Le déconventionnement des médecins, « menace non crédible » ou tendance ?
Consultation•Le mouvement prend de l’ampleur chez les médecins généralistes. De plus en plus appellent au déconventionnement de l’Assurance maladie. Beaucoup suivent-ils ? Quelles conséquences cela pourrait avoir pour les patients ?Thibaut Gagnepain
L'essentiel
- Le déconventionnement est un mot à la mode chez certains médecins, surtout généraliste, qui se plaignent de leurs conditions de travail et de leurs rémunérations.
- Un syndicat encourage même les praticiens à déposer leur lettre d’intention de déconventionnement. Une manière, aussi, de peser dans les négociations futures.
- Mais est-ce que beaucoup franchissent le pas ? Quelles conséquences ont le déconventionnement pour les patients ? 20 Minutes vous explique.
«J’ai envoyé ma lettre vendredi dernier. » Dans quelques semaines, ce médecin généraliste d’une petite ville du Nord de la France devrait officiellement être déconventionné par la Sécurité sociale. Fini l’habituel secteur 1 qui permettait à ses patients de voir leur consultation au tarif plafonné se voir remboursée à 70 %, avant l’apport d’éventuelles mutuelles. Place au « secteur 3 », où chaque praticien est libre de fixer le montant de son intervention, elle presque intégralement payée par le malade. La Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) ne verse ici plus que 0,61 euro…
« Chez moi, la consultation sera à 50 euros », reprend le docteur, qui a mûrement réfléchi avant de franchir le cap, treize ans après son installation. Pourquoi un tel choix ? « La pression que met la Sécu m’a toujours embêté. On est de plus en plus rémunérés en fonction de nos prescriptions, avec des tas de critères à respecter. Certains sont intelligents, mais pas tous. Je préfère rester libre de mes décisions », détaille-t-il, sans nier que l’aspect financier a aussi pesé : « Mes charges augmentent depuis plusieurs années et le prix de l’acte peu ou pas du tout. Je gagne certes bien ma vie, je ne dis pas le contraire, mais je dois travailler plus pour continuer à avoir à peu près le même revenu. »
Soit, en moyenne et d’après une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress), environ 90.900 euros toutes charges comprises, avant impôt. Il s’agissait alors d’une moyenne relevée chez les médecins omnipraticiens en 2019. Contre, par exemple et la même année, 146.200 euros pour les spécialistes. Ce qui place les deux catégories parmi les 2 % de la population nationale la mieux rémunérée, dixit l’Observatoire des inégalités.
Alors le déconventionnement serait-il avant tout une histoire d’argent ? « Pas du tout. On veut faire du soin de qualité, pas gagner plus », s’emporte Jérôme Marty. Le médiatique généraliste installé à Fronton (Haute-Garonne) est à la tête de l’Union française pour une médecine libre (UMFL), un syndicat qui a organisé en mars dernier les « Assises du déconventionnement ». Depuis, il encourage les médecins à lui déposer leur lettre d’intention de déconventionnement. Pas loin de 2.800 l’ont déjà envoyé à ce jour, « et ça va continuer », insiste le président qui… ne plaide pourtant pas en faveur d’un tel extrême.
« On est obligé de manier cette bombe atomique »
« Le but, c’est de montrer aux politiques que des médecins sont prêts à sauter le pas. Quand on en aura 15.000 (sur les 110.000 praticiens généralistes et spécialistes libéraux en activité), on ira les voir et on dira, vous avez deux mois pour faire un grand plan de médecine générale. Pour l’obtenir et peser, on est obligé de manier cette bombe atomique qu’est le déconventionnement. Il faut arrêter : soit on se décide à payer les soignants comme il se doit, soit on continue à regarder notre système de santé tomber. »
Parmi les revendications de l’UMFL figure néanmoins la hausse du tarif de la consultation chez un généraliste à 50 euros. « De manière à rejoindre la moyenne européenne », plaide Jérôme Marty. Une donnée que conteste le chercheur au Centre d’économie de l’université Paris 13, Nicolas Da Silva. « Se comparer avec d’autres pays voisins n’est pas justifié, tout simplement car ils n’ont pas les mêmes conditions d’exercices. En Angleterre, c’est un mode de répartition par capitation, avec de gros cabinets qui divisent leurs bénéfices en fonction du nombre de médecins. Et en Allemagne par exemple, l’assurance maladie verse une enveloppe annuelle flottante, la valeur de la consultation peut donc varier d’année en année. J’ajoute qu’en France, la rémunération n’est pas uniquement liée à l’acte. La Sécu verse de nombreuses primes qui peuvent représenter jusqu’à un mois de salaire. »
