POUVOIR D’ACHATAvec l’inflation, la hausse des prix fait renoncer aux séances de psy

Inflation : Quand la hausse des prix fait renoncer aux séances de psy

POUVOIR D’ACHATAvec la hausse généralisée des prix provoquée par l’inflation, des personnes en vulnérabilité psychologique renoncent à entamer ou poursuivre un suivi psychologique pour des raisons financières
Anissa Boumediene

Anissa Boumediene

L'essentiel

  • La pandémie a considérablement affecté la santé mentale de nombre de Françaises et Français.
  • Avec une personne sur cinq confrontée à des troubles psy dans le pays, la demande de soins a explosé.
  • Mais dans un contexte d’inflation et de crise du pouvoir d’achat, pour certaines personnes en vulnérabilité psychologique et économique, se pose la question d’entamer ou de poursuivre une thérapie quand le prix des soins commence à devenir lourd dans le budget.

Prendre soin de soi, bien manger, se chauffer, et s’aérer l’esprit. Autant de commandements simples qui se compliquent d’un coup lorsqu’on est confronté à une précarité financière, énergétique. Et psychologique.

Après la crise sanitaire, qui a mis à mal la santé mentale de nombre de Françaises et de Français, l’inflation galopante des derniers mois entame encore un peu plus le moral et les finances des plus vulnérables. Au point d’en contraindre certains à s’interroger sur leurs capacités à entamer ou poursuivre un suivi psychologique, ou sur la nécessité de le réduire pour en limiter le poids financier.

« Une dépense que je ne suis pas sûre de pouvoir assurer au long cours »

Depuis la pandémie, près d’un Français sur cinq (18 %) montre des signes d’un état dépressif, et plus d’un quart (26 %) présente des signes d’état anxieux, selon les derniers résultats de l’enquête Coviprev de Santé publique France. C’est le cas de Mathilde qui, entre la crise sanitaire et des épreuves ces derniers mois dans sa vie personnelle, s’est sentie glisser vers un état de fragilité psychologique, « avec une tristesse permanente, des crises de larmes, des insomnies et des angoisses, confie la trentenaire. Je me suis toujours sentie plutôt solide dans ma tête, mais là, je n’arrive plus à gérer. Consulter un psy m’aiderait, ce que m’ont aussi conseillé quelques proches ».

La jeune femme se renseigne, songe à entreprendre une psychothérapie, « pour comprendre mes réactions, gérer mes émotions et surmonter ce que je n’arrive pas à traverser ». Mais elle déchante côté financier. « Une thérapie dure facilement un an, voire deux. A raison d’une séance par semaine à 60 euros, c’est une dépense lourde, que je ne suis pas sûre de pouvoir assurer au long cours, souffle la trentenaire. Je n’achète déjà plus ni viande, ni poisson, ni vêtement, je sors moins et je baisse le chauffage, décrit la jeune cadre célibataire. Mais mon salaire, lui, n’augmente pas. Alors la thérapie, ça me fait peur ».

Une situation que constatent déjà les praticiens. « Certains patients nous demandent s’il est possible de réduire la fréquence des séances, observe Jean-Pierre Zobel, président du Syndicat national des praticiens en psychothérapie relationnelle et psychanalyse (SNPPSY), alors on essaie de trouver le bon compromis pour assurer le continuum de la prise en charge. C’est inquiétant, même si en libéral, on n’a pas la population la plus en difficulté financière par rapport aux centres médico-psychologiques (CMP) ou aux hôpitaux psychiatriques, où les patients sont dans une plus grande précarité financière ».

Un rajeunissement des personnes en détresse psychologique

Et il y a un public en particulier qui préoccupe le praticien. « On observe un boom des pathologies de type anxiodépressif surtout chez les jeunes, les étudiants, pour qui il peut être particulièrement complexe de prendre soin de sa santé mentale en cas de précarité financière », alerte Jean-Pierre Zobel.

