Coronavirus : Pourquoi la vaccination avec l’AstraZeneca démarre si lentement dans les cabinets médicaux
EPIDEMIE•Seules 25 % des doses du vaccin britannique livrées en France ont été utiliséesAnissa Boumediene
L'essentiel
- Avec l’arrivée du vaccin AstraZeneca, s’est ouverte la vaccination anti-Covid dans les cabinets médicaux.
- Le ministère de la Santé compte sur les vaccinateurs de ville, notamment les médecins généralistes, pour accélérer la campagne, et 30.000 médecins libéraux se sont portés volontaires pour vacciner leurs patients de plus de 50 ans ayant des comorbidités.
- Mais en pratique, certains sont confrontés à des problèmes de livraison des doses de vaccins.
Passer la deuxième et accélérer franchement la campagne de vaccination anti-Covid : c’est l’objectif du gouvernement, qui mise sur le déploiement en ville du vaccin AstraZeneca. Pourtant, le ministère de la Santé a reconnu mardi que seules 25 % des doses du vaccin britannique reçues en France ont été utilisées. « Sur AstraZeneca, il y a une situation qui est particulière : nous sommes dimanche soir à 24-25 % de consommation des stocks », contre « quasiment 70 % » en moyenne pour l’ensemble des vaccins disponibles, a expliqué le ministère.
Pourquoi les stocks d’AstraZeneca ne sont-ils pas plus écoulés ? Une logistique lourde pour les médecins, et surtout des retards dans les livraisons, expliqueraient ces chiffres faibles.
Une sous-consommation d’AstraZeneca
Le 25 février, la vaccination a donc été ouverte en médecine de ville aux personnes de 50 à 64 ans ayant des comorbidités. « 35.000 généralistes se sont inscrits sur la plateforme des vaccinateurs volontaires : ils sont très actifs. Nous avons procédé à une livraison de vaccins en ville, dans le réseau officinal. (…) La dynamique d’écoulement de ces doses-là a été très forte les premiers jours, avec plus de 120.000 injections », s’est félicité le ministère de la Santé.
La semaine suivante, en revanche, le nombre de vaccinateurs est passé sous la barre des 20.000. « Il y a eu une baisse des commandes, vraisemblablement parce qu’ils avaient prévu leurs plages de vaccination avec les flacons dont ils ont disposé au titre de la première commande, avance le ministère. Mais ils ont relancé leurs commandes cette semaine. On va donc avoir une vision clé de l’adhésion des médecins, ce qui va nous permettre d’ajuster la stratégie du gouvernement, qui souhaite que les doses soient mises à disposition sur le terrain le plus vite possible ».
Du côté des médecins vaccinateurs, la mise à disposition est loin d’aller assez vite. « La direction générale de la Santé (DGS) a écrit aux pharmaciens samedi pour leur dire qu’ils n’étaient pas certains de livrer les vaccins avant ce jeudi voire vendredi, indique le Dr Jean-Paul Hamon, médecin généraliste et président d’honneur de la Fédération des médecins de France (FMF). Quand on nous a annoncé la semaine dernière que les vaccinateurs volontaires allaient recevoir trois flacons de dix doses, on a tous calé des rendez-vous pour nos patients éligibles ».
Cible vaccinale « étroite » et « non-livraisons »
Dans le cabinet du Dr Hamon, « vingt patients ont pris rendez-vous ce jeudi, idem vendredi. Mes doses sont assurées pour jeudi, mais pour vendredi, je ne sais pas encore, précise le médecin. Une chose est sûre : si on n’a pas les vaccins, si je dois décommander, j’arrête immédiatement. S’il y a des vaccins, où sont-ils ? J’ai autre chose à faire que de prendre des rendez-vous pour les annuler derrière, ce n’est pas tenable. A charge pour la DGS de savoir gérer ses stocks ».
Pour les vaccinateurs, caler ces vaccinations requiert donc une logistique importante. « AstraZeneca est conditionné en flacon de 10 doses, qui doivent être utilisées rapidement pour ne pas gâcher la moindre dose. Cela nécessite de la rigueur, de l’anticipation et du personnel pour contacter les patients en plus de nos consultations. Cela prend du temps, décrit le Dr Jacques Battistoni, médecin généraliste et président du syndicat MG France. D’autant que jusqu’à présent, la cible vaccinale était assez étroite : les patients de 50 à 64 ans avec comorbidités ne sont finalement pas très nombreux dans la patientèle de chaque médecin. Ce sont 40 à 50 patients, donc il faut être très proactif pour rassembler chaque semaine un groupe de dix personnes à vacciner ».
Mais « la première contrainte logistique, c’est l’approvisionnement en flacons à la pharmacie, insiste le Dr Battistoni. Les témoignages attestant de non-livraisons des doses se multiplient, et encore aujourd’hui, un de mes confrères m’a indiqué qu’il n’avait pas reçu les doses commandées. Ce sont des blocs de dix patients qu’il faut déprogrammer d’un coup quand il manque un flacon, c’est très démobilisant. Nous, vaccinateurs, sommes au bout de la chaîne. On ne sait pas à quel niveau ça coince, mais force est de constater que ça coince dans toutes les régions ! »
Une cible vaccinale élargie et des livraisons massives à venir
Du côté du ministère de la Santé, on assure que d’ici à la fin mars, un total de 6,4 millions de doses d’AstraZeneca aura été livré en France. S’y ajoute un élargissement de la cible vaccinale du vaccin britannique. Lundi soir, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a annoncé l’extension de l’utilisation d’AstraZeneca aux personnes âgées de 65 à 74 ans présentant des comorbidités. Cette décision s’appuie sur un avis de la Haute Autorité de santé (HAS), publié mardi, qui prend en compte de nouvelles études réalisées au Royaume-Uni, montrant que l’AstraZeneca est efficace pour réduire les hospitalisations chez les personnes âgées.
« Maintenant qu’on a de bonnes nouvelles sur l’AstraZeneca, il faut impérativement que ce vaccin trouve toute sa place dans la stratégie vaccinale », estime le ministère de la Santé. « Pour les toutes premières vaccinations, c’est nous qui avons contacté les patients. Maintenant, ils commencent à venir vers nous pour se faire vacciner », observe le Dr Hamon. « La connaissance que la population a de ce vaccin est plus grande et l’opinion meilleure par rapport à il y a seulement quinze jours, grâce aux dernières données scientifiques, abonde le Dr Battistoni. Avec l’élargissement aux 65-74 ans, on va avoir davantage de patients à vacciner : il y a une demande importante de cette tranche d’âge. Toutefois, le ministère de la Santé nous répète qu’on va avoir beaucoup plus de doses, mais pour l’heure, on n’en a pas beaucoup. Donc on ne peut pas prendre de rendez-vous au-delà de ce que l’on a en stock, sinon c’est trop risqué. En matière de doses, c’est quand on les verra qu’on y croira ! »