INTERVIEWDes polluants éternels interdits retrouvés dans des cheveux de députés

« Chaque mois de perdu se compte en vie humaine »… Un député tire la sonnette d’alarme sur les polluants éternels

INTERVIEWNicolas Thierry, député EELV de Gironde, a prélevé des cheveux de 13 collègues députés écologistes afin de mesurer la présence de polluants éternels. Il en analyse les résultats pour « 20 Minutes »
Lise Abou Mansour

Lise Abou Mansour

L'essentiel

  • Quatorze députés écologistes ont accepté de céder une mèche de leurs cheveux afin qu’elle soit analysée, pour voir si elle contenait des PFAS, des polluants éternels présents dans l’environnement et dans de nombreux objets du quotidien.
  • Chez ces 14 députés, la présence de PFOA, un PFAS interdit depuis 2020 en raison de sa toxicité, a été détectée.
  • « Si les députés sont touchés, on est des millions à l’être », rappelle Nicolas Thierry, député EELV de Gironde, à l’initiative de cette analyse.

Des cheveux de députés analysés pour montrer notre exposition aux polluants. Si la démarche est atypique (mais pas nouvelle*), les résultats le sont moins. Quatorze députés écologistes ont accepté de céder une mèche de leurs cheveux afin qu’elle soit analysée, pour voir si elle contenait des PFAS. Egalement appelés polluants éternels en raison de leur persistance, ces substances chimiques extrêmement nocives sont présentes dans l’environnement, mais aussi dans de nombreux objets du quotidien (emballages alimentaires, poêles antiadhésives, textiles…) et produits industriels, comme la mousse anti-incendie. En tout, il existe 12.000 PFAS. Nicolas Thierry, le député (EELV) de Gironde à l’initiative de cette analyse, a décidé de déceler la présence de douze d’entre eux dans les cheveux de ses collègues.

Les résultats sont sans appel. Parmi ces douze, huit polluants éternels ont été détectés, dont quatre à des niveaux suffisamment élevés pour être quantifiés précisément par la méthode d’analyse. La présence de PFOA, un PFAS interdit depuis 2020 en raison de sa toxicité, a été détectée chez les 14 élus. Nicolas Thierry raconte à 20 Minutes la genèse de ce projet et en a analyse les résultats.

Pourquoi avoir décidé d’effectuer une analyse spécifiquement sur les PFAS ?

Ils sont à l’origine d’un énorme scandale sanitaire aux Etats-Unis. Alors qu’en Europe, et particulièrement en France, le sujet est complètement occulté. Le décalage est très frappant. Contrairement à d’autres substances auxquelles on est exposés, comme le glyphosate, les PFAS mettent extrêmement longtemps à être évacués de notre corps. Ils ont aussi une capacité à se déplacer phénoménale, via les cours d’eau ou l’air, et sont quasiment indestructibles dans l’environnement. Une étude montre même la présence de PFAS dans le sang d’un ours polaire au Canada.

De nombreuses études internationales ont montré les risques pathologiques associés à ces substances chimiques. Elles provoquent un risque accru de cancers, une altération de la fertilité, une augmentation du taux de cholestérol ou encore une perturbation de la thyroïde et du foie. Le lien est très clairement établi.

Pourquoi avoir choisi de réaliser cette analyse sur vos collègues députés ?

Tout a commencé lors d’un débat en commission. J’ai proposé un amendement à une proposition de loi du groupe Liot visant à tester la présence de PFAS dans l’eau potable en France. Les députés ont voté très majoritairement contre. Ils m’ont sorti les mêmes arguments que les industriels : « il faut analyser chaque substance une à une ». J’en ai tiré une conclusion : politiquement, c’est bloqué. Le seul moyen est donc de créer de l’émotion pour qu’il y ait une pression des citoyens qui obligera le Parlement à bouger.

Vous avez trouvé des PFOA dans les cheveux des 14 députés participants. Ce résultat, et plus globalement ceux de cette étude, vous ont-ils surpris ?

Non. Personne n’échappe aux PFOA, mais à des niveaux plus ou moins importants. Des députés ont dix fois ma dose. Marie-Charlotte Garin, par exemple, qui est députée de Lyon et qui vit dans ce qu’on appelle « la vallée de la chimie », zone où se trouvent Tefal et Arkema, a un niveau de près de 3pg/mg de PFOA, alors que la moyenne des autres élus, c’est 0,2. Charles Fournier, députée à Tours, est également à 3. Il ne s’attendait pas du tout à être impacté à un tel niveau. A titre individuel, c’est assez anxiogène. Maintenant, tous ces députés vont vouloir trouver un débouché. Parce que si eux sont touchés, on est des millions à l’être.

Ce qui a étonné les scientifiques, c’est la forte présence de PFNA (85,7 %), un PFAS très peu identifié. Les scientifiques l’ont qualifiée de « petit nouveau ». On a la quasi-certitude qu’il a été utilisé par les industriels pour contourner la réglementation depuis que le PFOA est interdit. C’est la raison pour laquelle les industriels ne veulent surtout pas qu’on s’attaque à la famille des PFAS dans son ensemble, mais qu’on fasse des analyses substance par substance. Le problème, c’est qu’on met dix ans à en faire interdire un seul. Dans les mois qui suivent, ils le modifient légèrement et le mettent sur le marché. Et on est reparti pour dix ans.

Qu’attendez-vous maintenant que ces résultats sont publiés ?

Il n’y a pas de fatalité. On peut prendre des décisions politiques maintenant pour diminuer notre exposition à ces polluants. J’ai déposé il y a un mois une proposition de loi visant à interdire dès le 1er janvier 2025 la fabrication, l’exportation, l’importation et la mise sur le marché des PFAS pour les emballages alimentaires, les produits textiles et les mousses anti-incendie. Dès 2025 car pour ces produits, il existe des alternatives connues. Et en 2027, je souhaite une interdiction globale de tous les PFAS. Plusieurs pays européens comme le Danemark portent la même proposition. Cela laissera le temps aux industriels de se retourner. Bien sûr, on prévoit des exceptions quand il n’y a pas d’alternative, pour le matériel médical et les vêtements pour protéger des professionnels de la sécurité.

Le deuxième axe de ma proposition de loi, c’est de contrôler la présence de PFAS dans l’eau potable partout sur le territoire, pour protéger au plus vite les gens les plus exposés. Il y a urgence à agir. Mais chaque mois perdu se compte en vie humaine.

Et où en est cette proposition de loi ?

Elle sera examinée entre septembre 2023 et juin 2024. L’enjeu, c’est qu’elle soit mise à l’ordre du jour de l’Assemblée et surtout, qu’elle soit votée. Mais je ne vous cache pas que sans prise de conscience de la société, ce sera extrêmement difficile.

* Hasard du calendrier (ou pas), des cheveux de 26 sénateurs socialistes ont également été analysés afin de mesurer la présence de mercure, de pesticides, de plastifiants et de « terres rares », des métaux utilisés dans des objets de haute technologie. Les résultats ont été publiés avant-hier.