Discrimination selon le sexe et l’ethnie : L’étude d’un chef du service des urgences qui interpelle
Discrimination•L’étude menée auprès de 1.563 soignants met en évidence la différence d’évaluation, inconsciente mais spectaculaire, de la gravité des malades aux urgences, selon leur ethnie et leur sexeJérôme Diesnis
L'essentiel
- Le professeur Xavier Bobbia, chef des urgences du CHU de Montpellier, a tenté de comprendre pourquoi les prises en charge sont différentes selon l’ethnie et le sexe des patients.
- Avec la même image, semblant montrer la même douleur, le diagnostic d’urgence vitale est posé dans 63 % des cas par les soignants quand l’image associée était une image d’homme blanc contre 42 % pour une femme noire.
- L’étude met en valeur les préjugés inconscients mais fortement discriminatoires que le corps médical peut entretenir. Pour le spécialiste, la solution passe par l’information, la formation, le développement d’outils objectifs et de l’intelligence artificielle.
Un homme blanc aurait 50 % de chance supplémentaire qu’une femme noire d’être considéré comme une urgence vitale quand il consulte dans un service d’urgence pour une douleur thoracique. Cette conclusion, alarmante, est le fruit d’une étude menée par le professeur Xavier Bobbia. « Des études ont déjà montré la différence de prise en charge des patients selon leur sexe et leur origine ethnique », explique le chef des urgences du CHU de Montpellier. « Ce que j’ai essayé de comprendre, c’est pourquoi on arrivait à de telles disparités. »
Une image de patient a été construite par un logiciel de photo virtuelle, représentant un personnage debout, la main sur la poitrine, simulant la douleur. Seul le patient (de couleur noire ou blanche et de sexe masculin ou féminin) était différent. 1.563 soignants ont participé à cette étude, dans quatre pays européens (France, Suisse, Belgique, Monaco), en étant appelés à évaluer le degré de gravité dont souffrait ce patient virtuel.
« L’étude met en valeur les préjugés que le corps médical peut entretenir, reprend Xavier Bobbia. Au point d’entraîner une discrimination de l’évaluation de la gravité des malades aux urgences. » Dans 62 % des cas, le cas clinique a été considéré comme une urgence vitale quand l’image associée était celle d’un homme, contre 49 % quand c’était une femme. Dans 58 % des cas, l’urgence vitale a été associée à une image d’apparence ethnique blanche contre 47 %, quand l’apparence était noire. Il s’agit d’un diagnostic d’urgence vitale dans 63 % des cas quand l’image associée était une image d’homme blanc contre 42 % pour une femme noire.
« On peut difficilement imaginer que ces distinctions soient faites sciemment, donc il s’agit de quelque chose de profondément ancré dans la culture. Je suis sûr que si on réalisait des études de cas associés à chaque profession chez les journalistes, les policiers, les employés de Pôle emploi ou de n’importe où, les résultats seraient les mêmes. La discrimination est partout, de façon intuitive. »
Informer, former, se doter d’outils objectifs et développer l’intelligence artificielle
Comment utiliser ces résultats, publiés dans l’European Journal of Emergency Medicine ? « Je pense qu’on doit travailler sur trois points, reprend le professeur Bobbia. En premier lieu, l’information et la formation qui doit permettre à tous les praticiens d’être au courant de ces prérequis. » A la faculté de médecine de Montpellier-Nîmes, un enseignement sur les discriminations est ainsi proposé dans un module sur les facteurs humains en santé. « La deuxième chose est d’établir des échelles de triage à l’accueil des urgences afin de classer les gens dans un niveau de gravité selon une grille et des examens précis, et donc de manière objective. Ce sont déjà les préconisations de la Société française de médecine d’urgence. »
Xavier Bobbia espère enfin utiliser l’intelligence artificielle pour réaliser des diagnostics fiables, quels que soient le sexe ou l’ethnie du patient. « Je suis persuadé qu’on a la capacité de réaliser une étude multicentrique qui permettrait d’évaluer la gravité des douleurs thoraciques. Ces hypothèses et ces probabilités seraient établies à partir des diagnostics réalisés par les soignants. Si on arrive à intégrer ces paramètres, alors je pense que le machine learning (l’apprentissage automatique des données par l’intelligence artificielle) permettra de prédire précisément les diagnostics de gravité. . Et ainsi éviter des biais discriminatoires.
À lire aussi