Des milliers de produits alimentaires retirés… Qu’est-ce l’oxyde d’éthylène, cette substance cancérogène omniprésente ?
ALIMENTATION•De nombreux produits alimentaires font l’objet de rappels en raison de la présence de résidus d’oxyde d’éthylèneAnissa Boumediene
L'essentiel
- Des dizaines de références de crème glacée, ainsi que du sucre, des biscuits et des produits à base de graines de sésame, font l’objet de retraits et de rappels en raison de leur contamination à l’oxyde d’éthylène.
- Il s’agit d’une substance interdite en Europe depuis 2011, classée comme cancérogène, mutagène et reprotoxique.
- Les consommateurs qui auraient acheté un produit issu d’un lot contaminé sont invités à ne pas le manger, et peuvent le retourner au magasin pour se faire rembourser.
Envie d’une glace ? Avant de vous offrir ce petit plaisir acheté au supermarché, vous devriez d’abord regarder le numéro du lot inscrit sur l’emballage. En effet, depuis plusieurs semaines, les procédures de rappels ou de retraits de produits alimentaires se multiplient. En cause : la présence d’oxyde d’éthylène, un produit classé cancérogène et interdit dans l’UE.
« Les autorités sanitaires françaises ont été informées de la présence de résidus d’un produit chimique, l’oxyde d’éthylène, à une teneur supérieure à la limite maximum réglementaire dans certains lots de crème glacée », a indiqué la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Mais la liste des produits contaminés dépasse le seul rayon des crèmes glacées. Alors, dans quels produits en trouve-t-on ? Quels sont les effets de cette substance sur la santé ? Et que faire si l’on a acheté un produit contaminé ? 20 Minutes vous aide à y voir plus clair.
Qu’est-ce que l’oxyde d’éthylène ? Pourquoi est-il interdit en Europe et est-il dangereux pour la santé ?
L’oxyde d’éthylène « est un gaz utilisé par fumigation sur les graines et épices pour tuer bactéries, champignons et salmonelles », indique à 20 Minutes Fabienne Loiseau, journaliste à 60 millions de consommateurs, qui enquête depuis plusieurs mois sur cette substance. Elle est « classée comme agent cancérogène, mutagène et reprotoxique (CMR), (son) utilisation est interdite dans l’Union européenne en tant que produit de protection des denrées alimentaires et des aliments pour animaux depuis 2011 », explique la DGCCRF. En clair, en plus d’augmenter les risques de développer un cancer, l’oxyde d’éthylène peut entraîner dans l’organisme des mutations des cellules et de l’ADN, et est susceptible d’affecter la fertilité ou le développement de l’enfant à naître.
Pour éviter tout risque, « on procède au retrait des produits quelle que soit la quantité » d’oxyde d’éthylène, même s’il n’y a « pas forcément un risque immédiat » pour la santé des consommateurs, rassure la DGCCRF. Les autorités sanitaires n’ont à ce jour « pas connaissance de signalements d’intoxication (…) à l’oxyde d’éthylène en lien avec les produits rappelés », précise-t-elle. « Cela ne présente pas le même risque immédiat qu’une intoxication aux salmonelles, compare Fabienne Loiseau. Nous avons d’ailleurs probablement tous déjà consommé un produit contaminé sans le savoir. Le problème, c’est l’absence de données sur l’effet cocktail : si on consomme tous les jours plusieurs produits contaminés, quel est le risque sur la santé ? Aujourd’hui, aucune évaluation n’est en en cours ». Toutefois, dans le cas d’un produit classé CMR, les autorités doivent « limiter l’exposition des consommateurs au maximum », même s’il n’y a « pas forcément un risque immédiat aux doses constatées », ajoute la DGCCRF.
Dans quels produits a-t-on retrouvé des traces d’oxyde d’éthylène ?
L’origine de ces rappels remonte au 9 septembre 2020, lorsqu'« un opérateur italien détecte que des graines de sésame importées d’Inde comportent des résidus d’oxyde d’éthylène », avait expliqué un rapport sénatorial en février dernier. Et depuis plus de dix mois, « plus de 7.000 lots de produits » alimentaires ont été rappelés. L’oxyde d’éthylène semble être partout : on trouve sa trace dans de nombreux produits contenant des graines de sésame, mais la liste s’allonge de jour en jour : biscuits, houmous, baguettes, salades, burger, farine, huiles, purées, biscottes ou encore chocolats ont été épinglés. Ainsi que des dizaines de références de crèmes glacées, découvre-t-on sur le site gouvernemental rappel.conso.
Comment expliquer cette omniprésence ? « Outre les produits contenant du sésame, des lots d’épices comme le curry, le curcuma, du gingembre, du poivre ou encore du psyllium ont été traités à l’oxyde d’éthylène, détaille Fabienne Loiseau. Mais aussi des gommes de caroube et de guar, utilisées comme agents gélifiants et épaississants, ce qui explique notamment le rappel de glaces et de sucres à confiture, mais aussi de compléments alimentaires » et des produits bio. « Interdite en Europe, cette substance n’était pas recherchée dans les analyses de routine, créant une faille dans laquelle se sont engouffrés producteurs et industriels extra-européens. Il a été prouvé que des producteurs indiens ont délibérément fraudé en exportant vers l’Europe du sésame traité à l’oxyde d’éthylène. Ils savaient que c’était interdit mais qu’il n’y aurait aucun contrôle, révèle Fabienne Loiseau. Et en France, beaucoup d’industriels de l’agroalimentaire, même bio, ont assuré ne pas connaître cette substance ».
Que faire si l’on a acheté un produit faisant l’objet d’un rappel ?
Pour vérifier s’ils sont en possession d’un produit concerné par un rappel, les consommateurs sont invités à consulter une liste, régulièrement mise à jour sur le site de Bercy, ou à lire les nombreuses affichettes placardées dans les supermarchés. Si tel est le cas, il ne faut évidemment pas le consommer. Ensuite, « on peut rapporter le produit au magasin pour obtenir un remboursement, même si le produit est entamé et que l’on n’a plus le ticket de caisse », rassure Fabienne Loiseau.
Mais au bout de la chaîne, difficile pour les consommateurs français de s’y retrouver, « d’autant qu’il y a de nouveaux rappels tous les jours », pointe Fabienne Loiseau. L’association de consommateurs CLCV a ainsi regretté que « les consommateurs restent peu informés » sur cette contamination, et réclame « une évaluation des risques pour les différentes catégories de produits concernés ».
Les auteurs du rapport parlementaire ont quant à eux estimé que cette alerte devait « servir de leçon », et appelé à durcir les contrôles à l’importation. Mais certains chercheraient déjà à contourner l’interdiction de l’oxyde d’éthylène. « Les industriels sont bien embêtés par ces rappels qui se multiplient, et une pression s’organise sur l’UE pour assouplir les règles sur les produits transformés, informe Fabienne Loiseau. Aujourd’hui, les analyses sont réalisées sur les matières premières, écartées dès lors qu’elles contiennent de l’oxyde d’éthylène. Mais ils souhaitent qu’elles soient faites sur les produits finis, ce qui rendrait les produits contaminés plus difficilement détectables. Et ce n’est que le début de ce scandale sanitaire, alerte la journaliste : d’autres produits pourraient être identifiés ».