Alcoolorexie : Elles se privent de manger pour boire plus
santé mentale•L’alcoolorexie consiste à jeûner ou par exemple, à faire du sport de manière excessive avant d’avoir une consommation excessive d’alcoolLise Abou Mansour
L'essentiel
- L’alcoolorexie consiste à jeûner ou à avoir recours à des comportements compensatoires (vomissement, utilisation de laxatifs, activité physique intensive) avant d’avoir une consommation excessive et rapide d’alcool.
- « Ces jeunes femmes choisissent entre manger et boire, résume Céline Casse, fondatrice de StopTCA, une plateforme spécialisée dans le traitement des troubles alimentaires. Elles agissent ainsi pour ne pas prendre un gramme, dans une société où le culte de l’apparence règne. »
- Maladie cardiaque, coma éthylique, perte de connaissance, comportements à risque… Boire de fortes quantités d’alcool tout en s’alimentant peu n’est pas sans danger.
De ses 18 à ses 25 ans, avant chaque soirée, Pauline a eu le même rituel. Ingurgiter un litre de café au réveil, accompagné d’une ou deux madeleines puis, plus rien… jusqu’à l’heure de l’apéritif. Des apéritifs lors desquels l’alcool coulait à flots. En une soirée, la jeune fille avait l’habitude de boire deux bouteilles de vin blanc ou de champagne à elle seule. Pauline, comme de nombreuses jeunes femmes, souffrait d’alcoolorexie.
« L’alcoolorexie, c’est du binge drinking, une consommation d’alcool rapide et importante, accompagné de comportements de jeûne », explique le professeur Laurent Karila, psychiatre addictologue à l’hôpital Paul Brousse de Villejuif et créateur du podcast « Addiktion ». Selon plusieurs études réalisées aux Etats-Unis, ce comportement concerne très majoritairement des jeunes femmes. En France, même si ce phénomène n’est pas quantifié, il est loin d’être marginal selon l’addictologue.
Le culte du corps
« Ces jeunes femmes choisissent entre manger et boire, résume Céline Casse, fondatrice de StopTCA, une plateforme spécialisée dans le traitement des troubles alimentaires. Elles agissent ainsi pour ne pas prendre un gramme, dans une société où le culte de l’apparence règne. Elles peuvent aussi avoir recours à des comportements compensatoires avant ou après la soirée, avec la prise de laxatifs, des vomissements ou du sport en excès. » Si Pauline ne jeûne plus avant de sortir aujourd’hui, elle court davantage avant une soirée si elle sait qu’elle aura l’occasion de boire.
C’est pour cette raison que Céline Casse classe l’alcoolorexie parmi les troubles du comportement alimentaire non spécifiés, comme l’orthorexie, un comportement névrotique caractérisé par l’obsession d’une alimentation saine, ou la bigorexie, l’addiction au sport. « Ce sont des comportements anorexiques, mais pas une anorexie mentale », estime de son côté le médecin.
Lorsqu’elle y avait recours, Pauline voyait un double intérêt à cette pratique. « Je pouvais boire sans grossir et les effets de l’alcool se faisaient sentir beaucoup plus rapidement. » Et c’est là tout l’intérêt recherché par ces jeunes femmes, selon Laurent Karila : « être défoncées très vite ». « Elles recherchent une ivresse massive et rapide. »
Des conséquences physiques et psychologiques
Boire de grosses quantités d’alcool tout en s’alimentant peu n’est pas sans danger. « Quand on est à jeun, l’ivresse va arriver beaucoup plus vite, d’autant plus qu’il y a de légères différences physiologiques entre les hommes et les femmes, précise l’addictologue. Chez la femme, l’alcool s’élimine moins rapidement que chez l’homme. »
Les dangers sont donc nombreux : coma éthylique, perte de connaissance, comportements à risque comme des rapports sexuels non protégés et une plus grande probabilité d’être victime d’agressions sexuelles. A répétition, ce type de comportement peut provoquer des dommages à long terme, notamment cérébraux, cardiaques et intestinaux. Sans oublier l’impact sur la santé mentale, avec une augmentation de l’anxiété et de la tristesse ressenties.
Difficile de repérer ce type de comportement
Laurent Karila assure ne pas voir ces femmes à l’hôpital car elles ne consultent ni pour dépendance à l’alcool, ni pour trouble du comportement alimentaire. « L’alcoolorexie est insuffisamment repérée. Pourtant, la détecter est capital. » Pour l’addictologue, intégrer lors de l’entretien médical et psychologique du début de consultation chez le médecin des questions sur la consommation d’alcool et les pratiques présoirée du patient pourrait être une solution, le généraliste étant souvent le premier acteur de repérage. « Le but est avant tout de sensibiliser et d’informer sur les risques autour de cette pratique. »
Des questions rarement abordées, dans un pays où la consommation d’alcool reste taboue. Pour rappel, près d’un Français sur quatre dépasse les plafonds de consommation d’alcool recommandés, selon les données du Baromètre de Santé publique France réalisé en 2021 sur une population âgée de 18 à 75 ans.