Covid-19 : Pourquoi Hong Kong, malgré sa stratégie « Zéro Covid », est submergé par Omicron ?
EPIDEMIE•Sous influence chinoise, le territoire traverse une vague Omicron particulièrement violente, mais vient d’annoncer un assouplissement des restrictionsOihana Gabriel
L'essentiel
- Depuis un mois, Hong Kong fait face à une vague Omicron extrêmement violente. Les hôpitaux et les morgues sont saturés, et les habitants vivent en semi-confinement, avec les écoles fermées.
- Pourtant, l’île a longtemps été épargnée par la pandémie, avec une stratégie « Zéro Covid » efficace.
- Malgré des hospitalisations et des décès encore très hauts, la cheffe de l’exécutif a annoncé lundi la levée de certaines restrictions.
«On a eu 300 morts en deux ans et là, c’est 300 morts par jour… C’est assez incroyable », souffle Aline, Française installée à Hong Kong avec sa famille depuis huit ans. Une incompréhension redoublée depuis les annonces, lundi, d’un assouplissement des restrictions pour avril en pleine vague Omicron. L’occasion pour 20 Minutes de revenir sur la politique anti Covid-19, pleine de rebondissements et riche en enseignements, menée par Hong Kong.
Passé d’exemple à ville avec le taux de létalité le plus élevé
Longtemps, l’île a été montrée en exemple pour sa lutte efficace face à la pandémie. En mars 2020, le territoire a mis en place des mesures de restriction parmi les plus strictes du monde, ce qui a largement permis d’éviter la propagation du virus, mais isolé le centre financier international.
Mais depuis l’apparition du variant – très contagieux – Omicron début janvier 2022, le territoire de plus de 7 millions d’habitants connaît une flambée épidémique en dépit de sévères mesures de distanciation sociale. Selon le bilan officiel, plus d’un million de personnes ont été contaminées et 5.600 décès enregistrés, en majorité parmi la population âgée non vaccinée. Selon des chercheurs, la moitié des 7,4 millions d’habitants auraient déjà été infectés. Les hôpitaux et les morgues ont rapidement été submergés, et Hong Kong figure actuellement parmi les territoires développés ayant enregistré un des taux les plus élevés de létalité.
Un taux de vaccination insuffisant
Comment expliquer ce retournement de situation ? « On a une couverture vaccinale relativement élevée, avec 71 % de vaccinations complètes, explique Anne Sénéquier, chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Mais sur Omicron, ça ne suffit pas. » D’autant que « moins de la moitié des personnes âgées à Hong Kong étaient vaccinées avant cette vague », rapporte Aline. Contrairement à la France, les autorités ont commencé par vacciner les jeunes. Par ailleurs, deux vaccins sont prescrits : Sinovac et Pfizer. Or, on sait aujourd’hui que deux doses du même Sinovac (le vaccin chinois) ne sont efficaces qu’à 35 % contre Omicron.
Deuxième faiblesse : avec la stratégie « Zéro Covid », beaucoup d’habitants n’avaient jamais rencontré le virus jusqu’à présent. Et n’avaient donc développé aucune immunité naturelle. Par ailleurs, Hong Kong est l’une des villes les plus denses au monde, un terreau « fertile » pour les contaminations.
« On ne trouvait plus rien en rayon »
Pour enrayer cette explosion des cas, Carrie Lam, la cheffe de l’exécutif local, a évoqué mi-février un confinement et un dépistage obligatoire de l’ensemble du territoire. « Il y a eu un vent de panique : on ne trouvait plus rien en rayon, les prix des produits frais ont augmenté, raconte Aline. Maintenant ça va mieux, même si tous les produits ne sont pas revenus, on ne va pas mourir de faim. »
De nombreuses familles ont pris peur en entendant parler de ce dépistage massif. « Il est arrivé que les autorités bloquent une résidence et tout le monde doit se faire tester. » Si vous êtes positif, direction les centres d’isolement ou l’hôpital. « Je ne connais pas de proches à qui c’est arrivé, mais nous lisons et entendons des témoignages de familles qui ont été séparées. Les enfants, y compris dès 2 ans, étaient envoyés sans leurs parents dans un centre d’isolement. Et quand les enfants étaient hospitalisés, ils étaient sans doute mieux pris en charge, mais les parents ne pouvaient pas leur rendre visite pendant deux semaines… » Finalement, Carrie Lam a renoncé à réaliser ce dépistage massif.
