Papillomavirus : Pourquoi seulement 10 % des collégiens de 5e ont-ils été vaccinés ?
Vaccination•Lancée en septembre dernier, la campagne de vaccination dans les collèges des élèves de 5e contre le papillomavirus ne décolle pasAnissa Boumediene
L'essentiel
- Lancée en septembre dernier dans les collèges, la campagne de vaccination contre le papillomavirus chez les élèves de 5e ne décolle pas.
- Selon un premier bilan, seuls 10 % des élèves ont reçu au moins une dose, loin de l’objectif fixé.
- Plusieurs freins peuvent expliquer ce chiffre faiblard
Une campagne qui ne décolle pas. Selon des premiers chiffres provisoires, seuls 10 % des élèves de 5e ont reçu une première dose de vaccin contre le papillomavirus, indique cette semaine le ministère de la Santé, qui attend le bilan définitif de sa première campagne dans les collèges pour décider d’éventuelles adaptations l’an prochain.
« Selon des remontées parcellaires des agences régionales de santé, au moins 92.262 élèves ont été vaccinés dans les collèges au 23 décembre 2023 », a ajouté la Direction générale de la Santé (DGS). Des chiffres loin des objectifs fixés.
« Décevant », loin de l’objectif de 30 %
On est loin de l’objectif fixé par le ministère de la Santé début septembre, qui était d’au moins 30 % des élèves vaccinés au collège pour cette première édition. Promise début 2023 par le président Emmanuel Macron, cette campagne de vaccination contre les papillomavirus humains (HPV), à l’origine de nombreux cancers (col de l’utérus, vulve, vagin, ORL, anus, etc.) a été lancée début octobre dans tous les collèges publics, et les établissements privés volontaires. Interrogé en novembre, Aurélien Rousseau, alors ministre de la Santé, avait reconnu que l’objectif initial du gouvernement ne serait sans doute pas atteint, tout en espérant que 150.000 élèves de 5e pourraient être vaccinés cette année. « C’est un début, il faudra de la ténacité », avait-il estimé, évoquant une nécessité « d’adapter les outils ».
Mais du côté de la Société française de colposcopie et de pathologie cervico-vaginale (SFCPCV) on juge cette vaccination loin des attentes, avec un premier aperçu « décevant ». Pour la SFCPCV, la campagne a pâti, entre autres, d’une organisation administrative « un peu lourde et compliquée ». « Les collèges recevaient des grosses enveloppes à distribuer aux parents avec un courrier d’information, (…) et la feuille d’autorisation à signer par les deux parents. Et le jour de la vaccination, il faut aussi le carnet de santé », a rappelé Geoffroy Canlorbe, secrétaire général de la société savante et praticien à l’AP-HP.
Probablement de quoi faire renoncer nombre de parents, alors que la France a un gros retard à rattraper, rappelle la société savante : « Le taux de couverture vaccinale HPV en France en 2018-2019 plaçait notre pays en 28e position en Europe, juste devant le Kazakhstan (15 %), l’Arménie (8,8 %) et la Bulgarie (4 %) et loin derrière le Portugal (90 %), la Belgique (91 %), la Norvège (88 %), la Suède (84 %), l’Angleterre (84 %) et l’Espagne (80 %) ».
Des freins à la campagne
En outre, « le privé n’a pas joué le jeu », soupire aussi Serge Vallet, membre de la commission exécutive nationale de la CGT enseignement privé, regrettant qu’il n’y ait pas eu de « communication à la hauteur de l’enjeu ». La campagne a pu être affectée par le décès d’un collégien près de Nantes, victime d’une chute après un malaise post-vaccinal. Le secrétariat général de l’enseignement catholique avait recommandé fin octobre de la « suspendre » dans les collèges catholiques sous contrat par « motif de précaution ». L’enquête administrative ouverte n’a pas relevé de « dysfonctionnement sur l’organisation de la campagne de vaccination », selon l’Agence régionale de santé.
La SFCPCV, elle, a aussi identifié un autre frein important à la vaccination anti-HPV : « La difficulté d’atteindre la population cible des 11-14 ans, qui ne vont plus chez le pédiatre et vont rarement consulter un médecin généraliste. Proposer cette vaccination en milieu scolaire est un excellent moyen d’offrir cette chance à nos plus jeunes tel que cela a déjà été fait avec efficacité dans de nombreux autres pays. Il est essentiel de relayer ce message pour que nos plus jeunes puissent bénéficier de ce vaccin qui est efficace et sûr ».
Au sein du collège où la fille de Sandrine est scolarisée en 5e, des messages de sensibilisation ont été adressés aux parents. « Dès la rentrée de septembre, nous avons été informés de la campagne de vaccination sur le logiciel Pronote, se souvient la mère de trois ados. Et plusieurs relances par la suite, poursuit-elle. Selon les premiers retours de l’établissement, la campagne de vaccination a plutôt été un échec, pas mal de parents réticents à la vaccination n’étaient pas très emballés. Ce qu’a déploré le principal du collège, qui fait de la pédagogie et regrette qu’il n’y ait pas eu plus de candidats au vaccin ».
« Pourquoi pas nous ? »
Grâce à la campagne d’information et de communication déployée depuis septembre par l’Institut national du Cancer (INCA), il est possible que l’opération « se traduise par une augmentation des vaccinations » par les médecins en cabinet, espère la DGS.
« Ce serait dommage de ne pas profiter de ce vaccin, déplore Sandrine, peut-être qu’il faudrait améliorer la communication pour faire passer le message de prévention ». Mère de trois adolescents, elle n’a pas attendu le lancement de campagne pour les faire vacciner contre le papillomavirus. « Notre médecin généraliste nous en avait parlé il y a un moment, alors j’ai pris les devants dès l’année dernière : ma fille de 13 ans a déjà reçu ses deux doses, tout comme son grand frère de 16 ans. Et mon aîné, qui a 18 ans, devrait se faire vacciner prochainement ». Et Sandrine n’a pas eu la moindre hésitation : « Je trouve formidable qu’on ait un vaccin qui permette de prévenir plusieurs cancers, il n’y avait pas ça à mon époque. Quand on nous parle de cancer, ça fait peur, donc le vaccin, je dis banco ! Pour moi, c’est automatique, comme la vaccination contre l’hépatite ou la rougeole chez les nourrissons : c’est un moyen de se protéger de maladies évitables. L’Australie, bien meilleure élève que nous sur la vaccination anti-HPV, a quasiment éradiqué tous les cancers provoqués par le papillomavirus, alors pourquoi pas nous ? »
Du côté du ministère, une estimation plus précise du nombre total d’élèves vaccinés pour la première dose sera réalisée au premier trimestre 2024, et le bilan complet de cette première année de campagne – c’est-à-dire le nombre d’élèves vaccinés ayant reçu deux doses du vaccin – ne sera connu qu’à la fin de l’année scolaire. Que cette vaccination ait lieu au collège ou en ville, l’objectif de couverture vaccinale est de 80 % à l’horizon 2030, a-t-on réaffirmé.