IVG : Que va changer l’allongement du délai légal de 12 à 14 semaines pour les femmes ?
DROITS DES FEMMES•Ce mercredi la proposition de loi visant à allonger le délai légal pour avorter de 12 à 14 semaines a été définitivement adoptée
Anissa Boumediene
L'essentiel
- Après une longue navette parlementaire, le texte proposant d’allonger le délai légal de l’IVG a été adopté définitivement ce mercredi.
- Ainsi, il passe à 14 semaines, contre 12 aujourd’hui.
- Deux semaines de plus, qui vont changer les choses pour les droits des femmes à disposer de leur corps.
C’est fait ! La proposition de loi prévoyant de rallonger de 12 à 14 semaines le délai légal de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été votée définitivement à l’Assemblée nationale ce mercredi, au terme d’une navette parlementaire entamée en octobre 2020 et de débat houleux. Il a été adopté avec le soutien de LREM par 135 voix pour, 47 contre et 9 abstentions.
Un texte porté par la députée écologiste Albane Gaillot, pour renforcer le droit à l’avortement en France. Mais en pratique, que vont changer ces deux semaines supplémentaires pour permettre aux femmes de mettre un terme à une grossesse non désirée ? « Concrètement, cela peut tout changer », répond Sarah Durocher, coprésidente nationale du Planning Familial.
Un accès à l’IVG encore difficile
Manque de praticiens, la fermeture progressive de centres IVG sur le territoire ou encore désertification médicale, « un rapport parlementaire coécrit par la députée Marie-Noëlle Battistel (PS) soulignait déjà en septembre 2019 ces difficultés d’accès à l’IVG et recommandait l’allongement du délai à 14 semaines », indique Sarah Durocher. D’autant que « la restriction de personnels et la suppression de centres pratiquant l’avortement lors de restructurations hospitalières sont venues aggraver une pénurie préexistante de médecins pratiquant l’IVG, tout particulièrement dans certains territoires en tension », relève le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE).
« L’accès à l’IVG est encore difficile aujourd’hui, et ces difficultés ont été accentuées durant la pandémie », déplore la coprésidente du Planning Familial, qui a lancé en 2021 « une pétition, un nouveau manifeste de 343 personnalités, qui a recueilli environ 50.000 signatures. L’objectif, en plus d’accorder davantage de temps aux femmes, est de destigmatiser l’avortement. Durant les confinements, qui ont fragilisé beaucoup de femmes vulnérables, on a constaté que l’avortement est encore aujourd’hui considéré comme un acte médical à part : on a peu entendu le ministre de la Santé, Olivier Véran, aborder la problématique de l’accès à ce qui est pourtant un soin d’urgence. C’est une chance d’avoir ce texte aujourd’hui, porté par la députée Albane Gaillot, avec le soutien de parlementaires, de professionnels de santé et d’associations qui se sont mobilisés ».
« J’étais totalement désemparée »
Pour le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), défavorable à cet allongement de 12 à 14 semaines, « aucune femme ne demande, ni n’espère, une IVG tardive. Ce qu’elles demandent en revanche, c’est que leur prise en charge soit rapide lorsqu’elles décident d’interrompre leur grossesse ». Améliorer les délais de prise en charge « est évidemment un point sur lequel il est important de progresser, confirme Sarah Durocher. En revanche, il me semble plus important d’entendre la parole des femmes avant celle des médecins qui parlent souvent à la place des premières concernées ».
Il y a quelques années, Sabrina découvre qu’elle est enceinte d’une quinzaine de semaines. En situation de grande précarité, la jeune femme d’une vingtaine d’années ne peut plus avorter légalement en France, mais n’a pas les moyens de se rendre à l’étranger. « J’étais totalement désemparée, je ne pouvais pas en parler à mes parents, j’étais séparée de mon compagnon et je n’avais pas d’argent ». Un cas loin d’être isolé. « Ainsi, les femmes qui dépassent les délais, faute par exemple d’accès à un parcours de prise en charge efficace, s’engagent dans un parcours compliqué aux frais importants en se rendant dans les pays où les délais légaux sont plus longs, mettant en lumière une inégalité économique entre les femmes », observe le HCE.
