Coronavirus : Mais où est donc passé le Conseil scientifique ?
AMBER ALERT•Le Conseil scientifique n’a plus diffusé d’avis depuis le 13 janvier, alors que la situation continue de se dégrader en FranceJean-Loup Delmas
L'essentiel
- Le Conseil scientifique a disparu des radars depuis plus d’un mois.
- Comment expliquer cette absence alors que la France est actuellement sur une ligne de crête concernant le coronavirus ?
- Désavoué progressivement par le gouvernement, le Conseil scientifique semble s’être enfermé dans le mutisme.
La France vit une période très incertaine concernant le coronavirus. Entre le pari du gouvernement de ne pas reconfiner, l’explosion du nombre de variants, la baisse des cas qui ne trouvent que peu d’explications, l’heure est à l’incertitude. Et dans ce grand brouillard général, une absence se fait particulièrement sentir : celle du Conseil scientifique qui semble avoir totalement disparu des radars.
Son dernier avis publié sur le site du gouvernement remonte ainsi au 13 janvier dernier, soit plus d’un mois. Certains de ces membres font encore des interviews ici et là, mais le Conseil scientifique ne s’exprime plus en tant qu’entité. Mahmoud Zureik, praticien hospitalier en épidémiologie et en santé publique, dresse le constat : « Le Conseil scientifique est discret et ne prend plus d’initiatives, alors que c’est leur rôle de continuer à éclairer le débat avec d’autres scientifiques. » Pourtant, dans des interviews diffuses, les experts du Conseil continuent d’avertir sur la situation sanitaire, ce qui rend d’autant plus inexplicable le silence de l’organisation.
Tacles en série
Par exemple, Arnaud Fontanet, membre du Conseil, évoque lors de ses interventions médiatiques un problème dans les écoles sans que le Conseil scientifique ne se positionne plus dessus. Pour Mahmoud Zureik, il est clair que « le Conseil scientifique s’autocensure, il se recroqueville sur lui-même et ne veut pas être dans la même situation de discrédit par l’exécutif ».
Car si le Conseil scientifique est devenu si silencieux, c’est peut-être par lassitude de se faire tacler par le gouvernement. De plus en plus de fuites médiatiques ont montré ces derniers mois l’exécutif critiquer ou minimiser le rôle du Conseil scientifique. Dernière en date, un article de France Inter datant du 10 février dans lequel des membres de l’exécutif présentaient Emmanuel Macron comme « épidémiologiste en chef » et maîtrisant mieux le sujet du coronavirus que les experts.
Ne pas déléguer pour mieux régner
Stéphane Rozès, politologue et président de CAP (Conseils, analyses et perspectives), analyse : « Dans la perspective de la présidentielle, Emmanuel Macron veut se construire une posture de celui qui a su prendre les décisions contre des experts trop peureux ou un administratif trop lent. » Être l’homme qui a sorti la France d’affaire, en prenant des décisions contre l’avis majoritaire. Pour mettre en lumière ses actions, il a fallu plonger le Conseil scientifique dans l’ombre. Stéphane Rozès toujours : « Emmanuel Macron veut montrer que c’est lui qui commande et qu’il n’a besoin de personne pour prendre des décisions. »
Si le Conseil scientifique avait été extrêmement intéressant politiquement lors de la première vague, « puisqu’il servait à justifier des actions très impopulaires et inédites », note le politologue, il est désormais un handicap en vue de 2022. Emmanuel Macron a voulu « reprendre la main, mettant sous silence le Conseil scientifique, et le faisant passe pour trop craintif et trop prudent. »
Des précédents lors de la première et la seconde vague
Pourtant, même lors de la première vague, l’exécutif avait le dernier mot sur les recommandations du Conseil scientifique, choisissant ou non de les appliquer. Rien de plus logique pour Mahmoud Zureik : « Il est normal que le gouvernement – qui prend en considération d’autres paramètres économiques, sociaux, politiques, éthiques – décide de suivre ou de ne pas suivre le Conseil scientifique, qui comme son nom l’indique n’est là que pour conseiller et donner un avis purement sanitaire. » Le 11 septembre, alors que le Conseil scientifique plaidait pour des mesures strictes en vue de la seconde vague, Jean Castex s’était contenté de faire un discours rappelant l’importance des gestes barrières. Première humiliation pour le Conseil scientifique, passé derrière les considérations politiques.
Depuis le déconfinement du 15 décembre, une nouvelle ligne semble avoir encore été franchie. « Ce qui n’est pas normal, c’est de ne pas justifier de ne pas suivre les recommandations du Conseil scientifique », note le praticien hospitalier. Pour lui, même si d’autres facteurs entrent en jeu, « les décisions doivent être éclairées par la science, et la science doit être faite par des vrais scientifiques ». Or, Stéphane Rozès le signale, « plus la situation perdure, plus le scientifique et le sanitaire perdent de l’importance dans la balance face à d’autres considérations plus politiques ou économiques. »
Même si pour le politologue, il est clair qu’Emmanuel Macron n’hésitera pas à refaire apparaître le Conseil scientifique si la situation se dégrade trop et qu’il a besoin d’un alibi pour prendre des mesures plus strictes. Prendre des décisions seul, oui, mais pas forcément les plus impopulaires.