Coronavirus : « Evitons à nos hôpitaux une grosse épidémie de grippe plus une 5e vague », appelle Olivier Véran
INTERVIEW•Le ministre de la Santé répond à nos questions sur l’épidémie de Covid-19 et sur la crise dans les hôpitauxPropos recueillis par Oihana Gabriel
L'essentiel
- Le taux d’incidence du Covid-19 dépasse désormais les 100 cas pour 100.000 habitants en France. Un seuil qui n’avait plus été atteint depuis la mi-septembre.
- Face à cette cinquième vague, la France a des atouts : une couverture vaccinale élevée et des citoyens globalement respectueux des gestes barrières.
- Campagne de rappel, malaise des soignants, effets du Ségur de la Santé… Olivier Véran répond à nos questions sur l’épidémie et ses conséquences sur notre système de santé.
Les indicateurs du Covid-19 s’envolent… et le thermomètre de l’angoisse avec. La France est entrée dans une cinquième vague alors même que l’hôpital donne des signes d’épuisement. Au point de devoir serrer la vis une nouvelle fois face à l’épidémie ? Le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, répond aux questions de 20 Minutes.
Où en est-on, aujourd’hui, sur le front du Covid-19 ?
La cinquième vague frappe à son tour la France, avec plus de 10.000 cas par jour, près de 20.000 ces dernières 24 heures [ce mardi]. Les contaminations montent vite désormais. Pour le moment, les hospitalisations restent contenues grâce à la vaccination massive des Français, 90 % des personnes éligibles étant vaccinées. Mais le virus arrive à se faufiler et il touche en priorité les non-vaccinés.
La quatrième vague cet été a été courte et ne s’est pas accompagnée d’une surcharge hospitalière massive. Mais les conditions climatiques sont beaucoup plus favorables à la circulation virale. Il fait froid, humide, on se retrouve davantage à l’intérieur. Difficile d’estimer par avance quelle sera l’ampleur de la vague ; de premières modélisations font état d’un risque de dépasser les 1.000 hospitalisations par jour d’ici à janvier.
Pourquoi la France s’en sort-elle mieux que ses voisins ?
L’Allemagne compte plus de 40.000 cas par jour, un record, les pays de l’Est réinstaurent des mesures dures de confinement partiel. En France, nous avons retardé de plusieurs semaines cette cinquième vague. Grâce à une meilleure vaccination. Nous avons aussi mis en place tôt et maintenu les outils qui permettent de réduire les contaminations, comme le pass sanitaire. La plupart des pays qui font face à une reprise brutale des contaminations n’avaient pas ou plus ce pass sanitaire. Certains le remettent en place ou en élargissent l’usage. D’autres vont plus loin, notamment les Autrichiens, avec un confinement des non-vaccinés, mais ce n’est pas notre choix.
« « Le variant Delta est tellement contagieux que même lorsqu’une petite minorité de la population n’est pas vaccinée, il circule. » »
Avec 74,8 % de la population totalement vaccinée, comment expliquer ce rebond ?
La vaccination a deux grands objectifs. D’abord, sauver des vies. La plus grande étude au monde sur la question est française. Elle montre qu’avec le vaccin, on a 12 fois moins de risque quand on a au moins 50 ans de faire des cas graves de Covid-19 et d’être hospitalisé. Le deuxième objectif, c’est ce qu’on appelle l’immunité collective, c’est-à-dire empêcher la circulation du virus. Or, le variant Delta est tellement contagieux que même lorsqu’une petite minorité de la population n’est pas vaccinée, il circule. D’autant qu’il peut contaminer – le plus souvent sans symptômes ou avec peu de symptômes – des personnes déjà vaccinées.
Constatez-vous un relâchement des gestes barrières ?
J’entends qu’on se relâcherait depuis le premier jour de cette pandémie ! Contrairement à ce que beaucoup pressentaient, les Français ont été extrêmement solides, respectueux des gestes barrières. Diminuer sa vigilance quand le risque est moins élevé, ça s’entend. En revanche, quand nous entrons dans une période très propice à la circulation du virus, comme aujourd’hui, il est vraiment fondamental qu’on fasse tous ce geste citoyen supplémentaire : porter le masque, garder ses distances, se laver les mains ou se faire tester au moindre doute.
L’Allemagne se prépare à un retour massif au télétravail. Est-ce une piste explorée par le gouvernement ?