« Eviter d’aller à l’étranger ou de subir une grossesse non désirée »
Au Planning Familial, « nous voyons tous les jours sur le terrain des femmes obligées d’aller à l’étranger ou de subir une grossesse non désirée parce qu’elles ont dépassé le délai légal en France, confie Sarah Durocher. Et c’est précisément ce que nous souhaitons leur éviter ». Il s’agit là des « femmes les plus vulnérables, les très jeunes, les plus éloignées du système de soins, les femmes qui ont le moins accès à l’information sanitaire, celles qui n’ont pas de moyen de locomotion ou encore celles victimes de violences », détaille Marie-Noëlle Battistel, alors que 2.000 à 5.000 femmes seraient contraintes chaque année de se rendre à l’étranger pour avorter car elles ont dépassé les délais légaux.
Et le délai légal passe vite. Très vite. « Entre le temps de la découverte parfois tardive de la grossesse, de la réflexion, de la décision et le temps d’accéder à l’acte médical, en particulier si l’on vit dans un désert médical, allonger le délai de 12 à 14 semaines est loin d’être anecdotique, insiste Sarah Durocher. Pour toutes ces raisons, des femmes peuvent avoir besoin d’avorter plus tard ».
« Un jour important pour les droits des femmes »
Une réalité qu’elle constate au quotidien. « Chaque jour, on voit au moins une femme pour une IVG en délai dépassé, note Sarah Durocher. Dans ce cas, si elle le souhaite, on l’informe, et ensuite si elle en a la volonté et la possibilité, elle prend rendez-vous pour une IVG à l’étranger, mais il lui en coûtera environ 1.500 euros. D’où une injustice pour toutes celles qui ne peuvent pas payer ». Sans l’aide de sa plus proche amie, qui lui a « prêté toutes ses économies, je n’aurais jamais pu aller avorter aux Pays Bas », se souvient Sabrina. Mais d’autres en viennent à mettre leur santé en danger. « On a vu des femmes se faire tomber dans les escaliers pour arrêter une grossesse non désirée, révèle Sarah Durocher. C’est pourquoi ces deux semaines de plus peuvent faire toute la différence ».
Ce mercredi marque ainsi « un jour important pour les droits des femmes », s’est réjouie Albane Gaillot, qui a porté ce texte « issu d’un travail transpartisan. Si elle est adoptée, ma proposition de loi renforçant le droit à l’IVG marquera une avancée historique », a-t-elle ajouté, alors que le vote définitif est prévu ce mercredi après-midi. A l’issue de ce vote, « ce sera notre rôle d’informer les femmes pour leur dire que la loi a changé, que leurs droits ont évolué », prévoit Sarah Durocher, qui rappelle « le numéro du gouvernement sur l’IVG : le 0800 08 11 11 ».
Sécuriser davantage le droit à l’IVG
Ce texte, qui intervient quarante-sept ans après la loi Veil ayant dépénalisé l’avortement, « constitue aujourd’hui une victoire, mais ce droit à l’IVG doit encore être sécurisé », insiste la coprésidente du Planning Familial. Pour le HCE, « de nouvelles réformes sont donc indispensables ». Selon cette autorité consultative indépendante placée auprès du chef du gouvernement, il faut aller plus loin en l’inscrivant au sommet de la hiérarchie des normes : la Constitution. « Assurer les droits sexuels et reproductifs des femmes doit être la priorité des pouvoirs publics. Il est donc urgent de développer et appliquer les mesures qui garantissent leurs accès et de les inscrire dans la constitution française. Cette reconnaissance du caractère fondamental [de ces droits] permettra alors de les promouvoir à l’échelle européenne », assure le HCE.
Une proposition « qui fait sens, abonde Sarah Durocher. Inscrire ce droit dans la Constitution en ferait un droit fondamental, qu’il ne serait plus possible de menacer ou de remettre en question. C’est d’autant plus important aujourd’hui que ce droit est très fragilisé et attaqué en Europe et dans le monde. Ce mercredi est un jour de victoire pour les droits des femmes en France, mais il reste encore beaucoup de travail à accomplir ».