Pourquoi est-il si difficile de se débarrasser de son eczéma ?

Eczéma : Mais pourquoi est-il si difficile de s’en débarrasser ?

ça gratteDe nombreuses personnes doivent vivre toute leur vie avec leur eczéma, ou dermatite atopique
Anissa Boumediene

Anissa Boumediene

L'essentiel

  • A l’occasion ce samedi de la Journée nationale de l’eczéma, « 20 Minutes » se penche sur cette pathologie qui affecte plus de 4 millions de personnes en France.
  • Pour nombre de patients et de patientes, vivre avec l’eczéma affecte la qualité de vie au quotidien.
  • Depuis quelques années, de nouveaux traitements efficaces sont disponibles, mais il reste du chemin pour améliorer leur accessibilité.

Des plaques rouges, sèches, qui brûlent et démangent à s’en gratter jusqu’au sang. Tous ceux et celles qui souffrent d’eczéma se reconnaîtront. Et ils sont nombreux : cette pathologie affecte plus de 4 millions de personnes rien qu’en France. Mais d’où vient l’eczéma, ou dermatite atopique ? Quels sont les traitements disponibles ? Et pourquoi semble-t-il impossible de s’en débarrasser pour de bon ? A l’occasion ce samedi 3 juin de la Journée nationale de l’eczéma, 20 Minutes s’intéresse à cette maladie de peau au fort retentissement physique et psychologique.

Une maladie génétique

Quand on parle d’eczéma, il en existe en réalité de deux sortes. « Il y a la dermatite de contact, une allergie à un produit donné, sur une zone donnée, indique le Pr Martine Bagot, dermatologue à l’hôpital Saint-Louis à Paris. Une fois l’allergène en cause identifié, on en est débarrassé. En revanche, la dermatite atopique, ou eczéma constitutionnel, est une maladie inflammatoire chronique, génétique, avec une composante familiale et héréditaire, précise-t-elle. On peut la développer dès l’âge de 3 mois, et connaître des phases d’accalmie et de récidive. On observe aussi des formes tardives du sujet âgé. Et quel que soit l’âge, la forme peut être de minime à très sévère, et il n’est pas possible de s’en débarrasser : si on en a, c’est à vie. »

Pourquoi sommes-nous inégaux face à l’eczéma ? « Si vos deux parents sont atteints, vous aurez plus de risques de l’être, répond le Dr Marc Perrussel, dermatologue. En France, environ 2 millions d’enfants et 2 millions d’adultes en souffrent. Ensuite, la génétique va jouer sur deux tableaux : elle affecte la qualité de la barrière cutanée - la peau est plus fragile, plus sèche, et ainsi plus perméable aux allergènes et aux irritants. Il y a aussi le système immunitaire qui est en cause : il va produire une réponse inadaptée et se suractiver, provoquant une réaction inflammatoire. Cette combinaison constitue le cercle vicieux de l’eczéma constitutionnel, puisque les allergènes présents dans l’environnement pénètrent plus facilement dans le derme, affolent le système immunitaire, qui répond en déclenchant l’eczéma ».

Par ce lien direct avec le système immunitaire, « le stress, les troubles du sommeil, les allergies au pollen et toutes les contrariétés du quotidien qui abaissent l’immunité favorisent le déclenchement d’une poussée d’eczéma », résume le Dr Isabelle Rousseaux, dermatologue et membre du Syndicat national des dermatologues-vénérologues. En outre, « les conditions de vie moderne et la pollution favorisent certainement la dermatite atopique », ajoute le Pr Bagot.

