Grossesse : Une campagne lancée sur le bon usage des médicaments pour les femmes enceintes
MATERNITE•L’Agence nationale de sécurité du médicament explique que prendre des médicaments… ou les arrêter subitement pendant sa grossesse peut avoir des effets dramatiquesOihana Gabriel
L'essentiel
- Ce mercredi 2 juin, l’Agence du médicament lance pour la première fois une campagne de sensibilisation sur la santé publique.
- Elle vise les femmes enceintes et leur prise de médicaments. Car arrêter subitement un traitement contre l’épilepsie ou le diabète peut s’avérer dramatique pour une future mère. Mais prendre un ibuprofène peut également provoquer une fausse couche.
- Pour mieux informer, l’agence propose des vidéos explicatives et un site, afin que les femmes qui désirent avoir un enfant, celles enceintes, mais également leur entourage, échangent avec des professionnels de santé.
Ce n’est pas parce que le test de grossesse affiche deux traits qu’il faut jeter toutes vos pilules. Surtout si vous suivez un traitement de long terme pour une maladie chronique. Et à l’inverse, prendre un ibuprofène peut s’avérer dramatique.
Pour que les femmes et leur entourage s’y retrouvent, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) lance ce mercredi une campagne d’information avec pour slogan : « Enceinte, les médicaments, c’est pas n’importe comment ». Campagne qui résonnera sur la Toile, notamment via des vidéos YouTube de Corentin Lacroix et Sylvain Bouquet, deux généralistes. Mais aussi via un site dédié, medicamentsetgrossesse.fr, pour trouver des réponses à ses questions.
7 femmes sur 10 pas assez informées
Car visiblement, les Françaises n’ont pas encore les bons réflexes. Un sondage de l’Institut Viavoice* dévoile que seulement 3 sur 10 se déclarent suffisamment informées sur les risques liés à la prise de médicaments pendant la grossesse. « Si vous regardez le tabac ou l’alcool, nous sommes à 7 femmes sur 10, nuance Christelle Ratignier-Carbonneil, la directrice de l’ANSM. Il y a donc une marge de progression… »
En effet, « 89 % des femmes qui ont un projet de grossesse font de l’automédication, 36 % des femmes enceintes pour la première fois, 48 % pour une deuxième grossesse et plus », précise Amandine Messina, de l’Institut Viavoice. Autre souci : les femmes qui prennent un traitement durable prescrit sur ordonnance sont 17 % à l’arrêter durant leur grossesse, dont 29 % sans en parler à un médecin.
Un message nuancé pour une utilisation individualisée
Or, avaler un cachet comme un Tic Tac pour soulager les nausées, les insomnies ou les chutes de tension peut avoir des conséquences sur le bébé à naître. « En France, la consommation de médicaments est banalisée, regrette Céline Mounier, directrice de la surveillance de l’ANSM. En moyenne, on prescrit 9 médicaments pendant les neuf mois de grossesse. » Quand dans d’autres pays, on plafonne à deux. « Nous avons axé la campagne sur 4 règles d’or : préparer sa grossesse avec un soignant, pas d’automédication, ne jamais arrêter seule un traitement prescrit, et enfin informer tous les professionnels de santé qui vous suivent de sa grossesse. En général, on va penser à la sage-femme, mais moins au dentiste, au pharmacien… »
« L’objectif n’est pas de diaboliser le médicament, prévient Christèle Ratignier-Carbonneil. Mais pendant la grossesse, on attend avant d’en prendre et on échange avec son médecin, son pharmacien, sa sage-femme pour décider ensemble de la conduite à tenir. »
Un message nuancé, donc. Car contrairement à l’alcool et au tabac (pour lequel le message est simple : zéro consommation pour zéro risque), avec les médicaments, les choses se corsent.
En fonction de l’étape de la grossesse – préconception, début de grossesse, dernier trimestre, allaitement… – , la liste des médicaments conseillés et interdits évolue. Ainsi, l’acide folique, prescrit avant même la grossesse, « illustre tout l’intérêt à parler de son désir de grossesse au soignant, car cela fait baisser le risque de malformations », souligne Céline Mounier. « Mais attention, s’il n’est pas pris un mois avant la conception, ça ne sert à rien », avertit Sylvain Bouquet, généraliste.
En tout, 2 à 3 % des enfants naissent avec une malformation grave en Europe. « Les éléments que nous avons montrent que 5 % de ces 2 à 3 % ont une relation avec un médicament », précise la directrice de l’ANSM. Soit une estimation de 800 à 1.200 enfants en France. Mais les effets de ces médicaments dangereux peuvent être découverts des années plus tard quand l’autisme, l’hyperactivité, les troubles du développement sont confirmés.
Un danger différent selon le stade de la grossesse
Le danger n’est pas le même selon l’avancée de la grossesse. « Le risque de malformations est maximal pendant le premier trimestre », reprend Céline Mounier. Avec par exemple le valproate (un anti-épileptique plus connu sous le nom de dépakine), et le thalidomide. Ce dernier a pourtant été prescrit pendant les années 1950 et 1960 aux femmes enceintes souffrant de nausées… Voilà dont tout l’intérêt, pour les soignants comme les patients, de se renseigner régulièrement, car les recommandations peuvent évoluer. « On commence seulement à se poser la question des médicaments des hommes qui ont un effet sur la spermatogénèse », illustre Sylvain Bouquet.
Pendant la suite de la grossesse, c’est surtout les sartans (pour les problèmes cardiaques) et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) qu’il faut éviter. Notamment l’ibuprofène, antidouleur ultra-courant et délivré sans ordonnance. « Pendant le premier trimestre, ces médicaments ne sont pas interdits, mais ne sont recommandés que dans les cas nécessaires et sur avis médical, explique Emmanuelle Ripoche, épidémiologiste à l’ANSM. A partir du deuxième trimestre, une seule prise peut entraîner la mort du fœtus. »
Faut-il alors se rabattre sur la médecine alternative ? La campagne de l’ANSM précise que prendre des plantes n’est pas anodin. « On voulait alerter car la phytothérapie est vue comme un traitement naturel, donc sans risque, indique Emmanuelle Ripoche. Pour l’homéopathie, certains granulés contiennent de l’alcool, il faut aussi faire attention. » « L’objectif n’est pas de laisser les femmes seules avec les maux de la grossesse, martèle la directrice de l’ANSM. Mais bien de les encourager à discuter avec leurs soignants. »
* Sondage réalisé en deux temps, novembre 2019 puis novembre 2020 sur environ 2.000 femmes.