque, d’autres perçoivent des traits d’elfe, a expliqué à l’AFP Antonio Mello, chercheur spécialiste de PMO. Certains voient une moitié du visage sous l’autre, d’autres des visages violets ou verts, ou des visages en mouvement constant.
Des visages normaux en deux dimensions
Parfois, la maladie se manifeste quelques jours seulement. Plus de trois ans après, Victor Sharrah en souffre toujours. A la différence d’autres patients, ce quinquagénaire voit encore des visages normaux en deux dimensions, sur écran ou sur papier.
Cette caractéristique unique a permis à Antonio Mello et à d’autres chercheurs du Darthmouth College (Etats-Unis) de créer de premières images, quasiment aussi réalistes que des photos, représentant la perception des visages par les personnes atteintes de PMO, ont-ils expliqué dans une étude publiée vendredi dans la revue médicale The Lancet.
Des causes multiples
Pour créer ces images, les chercheurs ont demandé à Victor Sharrah de comparer les photos du visage d’Antonio Mello et d’une autre personne sur un écran d’ordinateur avec les distorsions qu’il pouvait voir sur leurs visages réels. Une telle comparaison était auparavant difficile, car lorsque d’autres personnes avec le même trouble regardaient n’importe quelle image d’un visage, elles voyaient des distorsions. Vivre avec la prosopométamorphopsie est « bien plus traumatisant que ne le traduisent ces images, selon Victor Sharrah. Dans la réalité, le visage bouge, parle. »
Jason Barton, neurologue à l’université de Colombie britannique n’ayant pas participé à cette nouvelle étude, a déclaré à l’AFP qu’il s’agissait d'« un symptôme » avec des causes multiples. Dans la majorité des cas étudiés par ce chercheur, « il s’est passé quelque chose dans le cerveau en corrélation avec cette expérience anormale »
Victor Sharrah a une lésion cérébrale, fruit d’une blessure lorsqu’il travaillait comme routier en 2007. Mais elle ne serait pas liée à son trouble, selon Antonio Mello, car des images IRM ont situé sa lésion dans l’hippocampe, une partie du cerveau « pas associée au réseau de traitement des images ».