Suspension d'AstraZeneca : Y a-t-il un risque de cacophonie en Europe ?
PANDEMIE•Plusieurs pays européens, dont la France, ont pris la décision de suspendre les injections de vaccin AstraZenecaLucie Bras
L'essentiel
- Une réponse européenne est attendue jeudi sur le vaccin AstraZeneca, soupçonné d’être à l’origine d’accidents de la coagulation chez certains patients.
- Alors qu’une partie de l’Europe a décidé de suspendre la vaccination de ce vaccin anglais, d’autres États ont décidé de la maintenir, provoquant une cacophonie européenne sur le sujet.
- « En Europe, la santé reste le pré carré de chaque État. L’AEM donne un avis global mais n’a pas pour vocation d’être obligatoire », rappelle Anne Sénéquier, médecin, co-directrice de l’Observatoire de la santé.
L’Agence européenne des médicaments (AEM) l’a répété ce mardi : elle est « fermement convaincue » des avantages du vaccin AstraZeneca contre le Covid-19. Pourtant, une douzaine de pays de l’UE ont décidé de suspendre ce vaccin sur leur territoire, en attendant une décision européenne ferme sur d’éventuels risques pour la santé. Un désaveu pour l’Europe ?
L’annonce d’un moratoire sur AstraZeneca, Emmanuel Macron l’a faite lundi, de manière improvisée et quelques minutes après la décision de Berlin. Cette décision a été immédiatement suivie par une salve de critiques dans l’opposition, accusant le chef de l’Etat de suivisme par rapport au voisin allemand. « Vous imaginez bien qu’on s’est parlé avec l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne. Ce n’est pas un hasard si ces quatre pays ont annoncé la même décision la même journée », a rétorqué ce mardi matin Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’Industrie.
Incompréhension
Une concertation européenne qui a écarté certains pays, comme la Belgique, qui a décidé de maintenir les injections d’AstraZeneca : « Arrêter cette campagne de vaccination en sachant qu’il y a une telle circulation du virus serait irresponsable, parce que c’est une protection sûre, efficace, contre cette maladie », a tranché le ministre fédéral de la Santé belge Frank Vandenbroucke.
De quoi créer une impression de cacophonie en Europe ? Ce qui est sûr, c’est que la décision peut être illisible pour les citoyens européens. « Ce qui m’inquiète, c’est qu’il va être difficile pour les gens de comprendre pourquoi on estime que les risques sont jugés suffisamment importants pour suspendre la vaccination dans certains pays, et pourquoi dans les autres pays on ne le fait pas », explique Laurent Chambaud, directeur de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). « Ça peut donner une image de précipitation. Sur un sujet comme celui-là, ça dessert l’Europe. »
Une Europe en construction
Car la volonté de coordination de certains se heurte à un principe établi dans l’UE : la souveraineté de chaque pays en matière de santé. « La santé reste le pré carré de chaque Etat. L’AEM donne un avis global mais n’a pas pour vocation d’être obligatoire », rappelle Anne Sénéquier, médecin, codirectrice de l’Observatoire de la santé et autrice de l’ouvrage pour enfants Luce et l’invasion des virus (Ed. Petit Kiwi, 2021).
Elle se veut positive sur la situation actuelle. Cette fois-ci, « il y a eu une volonté d’accorder les violons au niveau européen sur le sujet, c’est plutôt une bonne chose. » Selon la chercheuse, « l’Europe de la santé est en train de se construire » et il faut lui laisser un peu de temps. Pour les Etats, c’est en tout cas un sacré bénéfice. « Cette suspension, c’est une sorte de parapluie politique pour les pays. Et ça leur fait gagner du temps, même si c’est une lourdeur supplémentaire : ils n’auront pas à refaire les études que l’Agence du médicament prend le temps de réaliser ».
Des conditions « qui se reproduiront »
Mais « cette construction est balbutiante, pas officialisée. Ça va être compliqué de faire abandonner à chacun sa souveraineté nationale sur le sujet. On a un sacré travail à faire », prévient Anne Sénéquier. Aujourd’hui l’Europe de la Santé, « ce sont les compétences que les Etats membres veulent bien lui donner », décrit Laurent Chambaud. Ce sont des campagnes contre le tabac ou les accidents de la circulation : « C’est très superficiel », confirme la chercheuse.
Mais pour elle, c’est essentiel pour la suite. « La santé ce sont de grosses pathologies, des maladies orphelines… Demander à un Etat de financer tout cela, c’est la certitude de payer des doublons. En pensant une souveraineté européenne sur la santé, on va optimiser les forces de tous les Etats, comme les capacités de fabrication de la Belgique ou l’industrie biochimique en Allemagne ». « Un jour, ces conditions se reproduiront. Et il faudra avoir compris comment mettre en place plus de cohésion entre les pays », prévient Laurent Chambaud. Jeudi, l'accueil de l'annonce officielle de l'AEM sur le vaccin AstraZenca devrait en dire long sur cette volonté de cohésion européenne.