Le vaccin AstraZeneca est-il victime d’une paranoïa mondiale ?

Coronavirus : Le vaccin AstraZeneca est-il victime d’une paranoïa mondiale ?

VACCINATIONPlusieurs pays ont suspendu la vaccination par AstraZeneca au nom du principe de « précaution », à la suite de l’apparition de caillots sanguins chez certaines personnes vaccinées
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • De nombreux pays européens suspendent la vaccination par AstraZeneca, après l’apparition de caillots sanguins chez certaines personnes ayant reçu une dose du vaccin britannique.
  • Le principe de « précaution » évoqué ne vire-t-il pas à la surprudence ?
  • La décision de ces pays est extrêmement contestée, alors que l’incidence de caillots sanguins dans la population non-vaccinée est supérieure à celle de la population ayant reçu une dose d’AstraZeneca.

Le vaccin AstraZeneca poursuit son chemin de croix en Europe. Après les retards de livraisons, les effets secondaires constatés et les premières études remettant en cause son efficacité face aux variants, le vaccin britannique contre le coronavirus est désormais suspendu au Danemark, en Norvège et en Islande depuis ce jeudi.

Une décision prise en raison de craintes liées à la formation de caillots sanguins, aussi appelée thrombose, et contestée par la France et l’Agence européenne du médicament (EMA). 20 Minutes fait le point sur la situation.

De quoi parle-t-on ?

Le Danemark a suspendu le vaccin AstraZeneca « après des rapports de cas graves de formation de caillots sanguins chez des personnes qui ont été vaccinées », ont indiqué les autorités sanitaires du pays. Une mesure avant tout de « précaution » ont-elle précisé. C’est selon ce même principe de précaution que la Norvège et l’Islande ont suivi, et désormais la Bulgarie et la Thaïlande. « Vu le nombre de personnes vaccinées, il est difficile pour moi de croire qu’il y ait un véritable problème, mais c’est important qu’une enquête approfondie soit menée », a indiqué à l’AFP, Allan Randrup Thomsen, professeur de virologie à l’université de Copenhague.

Cette décision fait également suite au décès d’une infirmière autrichienne de 49 ans qui a succombé à de « graves troubles de la coagulation ». Un décès qui avait entraîné cinq pays européens (l’Autriche, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie et le Luxembourg) à suspendre les vaccinations avec le lot spécifique de vaccin qui contenait la dose administrée à l’infirmière, et qui comprenait un million de vaccins livré dans 17 pays européens. L’Italie avait elle aussi suspendu un autre lot pour des raisons similaires.

Qu’en dit l’Agence européenne du médicament (EMA), qui a autorisé AstraZeneca ?

Selon l’EMA, 30 cas de thromboses ont été signalés à la date de mercredi sur les personnes vaccinées dans la zone qu’elle couvre (Union européenne, Norvège et Islande), pour plus de cinq millions de personnes ayant reçu au moins une dose d’AstraZeneca.

« Les informations disponibles à ce jour indiquent que le nombre de thromboembolies chez les personnes vaccinées n’est pas supérieur à celui observé sur l’ensemble de la population », a assuré l’EMA dans un communiqué. Rien n’indique non plus que ces thromboembolies soit liées à la vaccination. Il y aurait entre 150 à 200 thromboses veineuses ou embolie pulmonaire pour 100.000 habitants en France par an, selon la Société française de médecine vasculaire.

« C’est donc une décision déconnectée, d’autant plus qu’au vu de cette incidence, il semble impossible de définir que le vaccin est responsable de cet effet. On aurait pu prendre cinq millions d’autres Européens et trouver une incidence similaire, voire supérieure », défend Eric Billy, chercheur en immuno-oncologie.

L’Organisation mondiale de la Santé a également déclaré qu’il « n’y a pas de raison de ne pas utiliser » le vaccin AstraZeneca ce vendredi.

Devient-on paranoïaque concernant AstraZeneca ?

Une incidence bien inférieure à la normale et une réaction non nécessairement corrélée qui entraîne une suspension de la vaccination… Devient-on survigilant concernant AstraZeneca en raison de sa mauvaise réputation, au point désormais de trop réagir ? « Il y a eu une surréaction des autorités de santé locales. Bien sûr, c’est le rôle de la pharmacovigilance de bien suivre tous les événements pour une population suivant un traitement, mais tant que l’incidence est inférieure à l’incidence de la population normale, il n’y a pas de raisons d’arrêter le vaccin », estime Eric Billy.

Le chercheur note que le Royaume-Uni a vacciné au moins dix millions de personnes avec AstraZeneca sans constater la moindre incidence majeure. Il rappelle également l’énorme bénéfice/risque d’AstraZeneca et que le taux de létalité du coronavirus est bien plus important que le taux de thromboses constaté lors des vaccinations (qui une fois encore, n’est pas nécessairement dû à la vaccination en plus).

Plus qu’un délit de sale réputation pour AstraZeneca, Eric Billy dépeint « une période où on se suremballe pour tout et où on surréagit. Il y a un manque de recul, une mauvaise gestion globale et une très mauvaise communication. »

Cette décision des pays nordiques n’est pas sans conséquences, notamment sur la réputation d’AstraZeneca. « C’est une décision délétère car cela joue négativement sur l’image du vaccin AstraZeneca et sur celle des vaccins en général, alors que c’est un traitement qui a fait ses preuves et que c’est actuellement notre seule solution », pointe Eric Billy, qui rappelle que des études montrent une efficacité d’AstraZeneca de plus de 90 % sur les formes graves : « Il faut utiliser le vaccin AstraZeneca pour ce qu’il est, un excellent vaccin. »

Qu’a décidé la France ?

La France maintient la vaccination avec AstraZeneca. « Le bénéfice apporté par la vaccination est jugé supérieur au risque à ce stade », a affirmé Olivier Véran ce jeudi en conférence de presse, précisant avoir saisi l’Agence nationale de sécurité du médicament. Cette agence a recommandé ce vendredi la poursuite de la vaccination par AstraZeneca.