EPIDEMIEL’obligation vaccinale, prochaine étape de la lutte contre le Covid-19 ?

Coronavirus : L’obligation vaccinale suivra-t-elle logiquement le pass en France ?

EPIDEMIELe pass vaccinal à peine adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, plusieurs voix réclament une obligation vaccinale, sur le même modèle que l’Italie ou l’Autriche

L'essentiel

  • Le pass vaccinal a été voté en première lecture à l’Assemblée nationale jeudi matin, après trois jours de débats.
  • La question de l’obligation vaccinale, mise en place en Italie et en Autriche, s’est posée dans les rangs des députés. L’ancien Premier ministre Edouard Philippe s’est déclaré en faveur d’une telle obligation.
  • Pour Michaël Rochoy et Laurent Chambaud, deux spécialistes interrogés par 20 Minutes, sa mise en œuvre serait toutefois compliquée et son effet limité.

Chahuté par les propos d’Emmanuel Macron sur les non-vaccinés, le débat sur le pass vaccinal s’est clos aux aurores jeudi matin par un vote largement en faveur du texte. Pourtant, dans les discussions du Palais-Bourbon et sur les plateaux télés (ou radio), c’est sur un autre dispositif de lutte contre l’épidémie de coronavirus que l’on est revenu avec insistance : l’obligation vaccinale. « Ma conviction, c’est qu’au moment où l’on en est de la maîtrise des vaccins, du développement de l’épidémie, on devrait pouvoir se poser cette question et j’y suis plutôt favorable », s’est avancé mercredi matin l’ancien Premier ministre Edouard Philippe sur France 2. Alors, l’obligation vaccinale est-elle la prochaine étape de la lutte contre le Covid-19 ? Et serait-elle la solution efficace ?

Le problème de la définition du vacciné

L’idée fait en tout cas son chemin en Europe. En Autriche, les non-vaccinés devront payer une amende de 600 euros à partir du 1er février, tandis que l’Italie s’apprête à obliger ses plus de 50 ans à avoir un parcours vaccinal complet. Mais alors que la France est au beau milieu de sa campagne de rappel, l’obligation de vaccination pose question. « Il faut définir ce qu’est être vacciné. Est-ce quelqu’un qui a commencé son schéma avec la première dose ? Deux doses ? Ou qui a fait son rappel ? Que fait-on des vaccinés deux doses, mais qui n’ont pas fait la troisième ? », s’interroge Michaël Rochoy, médecin généraliste.

Celui qui est également chercheur en épidémiologie évoquent également les nombreuses personnes « qui ont le Covid-19 et annulent leur vaccination, puisque leur contamination leur donnera une immunité ». Mettre en place une obligation vaccinale nécessiterait de prendre en compte des différents profils de vaccinés, pour définir qui l’Assurance Maladie devrait contacter en priorité. « On peut imaginer que ça soit à géométrie variable, comme en Italie » avec une limite d’âge, esquisse Laurent Chambaud, directeur de l’Ecole des hautes études de santé publique.

La politique « Aller vers »

La question de la population visée est centrale, puisque la France compte déjà plus de 90 % de sa population éligible vaccinée à deux doses, et qu’il y a « entre 5 et 10 % d’irréductibles », selon Laurent Chambaud. On approche d’un plafond de verre de la vaccination et le spécialiste de santé publique n’est « pas certain que la vaccination obligatoire change quoi que ce soit », soulignant que « la France a choisi l’obligation sociale » de se faire vacciner via le pass sanitaire puis vaccinal. Une stratégie « efficace » vu le fort taux de vaccination, alors que l’Autriche ne compte que 72 % de sa population vaccinée. De plus, mettre une amende pour non-vaccination, la seule « punition » possible, pourrait « créer une inégalité » selon Michaël Rochoy, qui craint un « droit à ne pas se faire vacciner pour les riches ». Le médecin imagine difficilement une menace par l’emploi, inopérante pour les retraités et les chômeurs.

Passer du contrôle des pass pour accéder à tout lieu de culture à l’amende pour les cas récalcitrants, Jean Castex, successeur du fondateur d’Horizons à Matignon, n’est pas franchement pour, et l’a fait savoir à Jean-Jacques Bourdin ce jeudi matin, sur RMC. « L’objectif est de vacciner, pas de faire rentrer de l’argent », a tancé le Gersois, qui juge aussi le pass « plus efficace », notamment en ce qui concerne les contrôles. Mais du côté des dispositifs allant vers plus de contraintes, ça ne serait pas la première fois depuis le début de l’épidémie que l’exécutif dit « non » pour mieux dire « oui » ensuite.

Néanmoins, les deux experts interrogés par 20 Minutes soulignent l’importance de continuer à progresser, de grappiller les derniers pourcentages. Ainsi, Olivier Véran annonçait mercredi soir 66.000 primo-vaccinés de plus en une journée, un record sur les trois derniers mois. Pour cela, Laurent Chambaud insiste sur la notion « d’aller vers ». On estime qu’environ 20 % des non-vaccinés sont des personnes âgées, qui ne peuvent pas se rendre facilement en centre de vaccination ou n’ont pas accès à l’information. « C’est important de sensibiliser les collectivités territoriales et les associations » qui peuvent repérer les personnes hors système, âgées ou en situation de grande pauvreté, estime-t-il.

Obligation vaccinale vs réalité politique

« Le vaccin n’est pas le seul élément de la stratégie de lutte contre l’épidémie, il faut rappeler l’importance des gestes barrières », martèle Laurant Chambaud. Mais en pleine précampagne présidentielle, l’heure est à la surenchère et l’obligation vaccinale a même fait partie des arguments contre le pass vaccinal. La réflexion autour d’une obligation vaccinale se heurte ainsi à la réalité politique du moment, en particulier en Outre-mer, où le scandale du chlordécone vient de trouver son aboutissement et où le patron de l’hôpital de Pointe-à-Pitre a dû être exfiltré par la police. « Si on fait une obligation vaccinale, elle doit être nationale. Mais c’est une question qui doit être discutée démocratiquement, ce qui est compliqué actuellement », prévient Michaël Rochoy.

Le généraliste qui est aussi membre du collectif Du côté de la science suggère même de soumettre la question à un référendum. Laurent Chambaud préfère, de son côté, oublier une telle proposition à court terme. « Ce qui me semble important, c’est comment les enjeux de santé publique vont être présents dans la campagne ? » Pas sûr que tous les candidats soient chauds pour un débat apaisé et approfondi sur le sujet.