Présidentielle 2022 : Gestion, personnel, bien-être des résidents… Que contiennent les programmes des candidats pour les Ehpad ?
PROMESSES DE CAMPAGNE•A l’approche du premier tour, « 20 Minutes » résume les propositions des candidats à l’Elysée sur les EhpadAnissa Boumediene
L'essentiel
- La sortie en début d’année du livre Les fossoyeurs, qui a dénoncé le scandale des Ehpad Orpea, a remis en lumière la réalité parfois peu reluisante de ces établissements pour personnes âgées dépendantes.
- A quelques jours seulement du premier tour de l’élection présidentielle, les candidats à l’Elysée se sont-ils suffisamment emparés de cette problématique chère au cœur des Français ?
- 20 Minutes vous résume leurs propositions.
Quel avenir pour nos aînés ? Si depuis des années, personnels à bout et lanceurs d’alerte interpellent régulièrement l’opinion sur la réalité parfois peu reluisante des établissements pour personnes âgées dépendantes, le scandale des Ehpad Orpea, révélé en début d’année par le journaliste Victor Castanet dans son ouvrage Les fossoyeurs, a braqué une lumière inédite sur cette problématique. Morceau de fromage retiré du menu pour faire des économies, moins de couches pour le change pour la même raison, toilette accomplie en quelques minutes faute d’effectifs… En cause, une logique de rationalisation des coûts où le cynisme le dispute aux objectifs comptables.
Alors, à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, les douze candidats à l’Elysée se sont-ils suffisamment emparés de la question ? Quelles mesures envisagent-ils pour assurer un quotidien serein, heureux et décent à nos aînés en Ehpad ? Quelles conditions de travail imaginent-ils pour résoudre le manque chronique de personnel ? Et que prévoient-ils pour éviter les dérives au sein de ces établissements ? 20 Minutes vous résume leurs propositions.
Des recrutements massifs
L’idée qui met tous les candidats (ou presque) d’accord, c’est la nécessité de recruter massivement. Et sur ce point, ce sont les candidats de gauche qui sont les plus force de proposition. Jean-Luc Mélenchon (LFI), qui appuie sa proposition sur celle de la députée LFI Caroline Fiat, cosignataire du rapport de la mission flash sur « l’Ehpad de demain », plaide pour la création de « 210.000 emplois minimum ». Le communiste Fabien Roussel va plus loin, et propose la création « dès 2022, et sur trois ans, de 300.000 emplois » dans ces établissements, avec « un ratio d’un soignant par résident ». De son côté, le leader du NPA, Philippe Poutou, juge « urgent de mettre en place un service public du quatrième âge, avec du personnel formé et en nombre suffisant », accompagné « d’un plan emploi-formation de 200.000 postes ». L’écologiste Yannick Jadot, s’alignant sur les « préconisations formulées par la défenseure des droits en 2021 », promet de veiller « à l’application d’un ratio minimal de 0,8 ETP [équivalent taux plein] de personnels par résident ». Et si elle ne donne pas de chiffre, la socialiste Anne Hidalgo plaide pour « une présence humaine plus importante dans des Ehpad, avec plus d’infirmières et d’aides-soignantes ».
« L’évidente nécessité de recruter plus, c’est un point qui ressort ces dernières années de différents travaux, notamment ceux menés par la Commission affaires sociales de l’Assemblée. Car avant même le livre de Victor Castanet, il y a déjà eu plusieurs scandales alertant sur la réalité de ce qui se passe dans certains Ehpad », rappelle Ilona Delouette, économiste, spécialiste du système de financement de la prise en charge de la dépendance en France.
Alors, un peu plus à droite sur l’échiquier, la mesure fait consensus, même si elle affole moins les chiffres. S’agissant du candidat LREM à sa succession, Emmanuel Macron propose de « recruter 50.000 infirmiers et aides-soignants supplémentaires d’ici à 2027 ». A sa droite, la candidate LR Valérie Pécresse, peu loquace sur le sujet, prévoit « davantage de personnels auprès des résidents et des indicateurs de qualité des soins qui seront rendus publics », sans plus de détails. A la droite de la droite, pas de chiffres non plus pour Nicolas Dupont-Aignan, qui veut « augmenter les effectifs des aides-soignants et des aides médicaux psychologiques ». Ni pour Eric Zemmour, qui promet « un grand plan de recrutement » et la création de « 400.000 nouvelles places en Ehpad à horizon 2030 », sans chiffrer les personnels pour les accompagner. Pas de chiffres non plus au RN pour Marine Le Pen, qui veut « accroître fortement la présence de personnel médical ».
