chirurgieLe « patient blood management », ou comment réduire les transfusions

Le « patient blood management », limiter les transfusions sanguines pour améliorer la prise en charge des patients

chirurgieLe « patient blood management » est un ensemble de recommandations émises par la Haute Autorité de santé pour limiter au maximum le recours à la transfusion sanguine
Anissa Boumediene

Anissa Boumediene

L'essentiel

  • La Haute Autorité de santé a émis un ensemble de recommandations sur le Patient blood management (PBM), visant à déployer ces bonnes pratiques destinées à limiter le recours aux transfusions sanguines.
  • Dans un contexte de stocks de sang très bas, le PBM, ou gestion personnalisée du capital sanguin, favorise une utilisation raisonnée des produits sanguins.
  • Il permet également d’améliorer la prise en charge des patients et leur récupération post-opératoire.

Des réserves de sang historiquement basses, passant même sous le seuil de sécurité. Ces derniers mois, faute de dons suffisants, l’Etablissement français du sang (EFS) a plusieurs fois lancé l’alerte, confronté à un état de quasi-pénurie permanente de produits sanguins. Dans ce contexte, la Haute Autorité de santé (HAS) préconise d’adapter les pratiques pour réduire au maximum le recours aux transfusions, en développant le Patient Blood Management (PBM), ou gestion personnalisée du capital sanguin.

Après 18 mois de concertation avec plusieurs sociétés savantes et associations de patients, la HAS a ainsi émis une série de recommandations médicales visant à « pallier la pénurie de sang et les risques » liés aux transfusions, détaillées ce vendredi lors d’un point presse au congrès annuel de la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR). En clair : ne transfuser que lorsqu’il n’y a pas d’alternative, et améliorer la prise en charge des patients pour réduire leurs risques d’avoir besoin d’une transfusion durant leur intervention chirurgicale.

Limiter les situations où la transfusion est inévitable

« Le PBM a vocation à éviter au maximum de se retrouver dans une situation où la transfusion sanguine est inévitable, rappelle Alexandre Pitard, chef de projet sur les recommandations PBM au sein de la HAS. C’est un ensemble de pratiques qu’encourage l’OMS depuis 2010, et qui a déjà été largement déployé dans certains pays comme l’Australie ou l’Allemagne, avec des résultats positifs. » Cela permet évidemment « d’économiser les produits sanguins dans un contexte de stocks très bas, mais cela a surtout vocation à améliorer la prise en charge des patients », insiste le Pr Xavier Capdevila, responsable du pôle urgences et du service anesthésie réanimation au CHU Lapeyronie de Montpellier.

En pratique, « le PBM s’inscrit dans le cadre d’un parcours patient péri-opératoire, qui repose sur trois piliers déclinés en pré, per et post-opératoire, détaille le Dr Marc-Alexandre Theissen, anesthésiste réanimateur au centre hospitalier Princesse Grace de Monaco et président du groupe de travail sur le PBM. En premier lieu, cela suppose en pré-opératoire de majorer les réserves sanguines du patient, en dépistant et en traitant l’anémie du patient avant son opération ». Pourquoi ? « S’il était en situation d’anémie, donc souffrant d’un manque de globules rouges dans le sang au moment de la chirurgie, il aurait très certainement besoin d’une transfusion », explique-t-il.

Des bonnes pratiques à déployer évidemment dans le bloc en « minimisant les pertes sanguines per-opératoires [durant l’intervention], poursuit le Dr Theissen. D’abord, l’anesthésiste va administrer de l’acide tranexamique, une molécule qui bloque le saignement, puis le chirurgien va utiliser des techniques mini-invasives, qui réduisent les saignements, donc le risque de transfusion ». Durant cette phase, « on va également lutter contre l’hypothermie du patient, souligne le Pr Capdevila. C’est un élément très important : rien que le fait d’installer le patient sur la table d’opération et de le découvrir pour l’intervention fait baisser sa température corporelle de 1,2 degré en moins de dix minutes. Or, à chaque degré perdu, on augmente de 20 % les risques de pertes sanguines. »

Limiter les risques transfusionnels pour les patients en améliorant leur prise en charge

Limiter les transfusions a, par ailleurs, un intérêt médical en soi, puisque cette opération présente des risques non négligeables. « Un patient auquel on évite une transfusion a moins de risques de voir son hospitalisation prolongée et d’avoir des complications, poursuit le Pr Capdevila. Ce n’est pas seulement lié à la transfusion évitée, c’est aussi lié à l’anémie en elle-même, que l’on aura traitée en amont. » Ainsi, « ces bonnes pratiques représentent un enjeu fondamental sur le devenir des patients, confirme Alexandre Pitard. Lorsqu’un programme de PBM complet est mis en place, il diminue la morbidité, la durée d’hospitalisation et la mortalité des patients, confirme-t-il. Selon des travaux menés en France en 2019, le nombre total de complications liés à la chirurgie diminue de 20 % (-27 % en chirurgie cardiaque, moins 22 % en chirurgie orthopédique et -17 % en chirurgie vasculaire) ».

Et en Australie, où le PBM est largement déployé depuis plusieurs années, « une étude de référence sur plus de 600.000 patients démontre une baisse de la mortalité de 28 % de la mortalité, une diminution de 21 % des risques d’infection, et une durée d’hospitalisation raccourcie de 15 % , ajoute le chef de projet de la HAS. En outre, cette étude fait état d’une baisse de 41 % du nombre d’unités de produits sanguins transfusés ».

Désormais, ces recommandations doivent toutefois se concrétiser dans les pratiques réelles du monde médical, un défi dont professionnels et patients reconnaissent le caractère complexe. « Certains pays ont pris de l’avance sur le déploiement de ces bonnes pratiques, admet le Pr Capdevila. La France n’est pas en retard, on doit simplement mettre l’accent sur la vision coordonnée de la prise en charge du patient, et faire entendre que cela requiert des moyens supplémentaires – ce qui n’est jamais évident à l’hôpital. Mais en démontrant qu’au final, cela se traduit par de réelles économies avec des jours d’hospitalisation en moins, des complications en moins, des réserves de sang préservées, et surtout une meilleure récupération du patient, cela ne peut qu’encourager la démocratisation de ces bonnes pratiques. »