« AlanFood Challenge » : « C'est hyper risqué »… Quel impact les concours de nourriture ont sur la santé ?
interview•Sandra Ferreira, diététicienne nutritionniste, explique à « 20 Minutes » les effets néfastes sur le corps des concours de nourriture comme ceux de « AlanFood Challenge »Propos recueillis par Lise Abou Mansour
L'essentiel
- 50 burgers, 10 kebabs, 4 gigas tacos, 150 yakitoris… Ces quantités gargantuesques de nourriture sont ingurgitées face caméra par « AlanFood Challenge », un youtubeur aux plus de 830.000 abonnés qui s’est spécialisé dans ces concours alimentaires hors-norme.
- Depuis une semaine, le jeune homme est accusé de tricherie. Mais doit-on vraiment lui en tenir rigueur ? Car au-delà de la polémique, les conséquences de tels défis sur la santé sont désastreuses, comme nous l’explique Sandra Ferreira, diététicienne nutritionniste.
- Indigestion, étouffement, perforation de l’estomac, mais aussi maladies à long terme tels que cholestérol, diabète, hypertriglycéridémie ou troubles du comportement alimentaire... Les risques de ce type de défis sur la santé sont très importants.
50 burgers, 10 kebabs, 4 gigas tacos, 150 yakitoris… Ces quantités gargantuesques de nourriture sont ingurgitées face caméra par « AlanFood Challenge », un youtubeur aux plus de 830.000 abonnés qui s’est spécialisé dans ces concours alimentaires hors-norme. Depuis une semaine, le jeune homme est accusé de tricherie. Il aurait coupé des extraits de ses vidéos et ne mangerait donc pas les quantités prétendues. Le créateur de contenus a fini par cracher le morceau et avoué avoir truqué trois vidéos. Sa justification : « Vous le savez, un truc qui pèse 16 kg, c’est difficile. Les challenges deviennent de plus en plus fous, ça montait crescendo. A un moment, le corps humain fait que tu ne peux pas en manger plus. »
Doit-on vraiment lui en tenir rigueur ? Car au-delà de la polémique, les conséquences de tels défis sur la santé sont désastreuses. Sandra Ferreira, diététicienne nutritionniste à Paris et dans les Yvelines, a répondu aux questions de 20 Minutes sur l’incidence de ces concours hors norme sur le corps des participants. Spoiler alert : c’est pas beau.
Déjà, est-ce possible physiquement de manger de telles quantités de nourriture ?
Un estomac plein peut supporter jusqu’à quatre litres. Je dis bien « peut », ce qui veut dire que tout le monde n’en est pas capable. Tout dépend aussi du type d’aliments consommés. Ceux contenant beaucoup de fibres prennent davantage de place. Donc quatre litres, c’est l’équivalent de deux kilos maximum de nourriture non fibreuse.
Il y a d’autres choses qui rentrent en ligne de compte. Chez certaines personnes, les hormones de la satiété sont déréglées. Dans le corps, on a deux types d’hormones liées à la faim. La leptine, l’hormone de la satiété sécrétée par l’estomac, nous informe que nous n’avons plus faim. Et la ghréline nous dit quand on a faim. Certaines personnes ont beaucoup de ghréline et très peu, voire pas du tout, de leptine. Il existe des maladies très spécifiques dans lesquelles on ne ressent jamais la satiété. C’est possible que ce youtubeur ait ça. Mais là, je vais loin…
Au-delà du fait d’avoir faim ou non, si on revient à la possibilité physiologique…
L’estomac est une sorte de poche en forme de J. Chez certaines personnes, elle peut être hyperélastique. On se pose notamment la question chez les malades polyphages, qui font des crises de boulimie, de savoir si leur estomac pourrait dépasser ces quatre litres car elles avalent parfois des quantités énormes de nourriture. Au Japon, par exemple, une personne a mangé 97 hamburgers en huit minutes et cela a été contrôlé par des huissiers. Comme quoi il peut y avoir des cas exceptionnels. Il est aussi possible - mais là je vais vraiment très loin - d'avoir une digestion hyperrapide. Mais ce serait vraiment de l’ordre de l’exceptionnel… et il faut quand même dire avant tout que ce type de concours est hyper risqué.
Justement, que se passe-t-il à très court terme dans notre corps quand on ingurgite des quantités aussi importantes de nourriture ?
Le premier risque, c’est l’étouffement, l’asphyxie. Si l’estomac n’a pas le temps de digérer et que les aliments remontent dans l’œsophage, on ne peut plus respirer car les tubes communiquent tout en haut, au niveau de la trachée. Aux Etats-Unis, il y a déjà eu des cas d’étouffement lors de ces concours. Il y a également une grande probabilité d’indigestion, avec des nausées, des vomissements, des bouffées de chaleur. On peut avoir des douleurs abdominales, car l’estomac se distend de manière trop forte. Il y a aussi un risque de perforation de l’estomac. C’est très très rare mais en même temps c’est très rare de manger des quantités pareilles.
Et à moyen terme ?
Dans les heures qui suivent, il y a de fortes probabilités qu’on ait une diarrhée réactive. Les aliments sont d’abord broyés par les dents, puis par l’estomac grâce aux sucs gastriques. Mais quand la nourriture arrive en trop grande quantité et en peu de temps dans l’estomac, il va rapidement la faire passer dans l’intestin, qui n’a pas le temps de gérer toute cette quantité et cela va sortir en diarrhée.
Ce type de pratiques doit également avoir une incidence sur la santé à long terme, avec des pathologies associées...?
Tout à fait. Si on ne se fait pas vomir, cela doit provoquer du cholestérol, du diabète, de l’hypertriglycéridémie - un taux de triglycérides trop élevé dans l’organisme - et une obésité. En gros, cela abîme les artères et c’est mauvais pour le système cardiovasculaire. Si on va plus loin, les grandes obésités donnent plus souvent lieu à des infarctus du myocarde. Mais on peut tout à fait ne pas être obèse et présenter des taux de cholestérol très élevés, avec des artères qui se bouchent progressivement.
Au-delà de l’aspect physique, ces défis à répétition peuvent-ils créer des troubles du comportement alimentaire ?
Bien sûr. Si on n’est pas sujet aux dérèglements hormonaux dont on parlait tout à l’heure, ces défis vont biaiser nos signes naturels de la faim et de la satiété, car on va contre le message envoyé par notre corps. Cela peut progressivement dérégler l’organisme et augmenter fortement le risque de développer des troubles du comportement alimentaire.
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