Déconfinement : Que penser du retour des objectifs d’indicateurs sanitaires ?
CORONAVIRUS•Après des mois de navigation sans objectifs chiffrés, Emmanuel Macron a annoncé que des critères sanitaires précis seront nécessaires pour la réouverture des restaurantsJean-Loup Delmas
L'essentiel
- Depuis les 3.000 réanimations et 5.000 cas par jour comme objectif du second déconfinement, le gouvernement ne s’était plus donné de chiffres précis comme cap à atteindre.
- Cela pourrait changer pour la réouverture des restaurants, qui dépendrait de critères sanitaires bien précis a indiqué ce lundi Emmanuel Macron.
- Faut-il se réjouir de ce grand retour des chiffres ?
Ce lundi, Emmanuel Macron a annoncé que l’ouverture des restaurants se ferait étape par étape et par départements entre mi-mai et fin juin. Des étapes territorialisées, qui dépendront à la fois « des niveaux de vaccination à atteindre dans le pays, mais aussi à des taux d’incidence et de niveau des hospitalisations. Tout dépendra des résultats qu’on a obtenus à chaque étape », a précisé le chef de l’Etat.
Avant le retour des jours heureux, il y a le retour des objectifs chiffrés. Depuis le second confinement et l’objectif affiché des 3.000 malades du coronavirus en réanimation et 5.000 cas par jour – ce dernier chiffre n’ayant jamais été atteint –, les chiffres et les caps avaient totalement disparu de la communication gouvernementale. Au moment d’instaurer une mesure, il n’y avait aucun chiffre - incidence, hospitalisation, taux d’occupation des lits de réanimation – pour l’instaurer ni aucun chiffre fixé pour la retirer. Quand les chiffres ne se contredisaient pas entre eux, notamment l’incidence de 600 qui justifiait un confinement le week-end dans les Alpes-Maritimes alors que le même taux n’avait pas appelé la même réponse en Ile-de-France.
Des décisions enfin objectivées
Le retour des chiffres précis est-il une bonne chose ? Pour Marie-Aline Bloch, chercheuse en sciences de gestion à l’École des hautes études en santé publique, cela ne fait pas l’ombre d’un doute : « C’est important de pouvoir objectiver les décisions. Bien sûr, les chiffres peuvent aussi paraître arbitraires, et il faudra de la pédagogie pour expliquer pourquoi ils ont été retenus, mais ils feront toujours moins arbitraire et moins flou que la navigation à vue actuelle », plaide-t-elle. Une visibilité d’autant plus importante si les mesures sont territorialisées, ce qui est évoqué à la fois par Emmanuel Macron et par le ministre de la Santé Olivier Véran. Pour contrer tout sentiment d’injustice ou d’incompréhension entre régions, il vaut mieux assurer un maximum d’explication autour des critères retenus.
D’autant plus qu’Emmanuel Macron évoque plusieurs chiffres à la fois pour les réouvertures, sortant du monopole du taux d’incidence. Et pour la spécialiste, c’est une très bonne chose : « On ne peut pas tout miser sur l’incidence, qui dépend beaucoup du nombre de tests effectués, et qui risque d’énormément baisser avec la mise en place des autotests », pas nécessairement comptabilisés. Ces dernières semaines illustrent bien le problème, avec une chute de l’incidence mais également une chute du nombre de tests (avec les écoles fermées, les élèves se sont fait beaucoup moins tester). Difficile donc d’établir si la chute de cas est due à la chute des tests ou bel et bien à une meilleure situation sanitaire.
Des critères sanitaires, vraiment ?
« En réalité, les chiffres sont complémentaires. Avec l’incidence, on a une estimation en temps réel. Les hospitalisations ou les réanimations mettent plusieurs jours voire semaines de décalage, mais permettent de consolider une situation et d’avoir un point de vue objectif sur la situation », avance Marie-Aline Bloch. Pour la docteure Corrine Delpagne, il est certain qu’il vaut mieux avoir plusieurs indicateurs, même si pour elle, tout ne sera pas nécessairement lisible : « Avec le nombre de transfert de patients en réanimation entre les régions, la situation d’un hôpital n’est pas toujours celle du territoire. » Il n’empêche que pour la médecin, il est primordial de revenir à des critères de chiffre : « Cela permet de donner un cap à la population et de mieux se situer. »
Cependant, puisqu'on parle de chiffres, notons que la France s’apprête à déconfiner avec 30.000 nouveaux cas par jour et 6.000 patients en réanimation, soit plus de 1.000 de plus qu’au pic de la seconde vague. « On voit bien que les décisions sont motivées par autre chose que les indicateurs sanitaires. Ils sont peut-être de retour, mais il faudra aussi s’en servir », plaide Corrine Delpagne. D’ailleurs, Emmanuel Macron n’a communiqué aucun chiffre précis, juste qu'il y en aurait. Et si c’est une bonne chose de prévoir la réouverture des restaurants dans les zones où le virus circule peu, quelles sont actuellement ces zones ? Seuls quatre départements français ont une incidence inférieure à 100 ce mardi. Si les indicateurs chiffrés reviennent, les jours heureux, eux, attendront encore un peu.