Actuellement, la circulation du virus s’accélère, mais nous n’avons pas une vague hospitalière. Le télétravail est un outil auquel nous avons eu recours quand il a fallu. Nous n’y sommes pas encore aujourd’hui, mais cela fait partie des mesures que nous pourrions mobiliser le cas échéant.
« « Dans les conditions actuelles de circulation du virus, (…) un confinement serait disproportionné. » »
Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a assuré samedi soir que « rien n’est à exclure », y compris un reconfinement. Risquons-nous d’en arriver là ?
Nous n’en sommes clairement pas là. Dans les conditions actuelles de circulation du virus, de vaccination massive, d’utilisation des gestes barrières, un confinement serait disproportionné. Mais restons très prudents, car ce virus et ses variants nous ont déjà montré qu’ils pouvaient déjouer les pronostics et nous contraindre à des mesures de freinage collectives urgentes. Personne ne s’attendait à la vague épidémique actuelle aux Pays-Bas, qui a une couverture vaccinale à peine inférieure à la nôtre.
N’y aurait-il pas un problème d’acceptabilité s’il fallait imposer des restrictions après vingt mois de crise et à quelques semaines de Noël ?
L’Organisation mondiale de la santé prévoit que d’ici à la fin de l’hiver, on pourrait avoir jusqu’à un demi-million de morts supplémentaires en Europe, notamment si la vaccination n’y progressait pas, notamment à l’Est. Il est normal d’être excédé, de râler, de se dire qu’on a déjà fait beaucoup d’efforts, parce que c’est vrai.
Mais on fait face à un ennemi qui nous contraint à adopter cette vigilance dans la durée. Je sais que les Français comprennent comment le virus fonctionne. A Noël, par exemple, il est plus prudent, pour retrouver ses grands-parents, que tout le monde soit vacciné et à jour, de maintenir les gestes barrières et aérer les pièces régulièrement.
Emmanuel Macron a incité la semaine dernière les Français de plus de 50 ans à recevoir une troisième dose. La campagne de rappel a-t-elle décollé ?
D’abord, plus de la moitié des Français âgés des plus de 65 ans éligibles avaient fait leur rappel avant l’intervention du président. Et elle a rehaussé encore cette dynamique avec plus de 115.000 injections par jour en moyenne. On a même vu un impact sur les primo-vaccinations, avec une augmentation de 20 % des prises de rendez-vous. Il nous reste cependant encore 6 millions de Français éligibles qui n’ont pas reçu la moindre dose. Ces Français-là, il faut absolument qu’ils se protègent.
A partir du 15 décembre, les plus de 65 ans vaccinés depuis six mois et cinq semaines devront avoir fait un rappel sous peine de perdre leur pass sanitaire. Certains ne comprennent pas pourquoi l’effort pèse sur les « bons élèves », alors que cette vague touche majoritairement les non-vaccinés…
La réponse, ce sont les faits. Parce que 83 % des personnes en réanimation pour Covid-19 ont plus de 50 ans, et qu’au bout d’un certain temps, la vaccination protège moins les personnes plus âgées ou plus fragiles.
« « Evitons à nos hôpitaux une grosse épidémie de grippe, plus une cinquième vague de Covid-19. » »
La vaccination des enfants est-elle envisageable ?
La question se pose d’un point de vue scientifique. Les Etats-Unis et Israël ont commencé la vaccination des 5-11 ans, ce qui nous donnera des renseignements sur comment cela se passe en vie réelle. Les études utilisées par l’Agence américaine des médicaments montrent que le vaccin chez les enfants est efficace et sûr. Nous attendons dans les prochaines semaines l’instruction transparente, objective et exhaustive de l’Agence européenne du médicament. Ce sera ensuite aux autorités scientifiques françaises, sans doute d’ici à début 2022.
Cette nouvelle vague risque-t-elle d’être aussi meurtrière que les précédentes ?
La vaccination protège de la surmortalité, nous l’avons vu avec la 4e vague. Mais ce que nous disent les premières modélisations, avec tout le conditionnel possible, c’est que cette vague épidémique pourrait se prolonger sur décembre et janvier et avoir un impact sanitaire important. Sans doute moindre que pendant les deux premières vagues. Mais si vous ajoutez à cela la bronchiolite, la grippe, les gastros, on arrive à une situation de fragilité pour notre système de santé.
A quel point les hôpitaux ont-ils la capacité de faire face ?
