Infarctus, AVC… Regarder un match nous fait-il plus de mal que de bien ?

Coupe du monde de rugby : Regarder un match du XV de France fait-il plus de mal que de bien à notre corps ?

stress émotionnel« La tension provoquée par un match créé une décharge d’adrénaline et de cortisol, les hormones du stress, qui font accélérer le cœur et monter la tension », explique Laurent Uzan, cardiologue du sport
Lise Abou Mansour

Lise Abou Mansour

L'essentiel

  • Collés à leur écran télé et hurlant comme si leur en vie en dépendait, les supporteurs mettent souvent leurs nerfs à rude épreuve. Ces montagnes russes émotionnelles peuvent-elles être dangereuses pour notre santé ?
  • « La tension provoquée par un match créé une décharge d’adrénaline et de cortisol, les hormones du stress, qui font accélérer le cœur et monter la tension », explique Laurent Uzan, cardiologue du sport.
  • Mais regarder un match dans un stade ou à la télé a aussi du bon. Une victoire de notre équipe va entraîner une sécrétion de dopamine qui active le circuit de la récompense et procure une sensation de bien-être.

Les yeux rivés sur leur écran télé, sautant et hurlant comme si leur en vie en dépendait, les supporteurs sportifs mettent souvent leurs nerfs à rude épreuve. Alternant entre stress intense, joie extrême et profonde tristesse, les fans de foot, de rugby ou d’autres sports connaissent bien l’ascenseur émotionnel. À l’occasion de la Coupe du monde de rugby qui a commencé vendredi dernier, on s’est demandé si, au-delà de la boule au ventre et du cœur qui s’emballe, ces montagnes russes émotionnelles pouvaient être dangereuses pour notre santé. Regarder un match nous fait-il plus de mal que de bien ?

Ces dernières années, plusieurs décès de supporteurs victimes d’infarctus survenus lors de matchs de football ont été médiatisés. En 2015, un fan de Valence perd la vie à la suite d’un arrêt cardiaque lors d’un match contre Barcelone. Turquie, novembre 2021 : un supporteur meurt dans les mêmes circonstances alors que son équipe vient de marquer un but victorieux à la dernière minute. Janvier 2022, un fan de Fulham. Juin 2023, un supporteur de Saint-Etienne. Et on pourrait en citer encore beaucoup.

La même fréquence cardiaque que lors d’un sprint

L’émotion procurée par le match peut-elle vraiment expliquer ces décès ? De nombreuses études se sont déjà penchées sur la question. En 2002, l’une d’elles, parue dans le British Medical Journal se concentre sur un match spécifique de la Coupe du monde 98 : l’élimination de l’Angleterre en huitième de finale aux tirs au but par l’Argentine. Les chercheurs ont constaté une augmentation de 25 % du nombre d’admissions dans les hôpitaux anglais pour infarctus du myocarde dans les deux jours ayant suivi cette rencontre par rapport à une période sans compétition.

Un résultat qui n’étonne pas Laurent Uzan, cardiologue du sport. « La tension provoquée par un match créé une décharge d’adrénaline et de cortisol, les hormones du stress, qui font accélérer le cœur et monter la tension. » Selon lui, suivre son équipe fétiche à la télé quand on est un fan investi aurait les mêmes effets sur le corps que lorsque l’on pique une énorme colère, qu’on court un sprint ou qu’on est victime d’un choc émotionnel à la suite d’un décès ou d’une agression. La fréquence cardiaque monte en flèche, passant de 60 au repos en moyenne à 120, voire 150 battements par minute. Même pic pour la tension artérielle.

Un risque d’infarctus du myocarde et d’AVC

« Ces turbulences peuvent fragiliser et cisailler les plaques d’athérome, des plaques graisseuses qui se forment dans la paroi des artères, résume Jean-Jacques Monsuez, cardiologue. Une petite plaque de cholestérol peut se détacher, formant un caillot de sang. Quelques heures ou le lendemain de ce gros stress, le caillot peut venir boucher l’artère coronaire et c’est l’infarctus. » Cette obstruction entraîne la destruction d’une partie du muscle cardiaque et peut conduire au décès.

Un stress intense peut donc se ressentir sur le cœur, mais aussi sur le cerveau. En 2006, lors du Mondial, une équipe de cardiologues de l’Université de Munich a analysé le nombre d’admissions dans les hôpitaux de Bavière les jours de match de l’Allemagne. Les chercheurs ont constaté un risque d’AVC multiplié par 3,66 pour les hommes et de 1,82 pour les femmes. Le mécanisme est le même que pour l’infarctus. « Qu’elles soient très positives ou très négatives, les émotions générées par le visionnage d’un match augmentent la pression artérielle et ces poussées d’hypertension peuvent créer des complications cardio-cérébro-vasculaires », résume Yannick Béjot, neurologue et chef du Service Hospitalo-Universitaire de Neurologie au CHU Dijon Bourgogne.

Une probabilité majorée par le cocktail alcool/stress/fatigue, aka bières/foot/nuits blanches lors de compétitions de l’autre côté du globe. « L’alcool entretient une sécrétion d’hormones antidiurétiques, ce qui entraîne une déshydratation pouvant favoriser le risque d’AVC », ajoute Jean-Jacques Monsuez.

Une probabilité limitée, même pour les populations à risque

Mais tous les supporteurs ne sont pas égaux face à ces maladies. « Le stress a surtout des effets néfastes sur l’organisme chez des personnes ayant des pathologies sous-jacentes, qu’elles soient ou non connues », souligne François Uzan. Cholestérol, diabète, surpoids, sédentarité et tabagisme sont autant de facteurs de risque. « Chez eux, le phénomène va agir comme un ''trigger'', un déclencheur venant décompenser une maladie préexistante », analyse Yannick Béjot.

Le médecin conseille à ces personnes de vérifier que leurs analyses soient bonnes, d’autant plus après 50 ans, âge au-delà duquel la prévalence de maladies cardio-cérébraux-vasculaires devient importante. « A partir du moment où l’on prend un traitement et qu’on a un mode de vie sain, le risque n’est pas nul mais quand même fortement réduit », ajoute le neurologue. En résumé : « C’est bien de regarder du sport à la télé, mais c’est mieux d’en faire », conseille Laurent Uzan.

Rassurez-vous. Même lorsque ce risque est majoré, il reste faible. « Dans les études réalisées, on voit un surrisque statistiquement plus élevé lors des compétitions mais quantitativement très faible. Il n’y a pas d’afflux de patients les jours de match. On est loin de l’épidémie », tempère Yannick Béjot. La moitié du stade ne va donc pas tomber raide.

Aussi des effets positifs

Autre raison de vous rassurer : regarder un match dans un stade ou à la télé a aussi du bon. Une victoire de notre équipe favorite va entraîner une sécrétion de dopamine qui active le circuit de la récompense et procure une sensation de bien-être. Un fonctionnement comparable à la prise de drogue, d’après le neurologue, mais sans risque de dépendance.

« C’est vraiment un ying et un yang, avec d’un côté un stress néfaste d’un côté et de l’autre un bien-être et un renforcement positif », résume Yannick Béjot. Sans compter l’effervescence plus globale procurée par la victoire d’une équipe nationale lors d’une grosse compétition. Alors bonne compétition à toutes et à tous ! Et mollo pour les cardiaques.