Coronavirus : Devenue maman en temps de pandémie, « je me suis sentie seule et très nulle »
MATERNITE•Entrer dans son nouveau rôle de maman en temps de pandémie n’est pas chose aiséeAnissa Boumediene
L'essentiel
- La maternité, c’est déjà une grande aventure qui chamboule la vie des femmes.
- Mais découvrir son rôle de mère et accueillir son bébé en temps de pandémie est encore plus compliqué.
- Les protocoles sanitaires stricts, l’éloignement des proches et l’accompagnement réduit des jeunes mères peuvent renforcer le sentiment de solitude
Dix petits doigts, des yeux bordés de cils délicats et la peau douce. Un petit bébé dont la mère, c’est vous. L’un des plus beaux rôles de votre vie, mais peut-être l’un des plus difficiles aussi. Car être maman, c’est s’occuper d’un nourrisson qui dépend de vous, gérer les pleurs, sa propre fatigue, les nuits blanches qui vous cueillent dès l’accouchement et tous les aléas de cette période vulnérable du post-partum. Des montagnes russes émotionnelles, pour un nouveau rôle de parent dans lequel il faut prendre ses marques, et où toute aide est la bienvenue.
Mais comment fait-on quand on doit traverser tout ça en temps de coronavirus ? Comment gérer ses angoisses liées à la parentalité nouvelle quand viennent s’y ajouter toutes les peurs associées à la pandémie ? Et que les restrictions sanitaires isolent encore un peu plus ?
« Recentrés sur notre famille »
Au bon dosage, un peu de solitude peut avoir du bon. « J’ai accouché peu avant le troisième confinement, et j’ai vraiment apprécié le fait de ne pas avoir de visites à la maternité, d’être au calme avec mon bébé », confie Chloé. « Cela m’a permis de mettre en route mon allaitement sereinement », renchérit Noëllie. D’autant que « le personnel était plus disponible, et que l'on a vraiment pu profiter de ces premiers jours recentrés sur notre famille », abonde Marion. Amélie, qui a accouché de son second enfant lors du premier confinement, a d'ailleurs vite balayé ses angoisses : « Nous retrouver à quatre pour cocooner et apprendre à connaître ce nouveau bébé était plutôt positif, d’autant que mon mari a pu passer deux mois à la maison. C’est quand même plus sympa que de retourner au travail au bout de 11 jours ! », commente la jeune maman.
Ainsi, au retour à la maison, « beaucoup de mères ont été soulagées d’êtres tranquilles avec leur conjoint, sans subir les visites de l’entourage, confirme le Dr Myriam Szejer, pédopsychiatre, psychanalyste et présidente de l’association La cause des bébés. Comme une parenthèse pour rencontrer leur enfant en toute sérénité. Et au sein du couple, même si le conjoint télétravaille, il y a une présence et une coopération appréciables ». Ainsi, « cette bulle familiale forcée par le Covid a permis aux jeunes parents d’entrer en connexion avec leur bébé, de favoriser le lien d’attachement », explique Audrey Ndjave-Sulpizi. Infirmière clinicienne en périnatalité, elle a créé Happy Mum&Baby, un centre périnatal virtuel qui regroupe des professionnels du secteur et accompagne les jeunes parents.
« Une paire de bras supplémentaires m’aurait bien aidée »
Mais « cette tranquillité, nous avons fini par la subir, souffle Nelly. Même si j’appréhendais la cohabitation avec ma belle-mère et craignais qu’elle n’en fasse qu’à sa tête à ma sortie de la maternité, une paire de bras supplémentaires m’aurait bien aidée ! » Car le manque d’accompagnement finit vite par se faire sentir. Une mère qui vient passer quelques jours pour aider, une copine qui vient vous tenir compagnie et prend le relais avec bébé, ou des beaux-parents qui déposent quelques courses et plats maison : les coups de main des proches sont tous les bienvenus.
Sauf qu’avec les restrictions de déplacement et des proches qui habitent parfois à plusieurs centaines de kilomètres, tout ce cercle sur lequel on peut habituellement compter est absent au moment où l’on en a le plus besoin. « A notre retour à la maison, nous n’avons vu personne pendant un mois, se souvient Christel. Ma tante qui devait venir nous aider n’est pas venue. A part mon mari et moi, personne n’a pris mon fils dans ses bras jusqu’à ses 3 mois ». Idem pour Clara: « J’espérais que mes parents, qui vivent à l’étranger, puissent venir, mais cela n’a pas été possible. Résultat : les premiers mois ont été très difficiles, et n’ayant pas d’expérience, je me suis sentie seule et très nulle ».