Les hôpitaux français ont tenu. Nous n’avons pas vu en France de malades avec des bouteilles d’oxygène dans leur voiture, sur le parking d’un hôpital, ce qui a été le cas chez nos voisins italiens. Les hospitaliers n’ont pas envie de faire face à une cinquième vague hospitalière. Mais si la situation l’exigeait, ils ont déjà montré qu’ils étaient courageux, solides et solidaires. Donc, évitons à nos hôpitaux une grosse épidémie de grippe, plus une cinquième vague de Covid-19.
Certains quittent l’hôpital public, et selon un avis du Conseil scientifique daté du 5 octobre, 20 % des lits dans les hôpitaux français pourraient fermer par manque de personnel…
J’ai déjà dit que ce chiffre était malheureux car erroné, et il a été surexploité. La Fédération hospitalière de France a fait une enquête et parlé de 5 à 6 %, peu ou prou comme en 2019 à la même période. Une étude sur 15 CHU [hors Ile-de-France] montre qu’il y a même en réalité un peu plus de soignants aujourd’hui qu’il y a deux ans dans nos hôpitaux.
Certains lits ont été transformés pour conserver de grandes capacités de réanimation. D’autres ont été temporairement fermés pour transformer des chambres doubles en chambres simples en période Covid. On est en train de les redéployer progressivement. Ce qui n’empêche pas qu’il y ait des tensions, en particulier dans les services d’urgence et certains blocs opératoires.
Comment éviter que l’hémorragie à l’hôpital ne continue ?
Il n’y a pas une fuite des soignants. Il y a heureusement des hôpitaux qui ne sont pas confrontés à des difficultés particulières, mais aussi, c’est vrai, des services fragilisés. Les arrêts maladie ont légèrement augmenté, d’un point seulement, des soignants récupèrent aussi légitimement des congés repoussés, des heures supplémentaires nombreuses depuis un an.
« « Tout est en place pour une amélioration des conditions de travail et pour redonner du sens. » »
N’est-ce pas la preuve que le Ségur a été insuffisant ?
Le Ségur, c’est une nouvelle donne pour l’hôpital et le système de santé : nous avons augmenté les salaires de 183 euros par mois pour tout le monde à l’hôpital. Et au 1er janvier 2022, toutes les grilles salariales des soignants augmenteront à nouveau. Nous avons aussi simplifié les organisations internes à la demande des soignants, nous sommes en train d’investir dans des bâtiments neufs. Tout est en place pour une amélioration des conditions de travail et pour redonner du sens. Mais ça n’enlève rien à la fatigue, à l’usure, à l’impatience. Parce qu’il y a beaucoup d’arriérés. Il faut des années pour former des médecins, des années pour rénover un hôpital. Mais cette fatigue, vous pouvez la constater dans n’importe quel pays qui a vécu des vagues de Covid-19.
L’obligation vaccinale n’a-t-elle pas accentué le malaise de certains hospitaliers ?
Objectivement, il y a une très forte compréhension de la raison pour laquelle l’obligation vaccinale a été adoptée par le Parlement. Le nombre de suspensions a été très limité : 0,6 % des professionnels des établissements. Et les soignants suspendus retrouvent leur emploi une fois vacciné. Je n’ai pas encore vu une unité hospitalière fermée à cause de l’obligation vaccinale. Même en Guadeloupe, où l’on partait de loin, on est monté à des taux de vaccination à 93 % de soignants dans certains hôpitaux.
Autre actualité, celle du PLFSS 2022, en cours d’examen au Parlement. Il prévoit d’autoriser les orthoptistes à prescrire des lunettes, un accès aux kinés sans prescription… Mais la délégation de tâches fait grincer des dents certains médecins. Faut-il poursuivre dans cette voie ?
Avec urgence, pour combler notre retard. La France est un pays qui s’illustre par l’absence de reconnaissance de l’expérience. Ici, une infirmière depuis vingt ans ne peut pas prescrire du paracétamol à un patient qui a mal à la tête… alors qu’elle pourra en donner à son enfant chez elle. Un kiné ne peut pas voir un patient pour une entorse de la cheville sans qu’il soit adressé par un médecin.
J’assume de lutter contre les déserts médicaux en donnant plus de missions et de compétences à celles et ceux qui, légitimement, n’attendent que ça. Je vois qu’il y a des résistances. Des parlementaires qui me disent pourtant lutter au quotidien contre les déserts médicaux s’opposent à ce qu’on touche à un pré carré. Et c’est un médecin qui le dit !