Coronavirus : Pourquoi les manifestations contre les mesures sanitaires se multiplient-elles en Europe ?
EPIDEMIE•L’Autriche, les Pays Bas et la Belgique connaissent des tensions après les annonces gouvernementales de nouvelles restrictions pour freiner la propagation du Covid-19Marie De Fournas
L'essentiel
- Avec l’arrivée brutale d’une cinquième vague de Covid-19 en Europe, plusieurs pays ont pris des mesures drastiques provoquant la colère de leurs citoyens.
- Au-delà des restrictions adoptées par les gouvernements, c’est surtout la façon de les imposer aux populations qui serait à l’origine des manifestations, soulignent les experts interrogés par 20 Minutes.
- Le Covid-19 ne serait alors que l'expression de tensions bien plus profondes de certains citoyens vis-à-vis de leur gouvernement.
Avec la cinquième vague de coronavirus qui déferle sur l’Europe, les restrictions sanitaires réapparaissent dans certains pays et régions, provoquant un vent de frustration. Samedi et dimanche, des milliers d’Autrichiens sont descendus dans les rues pour manifester leur mécontentement alors que le pays s’est totalement reconfiné à minuit dimanche. De violentes manifestations ont également eu lieu au Pays-Bas trois jours durant, après que le gouvernement a décidé de fermer les restaurants à 20h et d’appliquer des confinements partiels. Enfin, il a eu des troubles dimanche en Belgique en marge d’une manifestation à Bruxelles après la généralisation du port du masque, ainsi que le retour obligatoire du télétravail.
Des incidents encore loin de ceux en Guadeloupe , qui a connu dimanche son septième jour de violences, entre barrages routiers, incendies et pillages. Là-bas, la vague de mécontentement face aux restrictions sanitaires et à l’obligation vaccinale des soignants a dégénéré en crise sociale d’ampleur. Le phénomène est-il en passe de s’amplifier et de s’étendre à d’autres pays d’Europe ?
Les manifestations surviennent-elles pour les mêmes raisons dans les différents pays ?
Au regard des 65 % d’Autrichiens complètement vaccinés ou des 46,43 % d’adultes ayant reçu une première dose en Guadeloupe, le taux de couverture vaccinale semble corrélé aux tensions survenues dans ces pays. « Ces populations sont plus fortement frappées par les vagues de Covid-19 et leur gouvernement n’a alors pas d’autre choix que de prendre rapidement des mesures ou de reconfiner pour éviter la saturation des hôpitaux », souligne Caroline De Pauw, sociologue spécialiste des sujets de santé et directrice de l’URPS (Union régionale des professionnels de santé) des Hauts-de-France. « D’autre part, les populations non vaccinées sont déjà sceptiques à l'égard de ce que leur propose leur gouvernement et restent dans une logique de non-adhésion. »
Mais une faible couverture vaccinale n’est pas l’unique origine des mouvements de contestation. En effet, les Pays-Bas et la Belgique ont une population complètement vaccinée à 75 %. Mais pour ces pays aussi, l’annonce de nouvelles privations de liberté s’est faite brutalement, sans pallier, ni acclimatation. « On passe de périodes d’euphorie à des périodes d’abattement, avec en prime une information en continu qui crée un sentiment de peur ou d’attente permanente », analyse Loïc Nicolas, docteur en communication politique à l’université libre de Belgique et chercheur au sein du laboratoire Protagoras de l’IHECS (Institut des hautes études des communications sociales). Au-delà des restrictions, la façon de les annoncer serait également la cause des tensions actuelles.
Pourquoi ces manifestations éclatent-elles maintenant ?
Cela fait plus de deux ans que les pays européens affrontent les différentes vagues de Covid-19. Ce n’est donc pas la première fois que leurs citoyens doivent se confiner ou accepter des restrictions sanitaires pour tenter d’enrayer l’épidémie. Cependant, le contexte n’est pas le même qu’au début de la crise sanitaire. « Jusqu’à présent, la plupart des personnes ont accepté de retrouver leur liberté au prix de la vaccination. C’était fondé sur des promesses, qui aujourd’hui ne sont pas tenues. Elles ont l’impression qu’en cours de jeu, les gouvernements ont décidé de changer les règles », expose Loïc Nicolas.
« On a dit aux gens que la vaccination permettrait d’envisager des baisses de restrictions. Sauf qu’il faut atteindre des taux importants et que le vaccin prévient surtout des formes graves, mais pas de toutes les formes », commente Caroline de Pauw, selon laquelle les mesures actuelles sont par conséquent vécues comme une injustice après tant de sacrifices. « Il y a une lassitude, les gens se disent que ça n’en finira jamais. »
Pourquoi la contestation pourrait-elle s’étendre à d’autres pays européens ?
Si l’élément déclencheur des manifestations est sans conteste l’annonce de nouvelles restrictions, elles apparaissent surtout là où la confiance accordée à la parole politique a été ébranlée. Le Covid-19 devient alors l’expression de tensions plus profondes. « En période critique, lorsque le détenteur de l’autorité publique manque à sa parole – une parole politique, de confiance, d’Etat –, on peut difficilement s’étonner qu’il puisse y avoir de forte tension sociale », explique Loïc Nicolas, soulignant que celles-ci sont attisées par un contexte socio-économique et écologique porteur de grandes incertitudes.
En France, a contrario, « les restrictions sont déjà en place depuis longtemps avec l’instauration du pass sanitaire, souligne Caroline de Pauw. Il y aura peut-être un peu plus de contrôles des pass avec le début de la cinquième vague, mais le dispositif est intégré à notre quotidien. » Peu de chance, a priori, que des manifestations éclatent comme en Guadeloupe… A moins d’un nouveau variant qui ne répondrait pas aux vaccins actuels. « On est jamais à l’abri. Ça viendrait mettre à terre tout ce que les gens sont en train d’accepter et cela changerait leur point de vue », assure l’experte.
Quelle stratégie adopter pour éviter une rébellion massive en Europe ?
Pour les deux experts, c’est avant tout la manière de communiquer et d’agir des gouvernements qui sera déterminante dans l’acceptation de la situation actuelle. « Ces manifestations ne sont pas rationnelles, on est sur une réaction affective et émotive », souligne Caroline de Pauw, qui estime que les chefs d’Etat devraient réinjecter du positif et des perspectives dans leurs discours. « C’est comme quand on veut arrêter de fumer, illustre l’experte. On a besoin de se projeter, en se disant qu’on le fait pour ne pas mourir d’un cancer dans dix ans, reprendre la course à pied sans être essoufflé. Sion vous enlève quand même ce plaisir mais qu’on vous dit que rien ne va changer dans votre vie, vous n’arrêterez jamais de fumer. »
D’autre part, gérer la pandémie en séparant les citoyens vaccinés et non vaccinés, les jeunes et les vieux, les soignants et les autres « est extraordinairement dangereux », martèle Loïc Nicolas. « En remerciant les uns pour leur solidarité et en stigmatisant les autres, on crée des ressentiments au lieu de travailler à réunir le corps social autour d’émotions positives sur des bases solidaires », conclut-il.