Un constat partagé par Claudie Tondon-Bernard, présidente de l’association France Dépression*, qui propose une écoute téléphonique : « Le profil des personnes qui nous appellent a changé depuis la pandémie, les appelants sont de plus en plus jeunes. On reçoit des appels d’enfants qui appellent en cachette des parents, d’hommes jeunes, et les appels sont de plus en plus nombreux. Ces derniers mois, le phénomène s’accentue, et les problématiques financières commencent à nous être remontées, indique-t-elle. C’est d’autant plus préoccupant que les personnes en mal-être se sentent souvent seules et ont du mal à en parler à leur entourage ».

A Nancy, où l’association dispose d’un relais local, de nouvelles demandes sont formulées. « La direction d’une grande école nous a sollicités pour y tenir une permanence hebdomadaire, poursuit la directrice de France Dépression. Les jeunes témoignent d’un mal-être profond et sont en forte demande de soin et d’écoute, mais beaucoup ne sont pas en capacité financière de consulter ».



Améliorer la prise en charge

Or, « le mal-être est une maladie, insiste Claudie Tondon-Bernard. Il faudrait améliorer la prise en charge ». Pour répondre à la demande de soins, le gouvernement a débloqué une enveloppe de 50 millions d’euros en avril pour le dispositif MonPsy, qui permet de bénéficier de huit séances avec un psychologue remboursées par la Sécurité sociale. Un dispositif contre lequel « nous les psys sommes vent debout, souligne Jean-Pierre Zobel. La modicité des sommes - 30 euros la séance de 30 à 40 minutes – fait que très peu de praticiens se sont inscrits, et ce n’est pas en huit séances qu’on peut vraiment aider ».

Ce qui changerait la donne, ce serait « un remboursement des thérapies sur critères de ressources, propose le psychothérapeute. Parce qu’aujourd’hui, dans les hôpitaux psychiatriques et CMP, il y a entre six et dix-huit mois d’attente ». Et pour celles et ceux qui bénéficient d’une prise en charge, « les faibles moyens du secteur public ont affecté la qualité des soins, renchérit Claudie Tondon Bernard. En CMP, les patients sont reçus quelques minutes, à peine le temps de renouveler les ordonnances. Et si MonPsy a le mérite d’exister, en pratique, je doute de son accessibilité à travers le territoire ».

Depuis des années, « le champ de la santé mentale est sinistré et abandonné par les pouvoirs publics, que ce soit au sein des institutions touchées par les fermetures de lit, et dans le domaine libéral, où l’on manque des thérapeutes, avec des métiers en perte d’attractivité », déplore Jean-Pierre Zobel.

Des initiatives solidaires

Dans le même temps, France Dépression étend son champ d’action. « Il y a cinq ans, notre ligne d’écoute était active 2 heures, deux fois par semaine, se souvient Claudie Tondon-Bernard. Aujourd’hui, nous avons vingt-cinq écoutants formés par un thérapeute, qui assurent 57 heures d’écoute hebdomadaire. Ils orientent vers un médecin traitant ou vers une prise en charge plus urgente si quelqu’un manifeste des pensées suicidaires. Et face à l’explosion du nombre d’appels reçus, nous aurions besoin de nouveaux écoutants pour élargir les plages d’écoute ».

D’autres solutions innovantes et solidaires voient le jour. A l’instar du « Kit de vie » lancé par l’association Nightline France, développé par des étudiants bénévoles et des psychologues, et accessible via un smartphone ou un ordi. Un outil interactif qui a vocation à aider les jeunes, en apprenant à identifier et gérer leurs émotions, et modifier certains comportements.

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Un outil grâce auquel on peut également « apprendre à aider amis et proches en détresse étape par étape », indique Éléonore, psychologue chez Nightline. Et sur lequel on peut trouver une liste « de tous les soutiens psy gratuits pour les étudiants ».

* France Dépression : Numéro d’écoute : 07 84 96 88 28, lundi-vendredi 9h/12h-14h 20h- samedi 14h/20h- dimanche 14h/20h.