Car la pandémie « renforce beaucoup le sentiment d’isolement, c’est pourquoi j’ai mis en place le réseau " Solidari’Mum", indique Audrey Ndjave-Sulpizi. Ce sont des bénévoles qui proposent de l’aide aux mamans isolées pendant quelques heures, le temps de prendre une douche ou de dormir un peu. Il s’agit de leur permettre de s’accorder des moments de récupération bénéfiques et nécessaires, de soulager un peu la fatigue et la charge mentale, et ce parfois même quand le conjoint – ou la maman elle-même – est en télétravail. Parce qu’on peut être à bout très rapidement en travaillant à la maison avec un bébé dont il faut s’occuper ».
« Les mères ont davantage besoin d’être accompagnés par des professionnels de la périnatalité »
En pratique, du fait de la pandémie, « il n’y a pas eu de visites, donc pas d’aide ni de conseils des proches, souligne le Dr Szejer. Certaines PMI et professionnels de la périnatalité ont même arrêté de venir à domicile en raison des protocoles et, au tout début, du manque de matériel de protection. Cela a nettement accentué la solitude des mères ». Alors que « la maternité et le post-partum les fragilisent déjà, le contexte accroît leurs angoisses et leurs besoins, complète Audrey Ndjave-Sulpizi. Et entre les recommandations sanitaires qui changent souvent, le climat anxiogène et la peur du virus, il y a un boom des demandes de consultations, allant de la mise en place de l’allaitement à l’accompagnement sur le sommeil des bébés. Et même de plus en plus de pères qui nous sollicitent parce qu' ils sont de fait plus présents, donc plus confrontés aux difficultés à gérer. Les parents, et en particulier les mères, ont davantage besoin d’être accompagnés par des professionnels de la périnatalité ».
Pour y répondre, l’infirmière en périnatalité, qui travaille hors convention de la Sécurité sociale, a revu ses prestations et ses tarifs. « Encore plus dans cette période, les familles font attention à leurs finances, et c’est important de rendre ces soins plus accessibles ». D’autant que pour les mamans, les restrictions signifient non seulement pas – ou peu – de visites des proches, mais aussi la fermeture des structures et cafés associatifs permettant aux jeunes mères de socialiser et échanger entre elles. Pour pallier ce manque, Audrey Ndjave-Sulpizi a aussi renforcé sa présence sur les réseaux sociaux, « pour partager une information fiable, faire de la prévention et apporter du soutien, explique-t-elle. Avec des lives, des posts, et des ateliers gratuits en ligne pour répondre à leurs questions et les apaiser. Mon activité virtuelle, lancée il y a quatre ans, prend tout son sens aujourd’hui ».
Le risque du post-partum tardif
Mais « même hors Covid, les mamans se plaignent souvent de l’isolement et du manque d’accompagnement pendant le post-partum, observe le Dr Szejer. Les familles sont éclatées, les mères sont souvent seules chez elles avec leur bébé. Ainsi, 18 à 20 % font une dépression du post-partum. Je n’ai pas l’impression qu’il y en a plus que d’habitude. En revanche, il y a plus de demandes de soutien des mères, qui, lorsqu’elles ont déjà une fragilité, ressentent encore plus la solitude. Je crains qu’il y ait un risque important de post-partum tardif : je vois des femmes qui ne sortent pas avec leur bébé, ne voient personne ».
Comme Nelly : « mes amis et une partie de ma famille n’ont toujours pas rencontré mon fils, qui va bientôt avoir 6 mois ! On ne voit personne, on ne peut pas partager son arrivée, la pandémie nous vole tout ça ». Pour ces mamans, « l’isolement freine l’épanouissement global : être privé du partage, des souvenirs, est source de tristesse, de colère et de frustration », analyse Audrey Ndjave-Sulpizi. Tombée enceinte juste avant le premier confinement, Andréa a vécu sa grossesse « sans embrasser (ses) proches ni les prendre dans les bras. Aujourd’hui, mon bébé grandit et je me sens toujours seule, il n’y a personne pour venir le garder de temps en temps », confie la jeune maman, qui a « développé une dépression post-partum assez dure ». Clara aussi, mais « heureusement, j’ai pu compter sur la sage-femme qui me suivait, elle m’a accompagnée, tout comme mon compagnon. Et grâce à leur aide, tout va bien aujourd’hui ».
« D’où l’importance de ne pas souffrir en silence, insiste Audrey Ndjave-Sulpizi. Demander de l’aide, ce n’est pas être faible. Etre maman est un bouleversement physiologique, physique et psychique : c’est un raz de marée. Or, si on est accompagnée, on comprend mieux ce que l’on traverse, et on passe d’autant plus facilement ce cap ».