Coronavirus : La campagne de vaccination localisée, une bonne idée ?
EPIDEMIE•Des doses de vaccins plus nombreuses sont envoyées dans les régions les plus touchées de France, et certaines dates de vaccination sont avancées dans l’EstJean-Loup Delmas
L'essentiel
- Cette semaine, des doses du vaccin Moderna sont livrées spécifiquement dans le Grand-Est, dans la région Auvergne-Rhône-Alpes et en PACA.
- Des régions particulièrement touchées par le rebond épidémique, et devenus « prioritaires » pour la vaccination.
- Cette stratégie est-elle efficace ?
Alors que la vaccination des personnes de plus de 75 ans hors Ehpad démarre en France à l’échelle nationale le lundi 18 janvier, celle-ci a été avancée à ce mercredi dans tout le Grand Nancy. Cinq jours d’avance que le président de la région justifie « au regard de la situation dans notre territoire. Nous sommes à deux lits de la saturation en réanimation au CHRU de Nancy ».
Cette adaptation locale n’est pas une exception. Ainsi, la France a reçu 50.000 doses du vaccin Moderna ce lundi, des doses directement acheminées dans le Grand-Est, en Auvergne-Rhône-Alpes et en PACA afin d’être utilisées dans la semaine, a indiqué le ministre de la Santé Olivier Véran. Un choix ne devant rien au hasard : il s’agit des régions françaises les plus touchées par le rebond épidémique. Alors que le gouvernement a plutôt versé jusque-là dans les mesures à l’échelle nationale pour lutter contre le coronavirus, pourquoi adopter une telle stratégie locale et est-ce réellement pertinent ? 20 Minutes fait le point.
Pourquoi une vaccination localisée ?
Pour bien comprendre l’intérêt de cette stratégie, il faut d’abord constater que le coronavirus ne frappe pas toute la France de la même manière. Par exemple, si la moyenne nationale de l’incidence est de 191 cas pour 100.000 habitants sur les sept derniers jours, elle monte à 519 cas à Nice. En tout, sept départements français sont au-dessus des 300 cas pour 100.000 habitants : les Alpes-Maritimes, le Jura, le Doubs, la Haute-Marne, le Territoire de Belfort, la Haute-Saône et la Meuse. Au contraire, dans le Finistère par exemple, l’incidence n’est que de 68 cas pour 100.000 habitants.
Des différences qui se constatent aussi sur le taux de lits de réanimation pour patients Covid-19 : « Seulement » 23,5 % en Bretagne ou 36,3 % en Occitanie, contre 68,4 % dans le Grand-Est, 68 % en PACA et 87,4 % en Bourgogne Franche-Comté. Toutes les régions livrées prioritairement ont un taux de remplissage de lits de réanimation supérieur à 50 %.
Y a-t-il une alternative actuellement ?
La France a commandé 225 millions de doses de vaccin, mais ces dernières arrivent lentement. Ainsi, à la fois du mois de janvier, la France ne devrait avoir reçu - tous vaccins confondus – que 2,7 millions de doses, et dix millions en février. Largement insuffisant pour couvrir toute la population, ou même seulement les personnes à risque.
Du coup, comme il existe une priorité des personnes les plus vulnérables, la France met en place « une priorité des régions les plus fragiles », indique Hélène Rossinot, médecin spécialiste en santé publique. Une stratégie « logique au vu de la disparité de l’épidémie : il y a statistiquement bien plus de chance d’attraper le virus à l’Est qu’en Bretagne, un vaccin administré dans l’Est a plus de chance d’avoir sauvé une vie – ou éviter une réanimation et donc désengorger un peu les hôpitaux – qu’un vaccin donné en Bretagne, du moins à l’instant T ».
C’est également la solution pour laquelle plaide Michaël Rochoy, médecin et chercheur en épidémiologie : « Plutôt qu’avoir des couvre-feux localisés ou des mesures restrictives à l’échelle régionale, localiser la vaccination semble plus pertinent, et on est certain de son efficacité, contrairement à un couvre-feu à 18 heures. Tant qu’on n’a pas assez de doses, il faut les concentrer là où elles sont le plus efficaces. »
Mieux qu’une stratégie nationale ?
« En théorie oui. Dans la pratique par contre… », souligne Hélène Rossinot. « On peut renforcer les régions les plus à risques, à condition d’abord de couvrir également l’ensemble du territoire. La localisation de certains vaccins doit être un bonus appliqué à une stratégie nationale, et non le fer de lance de la campagne de vaccination. »
La raison d’une telle indication ? L’épidémie est particulièrement imprévisible, « et des régions peuvent changer de tendance en une semaine », s’inquiète l’experte. En grossissant le trait, rien n’indique que mardi prochain, ce n’est pas l’Occitanie qui flambera pendant que Nice sera en net recul épidémique. Or, le vaccin n’est pas efficace au moment de la piqûre, mais il existe un délai d’environ deux semaines pour la montée des anticorps. Deux semaines laissant tout le temps à l’épidémie de frapper ailleurs.
« Etant donné qu’on n’arrive pas à prévoir le futur de l’épidémie, il faut vacciner toutes les régions », note Hélène Rossinot. Quant à des doses supplémentaires pour les régions les plus touchées, « pourquoi pas, l’idée est bonne, mais il faut alors être prêt à changer de régions prioritaires très rapidement, et réorganiser la vaccination là où l’épidémie reprend », appuie la médecin. Ce qui demanderait une logistique majeure et complexe, de quoi inciter là aussi à prioriser avant tout une vaccination nationale.