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L’alimentation transformée en cause dans les maladies intestinales ?

« L’alimentation ultra-transformée a tendance à favoriser l’apparition de maladies chroniques intestinales »

INTERVIEWBenoît Chassaing, directeur de recherche à l’Inserm, analyse le lien entre alimentation ultra-transformée, microbiote et maladies intestinales
Lise Abou Mansour

Propos recueillis par Lise Abou Mansour

L'essentiel

  • A ce jour, 250.000 personnes souffrent d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) en France.
  • Certains aliments, notamment des additifs alimentaires, pourraient favoriser l’apparition et la chronicité de ces pathologies chez certains patients, selon Benoît Chassaing, directeur de recherche à l’Inserm.
  • « Ce qu’il faudrait, c’est qu’on puisse identifier des patients à risque et qu’eux fassent très attention », explique le chercheur.

Actuellement, 250.000 personnes souffrent d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) en France. Si longtemps, les gastro-entérologues refusaient de voir une corrélation entre l’alimentation et ces maladies (la maladie de Crohn et la RCH), les choses commencent à changer. Le rôle du microbiote intestinal est aujourd’hui bien mieux connu.

Benoît Chassaing, directeur de recherche à l’Inserm, en a fait sa spécialité. 20 Minutes l’a rencontré lors du salon national des MICI, afin de comprendre le lien entre alimentation ultra-transformée, microbiote et maladies intestinales.


L’alimentation ultra-transformée a-t-elle un impact sur l’évolution des maladies chroniques intestinales ?


Plusieurs essais cliniques montrent que l’alimentation joue un rôle soit protecteur, soit négatif sur l’apparition et la chronicité des maladies de Crohn et de la RCH. Et cela passe par le microbiote. Ces études montrent que l’alimentation transformée et ultra-transformée a tendance à favoriser l’apparition et la chronicité des MICI, tandis qu’une alimentation riche et équilibrée avec consommation de fibres, sans additif et pas transformée, est associée à une diminution de l’incidence des MICI.

On s’est par exemple, intéressé aux agents émulsifiants. Tous ne sont pas forcément mauvais. La lécithine de soja ou les mono et diglycérides d’acides gras, deux émulsifiants qui sont très utilisés en France, semblent complètement inoffensifs. Contrairement aux carraghénanes, qui sont très utilisés dans les crèmes chocolatées de dessert pour leur côté gélatineux, le lait de soja ou le lait de coco, et dont le pouvoir pro inflammatoire est connu et reconnu.


L’alimentation qu’on a reçue au plus jeune âge joue-t-elle également un rôle dans la survenue de ces maladies ?


Oui, certaines études montrent que les gens qui vont développer une MICI consomment plus d’agents émulsifiants et d’alimentation ultra-transformée que les gens qui ne vont pas développer la pathologie. On sait qu’il y a un facteur génétique dans ces maladies. Les Japonais, par exemple, avaient très peu de MICI. On pouvait penser qu’ils avaient un terrain génétique qui les rendait plus résistants. Mais on s’est rendu compte, au cours de vagues de migrations, que lorsque ces populations arrivent dans des pays où il y a beaucoup de MICI, en une génération, les enfants, ont un risque de MICI équivalent au pays dans lequel ils ont immigré. Les gènes n’ont pas muté dans l’avion, donc il y a clairement un facteur environnemental. Nous pensons que la nourriture transformée va impacter le microbiote et va donc révéler la pathologie chez des gens qui étaient à risque de la développer.

Cuisiner et arrêter de manger des aliments transformés, c’est bien. Mais je vis à Paris. J’ai deux enfants. Je sais que c’est compliqué. En fait, dans l’idéal, il faudrait identifier des patients à risque et qu’eux fassent très attention. On laisserait tranquilles les autres patients, ayant une maladie causée par d’autres facteurs. Ça, c’est la clé de la médecine personnalisée.





Vous voulez dire que toutes les personnes atteintes de MICI ne sont pas impactées par l’alimentation ultra-transformée ?


Non, notamment concernant les agents émulsifiants. On l’a constaté avec les modèles souris, puis avec la première étude clinique faite chez l’homme. Quand on donne un agent émulsifiant particulier à des humains sains, certains ne répondent pas du tout et d’autres ont un microbiote très sensible, qui devient pro inflammatoire. C’est une étude pilote et courte dans le temps, donc ce ne sont pas des patients qui ont développé une pathologie. Mais on pense que certaines personnes ont des microbiotes qui, s’ils sont quotidiennement mis en contact avec des additifs alimentaires, pourraient conduire à une maladie inflammatoire chronique au bout de deux, cinq ou dix ans.


Le microbiote peut-il également jouer un rôle dans la manière dont le traitement va réagir sur le malade ?


Oui. Au niveau de la maladie de Crohn et de la RCH, c’est encore à l’état de recherche, mais là où c’est beaucoup plus avancé, c’est au niveau des traitements anticancéreux. Des recherches montrent que dans certaines thérapies liées à certains cancers, il y a des répondants et des non-répondants. Exemple avec des patients ayant le même cancer, prenant le même médicament : chez certains, ça ne marche pas du tout alors que chez les voisins cela fonctionne. Ces recherches ont montré que des différences de microbiote conduisaient à l’efficacité ou à l’inefficacité du traitement.

Si le microbiote permet l’efficacité du traitement, on fait le traitement. Si on a un microbiote qui ne permet pas l’efficacité, on va faire une transplantation fécale d’un donneur qui va permettre l’efficacité du traitement. Des données préliminaires montrent que ça marche. C’est quand même extraordinaire d’arriver à moduler le microbiote pour pouvoir favoriser la réponse thérapeutique.


Justement, où en est-on en matière de transplantation fécale ?


Pour l’instant, c’est seulement au niveau de la recherche. Aujourd’hui, je déconseille vraiment les transplantations fécales faites à la maison, parce qu’il faut faire très attention au donneur qu’on utilise. On va prendre le microbiote d’un donneur qui est sain et on va le transplanter dans quelqu’un qui est à risque, ayant une pathologie. Certaines bactéries peuvent être porteuses de résistance aux antibiotiques, par exemple. Il faut bien faire attention de prendre des donneurs qui n’ont pas ces bactéries-là. Aux Etats-Unis, il y a eu des erreurs faites parce que la réglementation avait changé. Et il y a eu deux morts. Jamais ces patients n’auraient dû recevoir ces microbiotes-là. Mais je pense vraiment qu’à plus long terme, la transplantation fécale pourra bénéficier aux patients. Quand on aura identifié les bons receveurs, les bons donneurs, les bons couples donneur-receveur, ça pourra les aider.