Meilleure rémunération des personnels
« Le problème, c’est qu’on a beau vouloir employer plus de monde, il faut dans le même temps améliorer la formation, les conditions de travail et revaloriser les salaires, souligne l’économiste. On l’a vu pendant la crise du Covid-19, les Ehpad ont tenté de recruter sans succès. Depuis quelques années, on fait face à ce que les directeurs qualifient "d’Ehpad bashing". Pour lutter contre cette crise majeure d’attractivité, il faudrait garantir de meilleures conditions de travail ».
Jean-Luc Mélenchon estime que « les salaires, le statut et les conditions de travail doivent être revalorisés ». A cet effet, Anne Hidalgo prévoit « un plan de formation et de recrutement pour les métiers du grand âge, construit autour du triptyque professionnalisation, valorisation salariale, reconnaissance ». Comme eux, Yannick Jadot et Fabien Roussel plaident pour une revalorisation des salaires et des carrières pour les personnels.
Un point absent du programme des autres candidats, mais pourtant essentiel afin de susciter des vocations dans un secteur où les besoins – déjà importants et non comblés - ne feront qu’augmenter avec le vieillissement de la population. « Ce qui pourrait changer la donne, c’est la manière dont on pense le financement en fonction des tâches à accomplir au sein des Ehpad, avance l’économiste Ilona Delouette. Depuis 2009, l’enjeu a porté sur la rationalisation des tâches. Une stratégie de contrôle extrême des coûts qui va à l’encontre du soin et de la relation soignants-résidents, très mal vécue par les travailleuses du secteur, qui ont l’impression de traiter des objets et non des personnes. Pour réenchanter ce secteur qui recrute énormément mais ne séduit pas, il faut redonner aux personnels les moyens de faire leur travail correctement, humainement ».
Les Ehpad privés dans le viseur
Or, à ce jour, les indicateurs sur lesquels sont calculés les coûts de chaque acte de soin « ne prennent pas en compte le côté relationnel, déplore Ilona Delouette. Le financement est pensé comme s’il s’agissait seulement de tâches techniques, alors que la perte d’autonomie repose énormément sur le relationnel, et c’est au cœur de la vocation des personnels. C’est avec cette logique que l’on est arrivé à un système qui a institutionnalisé les maltraitances, heureusement pas généralisées, tempère l’économiste ». En pratique, « le fait d’avoir ouvert le secteur au privé lucratif a mené à une objectivation des soins, à leur rationalisation, ce qui est néfaste ».
Revenir sur cette ouverture au privé changerait-il la donne ? « Ce pourrait être une solution, avance l’économiste. Ces Ehpad privés reçoivent des financements publics dont ils font une utilisation visiblement moins efficace, puisqu’ils affichent des taux d’encadrement inférieurs pour des coûts à la journée supérieurs ». En clair, ils coûtent plus cher alors qu’ils ont moins de personnel. Pourtant, « il y a des contrôles faits par les agences régionales de santé (ARS), insiste Ilona Delouette. Mais faute de moyens humains, elles inspectent seulement les budgets accordés selon des indicateurs. Elles contrôlent donc des tableaux de données plutôt que des établissements avec des personnels et des résidents ».
Pour Philippe Poutou, la solution est toute trouvée : « Les actionnaires qui se remplissent les poches de "l’or gris" (Orpea, Korian…) doivent être expropriés ». Yannick Jadot, lui, souhaite « interdire les nouvelles installations d’Ehpad à but lucratif ». Mais « cela ne suffirait pas, craint l’économiste, rappelant que dans le public, des problématiques similaires de sous-effectifs et de conditions de travail dégradées sont également présentes ».
Le financement en question
Alors, comment éviter les dérives ? « Cela pose une question politique et morale : est-ce normal de faire du profit sur la vulnérabilité de personnes âgées ? », interroge Ilona Delouette. Et « comment finance-t-on les Ehpad en fonction des besoins humains et sociaux ? ». Pour le candidat anticapitaliste, « la société doit prendre en charge les dernières années de nos aînés, avec un financement assuré par la Sécurité sociale ». Le candidat écologiste prévoit, lui de « réformer l’ensemble du secteur des Ehpad, qu’ils soient publics, mutualistes, associatifs ou privés à but non lucratif », en revoyant « financement, gestion et organisation ». Quand leur camarade communiste promet « un plan d’investissement pour la réalisation et la modernisation des Ehpad ».
Reste à savoir si le prochain locataire de l’Elysée s’emparera réellement de la question du grand âge, et si des moyens conséquents lui seront alloués. « Financer ce secteur suppose de lever de nouvelles ressources, souligne Ilona Delouette. Or, si on ne peut plus augmenter les cotisations sociales, ni augmenter les financements de la Sécurité sociale, c’est compliqué ».