Le télésoin possible pour les paramédicaux, une avancée ou un danger ?

Le télésoin possible pour les paramédicaux, un avantage ou un risque pour les patients ?

TRANSFORMATIONAprès le boom des téléconsultations, voici que les paramédicaux peuvent désormais proposer des rendez-vous par écran interposé, une nouvelle étape dans le tournant numérique de la santé
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Dix-huit professions de paramédicaux ont désormais la possibilité de pratiquer du télésoin, du soin à distance.
  • Une récente expérimentation a été mise en place en Lorraine et s’est avérée positive, selon les professionnels concernés.
  • Mais généraliser un tel dispositif ne risque-t-il pas, à terme, de déshumaniser ces métiers du soin et du lien ?

Comment un kiné pourrait-il soulager votre tendinite sans vous toucher ? Et une infirmière vérifier une plaie sans vous rendre visite ? La mise en place, toute récente, du télésoin, des consultations à distance pour les paramédicaux, peut laisser dubitatif. Car après le boom des téléconsultations lié à la pandémie de Covid-19, cette nouvelle étape dans le déploiement de la télémédecine représente-t-elle une évolution réellement positive pour les patients ?

C’est quoi, le télésoin ?

Le télésoin, un objectif fixé par Ma Santé 2022, a été mis en place de façon dérogatoire pendant la crise sanitaire. En février 2021, la Haute Autorité de santé a publié les critères et les recommandations pour son bon usage. Et depuis l’arrêté et les décrets, parus début juin, cette pratique à distance a été pérennisée. Dix-huit professions peuvent proposer cette option, notamment les diététiciens, ergothérapeutes, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, orthophonistes, orthoptistes, pédicures-podologues, psychomotriciens et pharmaciens.

Concrètement, ces paramédicaux peuvent proposer à certains patients un rendez-vous à distance, à condition de recueillir leur accord et d’inscrire le compte rendu dans son dossier patient et son dossier médical partagé (DMP). « Ça ne se fera qu’avec un dialogue entre patient et soignant et en fonction des besoins, prévient Gérard Raymond, président de France Assos Santé. L’infirmier doit au préalable vérifier que le patient est équipé (box, smartphone, tensiomètre, lecteur de glycémie…) et qu’il a les capacités cognitives suffisantes pour réaliser ce télésoin. » Ou qu’il ne souffre pas d’illectronisme. « Cela dépend donc du jugement du professionnel et du consentement du patient, et cette autonomie est appréciée par les paramédicaux », assure Alexandre Mathieu-Fritz, professeur de sociologie à l’université Gustave-Eiffel (Marne-La-Vallée), et qui travaille depuis dix ans sur les téléconsultations médicales.

Mais si une téléconsultation avec un psychologue peut sembler évidente, c’est moins le cas pour une infirmière qui panse, recoud, vaccine… « Notre métier est clinique, nous avons besoin de toucher les gens, reconnaît Patrick Chamboredon, président de l’Ordre des infirmiers. L’objectif n’est pas de remplacer le soin, mais de le compléter. Dans certains cas, le numérique permet un lien plus rapide. » Lui voit cette nouveauté comme une avancée, si elle est proposée entre deux consultations à domicile pour rassurer un patient déjà suivi, renouveler une ordonnance, faire de l’éducation thérapeutique…

Une expérimentation en Lorraine

Et les patients y trouvent leur compte. C’est en tout cas la conclusion d’une récente expérimentation mise en place par mesdocteurs.com et la Mutualité française de Lorraine, qui a permis à 15 soignants de réaliser 29 télésoins (seulement). Avec un concept original : l’infirmière coordinatrice est derrière son écran, mais une aide-soignante se déplace au domicile. L’objectif : vérifier que le télésoin répond réellement à un besoin, et dans quel cas.

Maklouf Idri, directeur régional du pôle autonomie de la mutualité française de Lorraine, y voit de nombreux avantages : « les échanges sont tracés, sécurisés sur la plateforme de mesdocteurs alors qu’avant, c’était un peu le système D. C’est un gain de temps et d’efficience pour les équipes soignantes, qui ne sont plus obligées de se déplacer à chaque fois. La plupart des Français espèrent vieillir à domicile. A l’avenir, avec le télésoin, il sera possible d’avoir autour de l’écran une équipe pluridisciplinaire : médecin traitant, infirmière, aide-soignante, nutritionniste… »

Selon Marion Joigny, l’infirmière coordinatrice de l’expérimentation, « cela permet d’assurer un lien plus régulier, d’être plus en mode « alerte »… et pas seulement en temps de canicule ou de crise sanitaire ! » A quelles conditions ? « Le seul critère d’exclusion, c’est la qualité du réseau. Pour la plupart des patients, l’écran ne suscite aucune inquiétude puisqu’ils l’utilisent pour parler avec leurs proches. »

Des avantages variables selon le profil des patients

Mais selon l’âge des patients, leur pathologie, le stade de leur maladie, leurs connaissances, ce télésoin s’avère plus ou moins intéressant. Pour Alexandre Mathieu-Fritz, deux éléments s’ajoutent à l’équation : le lieu du télésoin, donc son équipement. Et le fait de savoir s’il se fait grâce à une tierce personne (aide-soignant, professionnel d’un Ehpad, aidant…) qui peut vérifier l’installation, aiguiller, conseiller…

Pour un patient chronique jeune, connecté et qui souhaite partir en vacances, cette nouvelle flexibilité peut être un avantage. Mais pour une patiente âgée, atteinte d’Alzheimer, isolée, sans aidant, la visite de l’infirmière reste indispensable. Voilà pourquoi ce tournant, si le télésoin devient systématique, semble dévoyer la mission de ces soignants.

« Cela peut améliorer l’accès aux soins, notamment dans les déserts médicaux »

« On est loin des dystopies où tous les soins se font à distance, même si certains ont pu se poser des questions pendant les confinements, reconnaît Alexandre Mathieu-Fritz, par ailleurs codirecteur du Laboratoires techniques, territoires et sociétés (Latts). Dans la réalité, on observe des usages alternés et raisonnés. Il faut laisser aux paramédicaux le temps de définir pour quels usages les pratiques à distance paraissent les plus adaptées. » « C’est une évolution favorable qui peut améliorer l’accès aux soins, notamment dans les déserts médicaux, se félicite pour sa part le président de France Assos Santé. L’accélération de la télémédecine, avec le boom des téléconsultations, la mise en place de la télésurveillance, du télésoin, l’ouverture de Mon espace santé, est voulue par le gouvernement et nous la portons. Mais toujours en pointant cette vigilance : il faut renforcer l’information et l’accompagnement de tous les citoyens, patients et soignants, pour mieux maîtriser ces outils. Sans quoi on ira vers un échec. »

Mais à force de mettre à distance des métiers du soin et du lien, ne va-t-on pas vers des pratiques déshumanisantes ? « Les dispositifs ne sont pas déshumanisants, tout dépend des usages et de leurs contextes, corrige le sociologue. En face en face, certains praticiens discutent de façon incompréhensible du patient à la troisième personne, alors que celui-ci est présent. Comme dans Dr House ! » Et le président de France Assos Santé de conclure : « le numérique est une voie qui s’ouvre et paraît pertinente. A nous d’en faire le meilleur et pas le pire. »