Le lymphœdème primaire, une maladie rare « qui pourrit la vie »

Le lymphœdème primaire, une maladie rare « qui pourrit la vie »

témoignageLe lymphœdème primaire des jambes, une maladie rare qui gonfle la vie de ceux qui en souffrent, peut être stabilisé et soigné, faut-il encore qu’il soit diagnostiqué
Gilles Varela

Gilles Varela

L'essentiel

  • Le lymphœdème primaire aux jambes est une maladie rare qui se déclare avec plus ou moins de virulence à la suite de certains évènements, tels que la puberté ou un accouchement.
  • Peu connu, le lymphœdème n’est pas souvent diagnostiqué et laisse dans une errance médicale bon nombre de malades. Des traitements, malheureusement contraignants, existent.
  • Delphine Watieaux, référente de la délégation Alsace Lorraine de l’Association vivre mieux le lymphœdème (AVML), témoigne auprès de 20 Minutes sur ce long combat contre la maladie.

«Ma plus grande angoisse, étant ado, était d’aller faire du shopping, surtout les boutiques de chaussures. J’avais les jambes qui avaient gonflé. Je pouvais rester des heures devant les rayons sachant que je ne rentrerai dans aucune d’entre elles. En tout cas, pas les chaussures féminines que je souhaitais », témoigne auprès de 20 Minutes Delphine Watieaux. La référente de la délégation Alsace Lorraine de l’Association vivre mieux le lymphœdème (AVML) souffre de cette maladie, encore plus rare lorsqu'il s’agit du lymphœdème primaire aux jambes.

« Durant ma puberté, mes doigts de pieds, mes mollets, mes jambes gonflaient, selon la chaleur ambiante et les tenues vestimentaires que je portais, ça pourrit la vie, raconte encore Delphine Watieaux. J’aime la mer et le soleil, mais quand je vais sur la plage, les gens me regardent avec l’air de se dire c’est quoi cet extraterrestre qui vient avec des jambes aussi grosses à la plage ». A cette impression d’être jugée, s’ajoutent la culpabilité d’être différente, les pleurs en solitaire, le besoin de se cacher, la fatigue… Et avec les années vient « surtout la souffrance, celle de ne pas comprendre pourquoi ».

« Une errance médicale de 25 ans »

« J’ai vécu une errance médicale de vingt-cinq ans, ajoute Delphine Watieaux. On me disait à chaque fois qu’il fallait que je perde du poids, que je mange mieux, et que je relève mes jambes car j’avais un problème veineux ! ». Après une première grossesse, les choses se compliquent pour la jeune maman. Ses jambes enflent significativement et plus encore après un cancer contre lequel Delphine se bat quelques années plus tard. Le même diagnostic tombe, consultations après consultations. Jusqu’à celle prise chez un angiologue vasculaire lorrain. Ce dernier pose les maux : lymphœdème primaire aux membres inférieurs, soit une malformation du système lymphatique qui se déclare à tout âge, au cours des évènements de la vie.

Si Delphine Watieaux témoigne aujourd’hui, c’est pour « mettre cette maladie en lumière » : « des personnes peuvent s’identifier à mon cas et cette pathologie, plus vite vous la prenez en main, plus vite vous pouvez la stabiliser et empêcher la lymphe de stagner dans les tissus et faire du gras. »

« Un gros bras après un cancer du sein »

Savoir ce dont on souffre est déjà une belle avancée. Savoir s’il existe une solution et ce qu’il faut faire, c’est mieux. Si l’AVML prodigue des conseils et permet de ne pas rester seul face à la maladie, il existe aussi en France deux centres de référence de lymphologie. A Montpellier, à l’hôpital Saint-Éloi et surtout en Ile de France au CH Cognacq-Jay, centre de lymphologie qui traite exclusivement le lymphœdème. « Il y a deux sortes de lymphœdème, précise le docteur Stéphane Vignes, chef du service lymphologie du CH Cognacq-Jay. Le lymphœdème primaire qui est une anomalie constitutionnelle, à la naissance, et qui se révèle pendant l’enfance, l’adolescence, et le lymphœdème secondaire. Les plus fréquents en France, soit 80 %, des lymphœdèmes font suite au post-traitement d’un cancer. Généralement, un gros bras après un cancer du sein, de grosses jambes après un cancer gynécologique. Ça touche les jambes toujours, chez les hommes après le traitement d’un cancer de la prostate. »

« Le lymphœdème primaire est considéré comme une maladie rare, alors que le secondaire ne l’est pas », précise encore Stéphane Vignes. Une différence qui a son importance, car le secondaire est pris entièrement en charge par la Sécurité sociale. Le lymphœdème primaire n’est, lui, « pas reconnu et donc ne donne pas droit à l’arrêt longue maladie, regrette Delphine Watieaux .Ce qui n’est pas sans conséquences financières d’autant plus que les bandages, les manchons, à plusieurs centaines d’euros et qu’il faut régulièrement renouveler, restent à charge du patient. »

Selon le docteur Stéphane Vignes, il est difficile de connaître le nombre de patients qui souffre d’un lymphodème primaire des jambes en France : « cela tournerait, peut-être autour des 20.000 à 30.000 personnes. C’est une estimation très personnelle car il n’y a pas de travaux qui permettent clairement d’avoir une fréquence et un nombre de personnes atteintes. De plus, il y a des formes très petites pour lesquelles les gens ne consultent pas forcément. »

Un traitement à vie

Une rareté qui explique en partie pourquoi il faut plus de « dix ans en moyenne après l’apparition des premiers signes cliniques du lymphœdème primaire pour voir arriver au centre de lymphologie de référence les patients. Les gens ne connaissent pas, les patients ne savent pas à qui s’adresser, où aller. Reste qu’une fois qu’ils sont dans le circuit, ça va vite, ils vont dans les centres de compétences, où le diagnostic est confirmé et la prise en charge est faite », avance Stéphane Vignes qui conseille également de s’adresser à un « médecin vasculaire ».

Suivre le traitement, qui soigne mais ne guérit pas. Il réduira « cette grosse jambe ou ce gros bras » et il faudra savoir, toujours selon le médecin, « être autonome dans les soins, et accepter de ne pas être gêné par le lymphœdème dans ses envies, ses projets de vie malgré le traitement qui est contraignant ». Entre hospitalisation de deux semaines, bas de compression, bandages spéciaux et traitement à vie, « il est possible, de réduire de 30 à 40 % du volume en moyenne « du membre touché ». « Il faudra continuer à mettre des bas de compression pour stabiliser le volume que l’on a réduit, faire de l’exercice sous compression, des massages, sinon ça repart, précise le docteur Vignes. La pierre angulaire du traitement est l’éducation thérapeutique : on apprend aux patients, voire à leur entourage, les techniques de traitement ou de bandages qu’ils pourront faire à domicile. C’est contraignant, mais ça marche. »

Et la marche d’ailleurs ne fait plus peur à Delphine Watieaux qui a dernièrement fait une partie du chemin de Compostelle « pour s’accepter avec cette maladie, se rendre compte de ses capacités et sensibiliser la population à cette pathologie rare. »