Il n’empêche, depuis un mois, la vie semble suspendue. « Tout a fermé, comme en mars 2020 en France, reprend Aline. C’est vrai que les gens en ont marre. Depuis deux ans, les voyages sont limités. J’ai des collègues d’origine vietnamienne qui avaient l’habitude d’accueillir leurs parents régulièrement et qui n’ont pas vu leur famille depuis trois ans. C’est du jamais vu ! »
Un exode massif
Epuisées par ces restrictions drastiques et inquiètes, certaines familles ont décidé de quitter Hong Kong, temporairement ou définitivement. L’île vit un véritable exode. Les frontières hongkongaises ont connu un solde net de 134.000 départs depuis le début de l’année 2022. « Il s’agit d’expatriés, mais aussi de Hongkongais qualifiés, précise Aline, qui est informaticienne. D’ailleurs, ça se voit dans les recrutements. J’ai des collègues qui sont partis et c’est difficile de les remplacer. Tous les Hongkongais qui ont les moyens et de la famille à Londres, aux Etats-Unis, veulent partir, surtout avec des enfants en bas âge. Les enfants n’ont pas repris l’école à temps plein depuis deux ans ! » Et depuis le 1er février, tous les établissements scolaires, locaux comme internationaux, ne font cours qu’à distance.
Est-ce cet exode ou les plaintes du monde économique ?…. Lundi, le gouvernement a fait part de décisions étonnantes. « A partir du 1er avril, le gouvernement de Hong Kong lèvera l’interdiction de vols depuis neuf pays », a déclaré Carrie Lam. Notamment la France, les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie… Par ailleurs, elle a annoncé que la période de quarantaine obligatoire à l’hôtel pour les personnes arrivant de l’étranger et vaccinées passera de deux semaines à une semaine. Et surtout, à partir du 19 avril, les écoles maternelles, primaires et internationales reprendront l’enseignement en présentiel. « Lundi, on a entendu une flambée de joie dans les classes en ligne ! », s’amuse Aline.
La mère de famille ne cache pas qu’elle est partagée entre soulagement et inquiétude… « On reste dubitatif. On ne comprend pas la motivation de cette décision. » Certes, les cas baissent rapidement, passant de 67.000 en 24 heures le 5 mars à 14.000 le 21. Mais les décès restent élevés et les hôpitaux bondés. « S’ils rouvrent, en plus…., souffle Aline. Ils ont lancé une campagne de vaccination dans l’équivalent de nos Ehpad. Mais pour rattraper le gap de cette population peu vaccinée, il va falloir du temps. »
La fin de la stratégie « Zéro Covid » ?
Ce revirement est-il prématuré ? Marque-t-il un abandon pur et simple de la stratégie « Zéro Covid », chère à cette île, mais plus encore à Pékin ? « La stratégie "Zéro Covid", c’est énormément de contraintes depuis deux ans, souligne Anne Sénéquier, coautrice de La géopolitique tout simplement*. Avec des variants extrêmement contagieux, le traçage systématique devient compliqué, voire impossible. Dans notre naïveté, nous avons pensé que la pandémie serait l’affaire de quelques semaines… Mais on voit que cette stratégie n’est pas tenable sur le long terme. La Nouvelle-Zélande, l’Australie, l’Islande l’ont d’ailleurs abandonnée. »
Mais pas le géant chinois, qui a la mainmise sur Hong Kong. « La Chine a toujours cette volonté de contrôle de la pandémie pour des raisons politiques et géopolitiques, poursuit la chercheuse. Ils veulent faire oublier que ça a émergé sur leur territoire et montrer que la Chine a su faire face. » Pour combien de temps ?
* La géopolitique tout simplement, Anne Sénéquier et Pascal Boniface, Editions Eyrolles, 28 €.