Coronavirus : « Plus il va y avoir de gens vaccinés et immunisés, plus les variants à échappement immunitaire vont avoir un avantage »
INTERVIEW•Les variants moins sensibles à la vaccination pourraient se propager davantage lorsque la population sera immunisée contre le variant britannique, si les mesures barrières sont relâchées trop rapidement, explique Jean-Stéphane Dhersin, spécialiste des modélisations d’épidémiesPropos recueillis par Anissa Boumediene
L'essentiel
- Alors que la crainte grandit autour du variant indien et que des mesures restrictives supplémentaires sont en vigueur en France, le Premier ministre l’assure, les variants brésilien et sud-africain régressent.
- Mais avec des vaccins efficaces contre la souche historique du coronavirus et contre le variant britannique, mais variablement moins protecteurs contre les autres variants, se pose la question du risque de leur propagation prochaine dans l’Hexagone.
- A quelques jours d’un déconfinement progressif, 20 Minutes a interrogé Jean-Stéphane Dhersin, directeur adjoint scientifique de l’Institut national des sciences mathématiques du CNRS. Selon qui le respect des mesures barrières s’annonce particulièrement déterminant pour éviter la propagation de ces variants.
Des « variants (sud-africain et brésilien) très peu nombreux » et qui « ont tendance à régresser » ? C’est ce qu’a affirmé dimanche Jean Castex lors d’un déplacement à l’aéroport de Roissy visant à constater la mise en œuvre du nouveau protocole pour les voyageurs en provenance de cinq pays à risque : le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud, l’Argentine et le Chili.
Si les variants brésilien et sud-africain représentent une part minime des contaminations, ils restent toutefois source d’inquiétude. Et dans le même temps, la crainte de voir déferler le variant indien, qui cause une flambée épidémique d’ampleur en Inde, fait peur lui aussi. Pour l’heure, c’est le variant anglais qui est dominant en France, et tous les vaccins anti-Covid disponibles permettent de s’en immuniser. Les autres variants, eux, causeraient un échappement immunitaire. Pourraient-ils s’imposer en France ? « Plus il va y avoir de gens vaccinés et immunisés, plus les variants favorisés par l’échappement immunitaire vont avoir un avantage », explique à 20 Minutes Jean-Stéphane Dhersin, directeur adjoint scientifique de l’Institut national des sciences mathématiques du CNRS, spécialiste des modélisations d’épidémies.
Tous les vaccins anti-Covid sont efficaces sur la souche historique et sur le variant anglais. La protection est moindre contre les autres variants, mais les vaccins à ARN messager (ARNm) sont plus efficaces que ceux à vecteur viral. Risque-t-on de voir les variants brésilien, sud-africain ou indien s’imposer dans l’Hexagone ?
Le virus mute tout le temps, surtout quand il y a un taux élevé de propagation. Parfois, une mutation va présenter un « avantage » par rapport à la souche précédente et va se propager plus vite. Il peut s’agir d’un avantage de transmission : il va se transmettre plus facilement parce qu’il est plus virulent, ou que la personne est infectieuse plus longtemps. C’est le cas du variant britannique, environ 1,5 fois plus contagieux que la souche historique. S’il était apparu au début de la pandémie début 2020, quand la souche de l’époque avait un taux de reproduction (R) égal à 3, celui-là aurait eu un R à 4,5.
La vaccination fait baisser ce R qui, dans le même temps, baisse aussi du fait des mesures barrières. Les derniers variants eux, ont un avantage dû à l’échappement immunitaire : ils sont moins sensibles à l’immunité acquise par la maladie ou la vaccination. Ici, le R baisse surtout du fait des mesures barrières.
Les variants qui dominent, comme on le voit aujourd’hui avec le variant anglais, sont plutôt ceux qui ont un avantage de transmissibilité supérieure. Mais au fur et à mesure que les gens seront vaccinés, que la couverture vaccinale de la population sera suffisante pour atteindre l’immunité collective, le R du variant britannique va chuter ; on va donc vraisemblablement prendre des mesures barrières moins fortes. Il est alors possible que des variants à échappement immunitaire, insensibles à la vaccination, ne prennent le pas et causent une nouvelle flambée épidémique. D’où l’importance d’avoir un plan de surveillance génomique intelligent.
L’Inde subit une flambée épidémique d’ampleur à cause du variant indien, qui est par ailleurs déjà présent en Europe. Y a-t-il un risque de le voir arriver en France ?
Il y a de fortes chances qu’il y ait, à un moment donné, quelques cas de variant indien en France, comme on l’a vu avec les variants brésilien et sud-africain.
Ces variants embêtants peuvent arriver en France quand le taux d’incidence est élevé, ce qui est le cas aujourd’hui : il doit y avoir plus de 50.000 contaminations en France chaque jour, entre les cas dépistés et ceux qui ne sont pas mis au jour. Et mathématiquement, il y a beaucoup plus de risques de voir apparaître et se propager ces variants en France si vous avez 50.000 cas quotidiens que si vous n’en avez que 5.000.
Avec des variants à risque d’échappement immunitaire, quelle stratégie adopter avec les différents vaccins anti-Covid ?
Une chose est sûre : c’est un taux d’incidence élevé qui augmente les risques de propagation des variants. Or, la vaccination avec les sérums à vecteur viral d’AstraZeneca et Janssen permet de faire baisser le taux d’incidence, donc minimise les risques d’échappement immunitaire. Vacciner massivement aujourd’hui – alors que le variant britannique représente 85 % des contaminations –, avec tous les types de vaccins dont on dispose, permet d’éteindre l’incendie global. Donc l’urgence est de faire baisser l’incidence pour diminuer le risque d’échappement immunitaire. Et pour avoir la possibilité de lever un jour les mesures restrictives et revenir à une vie « normale ».
Si la population est moins immunisée par la vaccination contre ces variants problématiques, n’y a-t-il pas un risque de reprise épidémique au moment du déconfinement ?
On ne sait pas mesurer ce risque de reprise épidémique parce que concrètement, il y a d’un côté les mesures recommandées par les autorités, et de l’autre la façon dont elles vont être appliquées. On a vu, à la fin du premier confinement en France, que le taux d’incidence a continué de baisser, parce que les gens ont continué d’être prudents.
Là, on ne sait pas si à la réouverture, ils vont rester prudents ou se relâcher, il va falloir suivre ces paramètres de près. C’est d’ailleurs probablement pour cela que le gouvernement s’oriente vers un déconfinement progressif : pour que la levée des mesures se fasse tout en gardant l’épidémie sous contrôle.
Ce que l’on sait, c’est qu’aujourd’hui en France, on est dans une situation extrêmement différente du déconfinement britannique, où l'on avait environ 2.000 cas par jour, quasiment plus de morts et environ la moitié de la population vaccinée. Nous n’en sommes pas du tout là. Donc soit le déconfinement français, dans ses modalités, ne sera pas comparable à celui du Royaume-Uni. Soit on a un risque de redécollage de l’épidémie.