Errance thérapeutique, douleur et « isolement social »

L’eczéma, Stéphanie Merhand, fondatrice de l’Association française de l’eczéma, en a « depuis l’enfance, avec des plaques sur les plis des bras et des jambes. En grandissant, vers 18 ans, la dermatite atopique s’est localisée sur le visage et le cou, et a empiré sur tout le corps, c’était très compliqué à gérer, confie-t-elle. D’autant plus que c’est une maladie chronique imprévisible : on peut avoir de longues périodes sans rien et faire une poussée du jour au lendemain, c’est très angoissant. »

Avec de fortes poussées qui ont pu affecter « jusqu’à 90 % du corps et tout le visage, d’une intensité telle que l’hospitalisation était nécessaire », la jeune femme a vu son quotidien lourdement affecté. « A cause de la transpiration, qui brûle au niveau des plaques, faire du sport est compliqué, même si cela procure un bien-être mental. Les fortes chaleurs sont problématiques, mais aussi les pollens et les graminées, auxquels je suis allergique, qui aggravent la dermatite atopique sur mon visage. Donc longtemps, quand on me proposait un verre en terrasse ou un pique-nique, la réponse était non. On ne se maquille plus, on ne sort plus par peur d’avoir une autre crise, on ne s’habille pas comme on veut parce qu’on est gênée par les plaques : il faut le vivre pour se rendre compte du retentissement au quotidien. C’est une maladie qui isole, et qui vous culpabilise », insiste Stéphanie.

Comme elle, Charlotte a « de l’eczéma depuis l’enfance, je ne me souviens de ma vie sans. J’ai essayé tous les traitements, mais rien n’a permis de m’en débarrasser, ça revient toujours, je me gratte la nuit, mes draps sont tachés de sang, c’est tellement pénible ». L’impact de la maladie « est lié aux symptômes : le prurit peut être insupportable, assure le Dr Perrussel. Les démangeaisons peuvent entraîner grattages, saignements, infections cutanées, insomnies, sans oublier le retentissement social. »

De nouveaux traitements efficaces, mais difficiles d’accès

Après avoir « tout essayé », Charlotte a « arrêté les produits laitiers, pour calmer l’inflammation, et j’ai l’impression que ça soulage un peu ». Pour certains, « l’alimentation anti-inflammatoire peut aider, confirme le Dr Rousseaux. Produits à base de lait de vache, viande rouge, charcuterie et aliments ultra-transformés peuvent favoriser les poussées ». Mais pour Stéphanie, qui a testé tous les régimes possibles, rien n’y a fait, et les crèmes et pommades à base de cortisone ont au mieux apporté un soulagement momentané. « Si les dermocorticoïdes fonctionnent très bien pour certains, et restent le traitement de référence, jusqu’à ces dernières années, c’était tout ce dont on disposait. Mais lorsqu’ils n’étaient pas ou plus efficaces, les patients se sentaient abandonnés », se souvient le Dr Perrussel.

Un sentiment éprouvé par Stéphanie. Jusqu’à ce que de nouvelles solutions voient le jour. « En 2018, on a connu une révolution avec l’apparition de traitements de fond qui empêchent le système immunitaire de s’emballer et de déclencher une réponse inflammatoire, et ainsi bloquer les nouvelles poussées, indiqués même chez les bébés », explique le Dr Perrussel. « La prise en charge de l’eczéma a considérablement progressé, abonde le Dr Rousseaux. On dispose aujourd’hui de biothérapies qui améliorent la qualité de vie au quotidien ». Des traitements de fond « qui permettent une diminution d’environ 75 % des lésions, démangeaisons et rougeurs », précise le Pr Bagot. Grâce à eux, Stéphanie a « passé un cap. Je peux refaire du sport, me remaquiller, j’ai retrouvé une bien meilleure qualité de vie, même si mon eczéma refait parfois des siennes ».

Encore faut-il trouver un praticien pour se les faire prescrire. « La prise en charge peut être longue, parce que les gens ont du mal à trouver un dermatologue, surtout dans les déserts médicaux », déplore le Dr Rousseaux. Difficulté supplémentaire : « Comme ces traitements sont récents, tout le monde ne les connaît pas, souligne le Pr Bagot. Il ne faut pas hésiter à se renseigner auprès d’associations de patients, et se rendre en consultation spécialisée ». Reste qu'« il y a un vrai problème d’accessibilité à ces nouvelles biothérapies, qui ne peuvent être prescrites pour la première fois qu’en milieu hospitalier, ce qui en limite l’accès et allonge les délais de prise en charge des patients, et leur souffrance au passage, regrette le Pr Perrussel. Ce n’est pas justifié, il y a urgence à faciliter l’accès précoce à ces innovations thérapeutiques. »