VOUS TEMOIGNEZLa situation dans les Ehpad reste dramatique, témoignent des soignants

Ehpad : « Pas un recrutement », « familles suspicieuses »… Malgré le scandale Orpea, la situation reste dramatique, témoignent des soignants

VOUS TEMOIGNEZTrois mois après la publication du livre « Les Fossoyeurs », les conditions de travail ne semblent pas s’être améliorées, selon les soignants des Ehpad qui ont répondu à l’appel de « 20 Minutes »
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Après la parution du livre Les Fossoyeurs sur la situation dans les maisons de retraite, le ministère a rendu public un rapport accablant pour le groupe d’Ehpad privé Orpea.
  • Mais au-delà des annonces du ministère et des risques de procès, le quotidien des résidents et des soignants a-t-il été modifié depuis près de trois mois ?
  • Selon les témoignages reçus par 20 Minutes, rien n’a changé. La situation a même empiré, car certaines familles demandent plus de comptes à des soignants toujours en sous-effectif.
  • Pour le secteur, l'élection présidentielle représente une occasion manquée.

Chaque semaine, une nouvelle plainte, un nouveau reportage, un rapport d’enquête remet un coup de projecteur sur la situation dans nos Ehpad. La séquence ouverte par le livre de Victor Castanet Les Fossoyeurs, qui a dénoncé les maltraitances dont sont victimes les aînés dans certains Ehpads, n’a pas fini de faire parler.

Si cette question n’a pas été le sujet de prédilection des deux rivaux pour le second tour de l'élection présidentielle, beaucoup de familles s’en préoccupent. 20 Minutes a donné la parole aux soignants pour savoir si le scandale Orpea a modifié leur quotidien.

« Je constate de plus en plus de désaffection pour nos métiers »

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’au vu des 140 récits que nous avons reçus, les retours sont aussi inquiétants qu’homogènes. D’abord sur les conditions de travail, de plus en plus compliquées. Murielle, qui travaille en Ehpad public comme aide-soignante depuis vingt-cinq ans, résume la situation sans ambages. « C’est de pire en pire, aucune amélioration des conditions de travail, des résidents négligés et une maltraitance institutionnelle connue de la direction qui nie les faits et muselle les salariés, qui, dans la fonction publique, sont soumis au devoir de réserve. »

Cyprien, 26 ans, nuance : « Tous les établissements ne sont pas comme des Orpea, Korian ou Medicis – et heureusement ! –, mais la maltraitance institutionnelle existe dans tous les Ehpad, privés à but lucratif, privés à but non lucratif ou publics. Il manque énormément de personnel soignant partout. Par manque de candidatures, une cadre m’a avoué qu’elle préférait garder une personne incompétente, dangereuse pour les résidents. Il y a eu un turnover important des soignants avec la crise sanitaire, une lassitude s’est installée et un grand nombre de soignants a changé de service ou démissionné pour faire de l’intérim. »

Deuxième point qui semble faire consensus : rien n’a changé depuis la parution des Fossoyeurs. « Le sujet fait polémique, mais il n’y a pas pour autant eu un recrutement ou des moyens supplémentaires », déplore Ludivine 31 ans. Pire, le discrédit jeté sur les maisons de retraite décourage encore davantage les soignants en poste. « Je constate de plus en plus de désaffection pour nos métiers, surtout les aides-soignantes, analyse Nathalie, 53 ans. En août, j’arrête définitivement ! »

Thomas travaille dans un Ehpad du groupe Orpea. Et même dans son établissement, la réaction de la direction n’a pas été celle attendue. « C’est à notre niveau que nous avons dû solliciter un entretien avec un responsable pour obtenir un poste de soignant supplémentaire, mais nous ne voyons que très rarement cette personne. Des embauches avec création de poste sont prévues, mais cela reste très mystérieux. Les nombreux remplaçants intérimaires qui passent par notre structure ne reviennent que très rarement… »

« Des familles plus suspicieuses » et plus exigeantes

Ce qui a changé, en revanche, c’est l’attitude de certaines familles. Infirmier, Cyprien s’est ainsi fait « incendier par une famille avec des propos très virulents au sujet de la polémique autour d’Orpea. Une cellule de crise avec psychologue pour le personnel a été mise en place pour éviter d’autres scandales ».

« Nous avons tous remarqué un changement des familles vis-à-vis des décisions et de la prise en charge que nous proposons, renchérit Mélanie, 33 ans. Chez certaines, absolument tout est discuté, pas chez toutes, heureusement ! Du côté de la direction, nous avons pour consigne d’apaiser les familles, de ne pas entrer en conflit avec elles. Parfois, cela est très difficile, on nous prend de haut, on nous parle mal… » Même écho chez Sandrine, 49 ans : « Depuis la parution de ce livre, nous avons eu des difficultés de relation avec quelques familles plus suspicieuses sur la qualité des soins. »

Parmi les 140 témoignages, certains donnent cependant à entendre une autre musique. Mélanie, 28 ans, travaille dans un établissement Korian. Et elle regrette les caricatures véhiculées depuis quelques mois. « Nous ne nous sentons en aucun cas concernés par ce qui est dit dans le livre ainsi que dans les reportages. » Charlotte, qunat à elle, reconnaît « une très légère amélioration, car l’ARS est venue. » Mais comme dans beaucoup de récits, le problème clé, difficile à régler, reste le manque de personnel dans son établissement.

Le Ségur de la Santé, insuffisant ?

Pourtant, l’attractivité aurait dû être boostée par les augmentations de salaire. En effet, depuis le Ségur de la santé les soignants des Ehpad publics et privés associatifs touchent 183€ nets de plus par mois. Ceux du secteur privé, 160€.

Insuffisant, déplorent nos interlocuteurs. Notamment Francky, 45 ans, soignant depuis treize ans dans ces établissements : « Je constate une dégradation constante des conditions de travail et de la sécurité du patient, dûe à un manque cruel de personnel lié à un désamour pour la profession au vu des conditions de travail et de la non-reconnaissance de notre profession tant au niveau hiérarchique que financier. Ni les scandales à répétition, ni le Covid-19 et ni le Ségur n’y ont changé quelque chose. » Est-ce que la campagne de recrutement lancée le 21 mars 2022 pour encourager les jeunes à se lancer dans les métiers du soin y changera quelque chose ?

Autre pan du Ségur : une enveloppe de 1,5 milliard d’euros sur quatre ans est prévue pour améliorer l’architecture souvent vétuste et remédier aux pénuries de matériels. Marie*, ergothérapeute dans un Ehpad, avoue sa frustration. « Le Ségur a permis d’acheter un peu plus de matériel pour l’année 2022, c’est appréciable. Mais les besoins à un instant T ne sont pas ceux de toute l’année. Et donc demander du matériel "urgent" en cours d’année prend beaucoup de temps [car la commande doit] passer devant les différentes commissions décisionnelles. Et la personne âgée pendant ce temps, attend. »