« Une menace non crédible »
Pour les médecins conventionnés, elle est logiquement leur premier financeur, à hauteur d’environ 80 % de leur revenu. « C’est pour ça que je pense que le déconventionnement est une menace non crédible », synthétise le maître de conférences. « Ils ne peuvent pas se passer d’autant d’apport. Sauf une minorité de médecins, celle qui est capable de trouver une patientèle riche, comme cela se fait déjà dans certains beaux quartiers. »
D’après les chiffres de la Cnam communiqués à 20 Minutes, les praticiens non conventionnés représenteraient aujourd’hui « 0,7 % de l’ensemble des médecins libéraux en France ». Soit précisément 743 sur les presque 111.000 en exercice. La Cnam parle également de « quelques dizaines de médecins » qui se seraient déconventionnés en 2023. Quitte donc à contraindre certains patients à aller voir ailleurs faute de moyens…
« Ce n’est pas vrai, conteste le Dr Marty. Tous ceux qui ont déjà sauté le pas le disent, ils n’ont pas perdu un seul patient. Ceux qui bénéficient de la Couverture maladie universelle (CMU), ils ne les font pas payer et voilà ! » Un engagement que prend à demi-mot que le futur généraliste déconventionné du Nord de la France, qui préfère toujours garder l’anonymat. « Je respecterai mon serment d’Hippocrate de soigner tout le monde, je ne fermerai pas ma porte. » Il ne le nie pourtant pas : depuis qu’il annonce son passage prochain à 50 euros l’acte, « certains patients m’ont dit qu’ils ne viendraient plus. »
« Un problème d’accès aux soins »
Un discours qu’a également entendu la maire d’Orschwihr, en Alsace, où le seul généraliste installé a aussi décidé de passer en « secteur 3 ». « Des gens me demandent comment ils vont faire avec leur petite retraite… d’autres qu’ils vont rester car ils n’ont pas le choix. Car attention, tous les médecins des alentours sont overbookés et ne prennent souvent plus de patients », explique Marie-Josée Staender, qui était pourtant très fière d’avoir réussi à attirer un praticien dans sa commune. « C’était un hasard, il cherchait un terrain constructible… On lui a mis un local à disposition contre un petit loyer, payé des travaux. On a tout intérêt à ce qu’il reste. »
Surtout dans un département, à peu près comme tous ceux du territoire, déjà sous-doté en médecins… « En zone rurale, le déconventionnement va poser un problème d’accès aux soins, c’est sûr, résume Jean-Francois Cerfon, le président de l’Ordre des médecins du Haut-Rhin. On ne les incite pas à le faire mais on ne peut pas les interdire. Et ça traduit quand même une vraie tendance actuelle : de moins en moins de jeunes généralistes s’installent en libéral. »
« Le jeu n’en vaut plus la chandelle »
« Car ça n’attire plus du tout », à en croire le président de l’UMFL, qui estime aujourd’hui à « 15.000 » le nombre de praticiens à s’en être détourné à leur sortie d’internat. « Ils préfèrent passer des diplômes universitaires, faire des remplacements etc. Je le répète, notre profession est épuisée avec un taux de suicide plus de deux fois supérieur à celui de la population. Le jeu n’en vaut plus la chandelle. »
Toute l'actu santé par iciD’après la Dress, le nombre de médecins généralistes exerçant en cabinet a chuté de 5 % en dix ans, de 2012 à 2022. Ce qui n’empêche pas encore quelques-uns de s’installer. Comme cette trentenaire, diplômée en 2020 et associée dans le Cher. « C’est sûr que j’ai beaucoup d’amis qui sont remplaçants et veulent le rester car c’est devenu compliqué de s’installer, témoigne-t-elle. Le métier est difficile, les charges augmentent alors qu’on est rémunéré au même tarif peu importe l’acte et qu’il y a toujours plus d’administratif. En plus, il faut jongler pour maintenir un équilibre vie professionnelle-vie familiale. Après, on travaille avec une infirmière ''Asalée'' (à qui des tâches sont déléguées) et on essaie d’éduquer un peu la patientèle pour s’adapter en fonction des urgences. Mais on sait pourquoi on le fait, soigner. »
C’est pour cela que la praticienne ne se verrait pas demain demander son déconventionnement, « car ça créerait une injustice auprès des patients. » Un argument qui ne convainc pas son confrère du Nord. « Le problème d’accès aux soins ? Je crois qu’il est déjà là… Les Français n’ont pas besoin d’être remboursés, ils sont besoin d’être soignés. »
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