Journée des migrants : Il a fallu leur expliquer « qu’un couvre-feu n’est pas forcément militaire »… Comment un centre pour réfugiés a traversé la crise
REPORTAGE•« 20 Minutes » a poussé la porte du centre provisoire d’hébergement pour réfugiés du Groupe SOS, en Essonne, où la santé psychique des 104 personnes hébergées fait l’objet d’une attention démultipliéeOihana Gabriel
L'essentiel
- A l’occasion de la Journée internationale des migrants, ce vendredi, 20 Minutes a rencontré les travailleurs sociaux et les résidents d’un centre d’hébergement pour réfugiés, pour savoir comment ils ont traversé ces derniers mois.
- Comment rester confiné et éviter la contagion quand on vit à trois dans une chambre de quelques mètres carrés ? C’est le pari qu’a relevé le centre provisoire d’hébergement du Groupe SOS, qui héberge pour neuf mois des réfugiés en Essonne.
- Les confinements ont réveillé les angoisses enfouies d’une population aux besoins d’accompagnement psychique déjà énormes. Voilà pourquoi l’équipe de ce centre espère voir aboutir son projet de créer un centre d’accompagnement psycho-social pour les exilés.
«Tu veux accrocher les boules et le cœur sur le sapin ? » Ce jeudi matin, au centre provisoire d’hébergement (CPH) pour réfugiés du Groupe SOS, à Paray-Vieille-Poste (Essonne), Stéphanie et sa fille de 2 ans, ainsi que trois salariées, décorent l’arbre de Noël. Une étoile qui penche, le sapin qui tombe, un bonnet de Mère Noël trop grand pour l’enfant, mais des masques qui cachent les sourires : ce moment de convivialité, avec musique de Noël et yeux pétillants, fait oublier les durs mois de crise sanitaire.
Dans ce centre, quatre associations logent environ 350 personnes. Pour le Groupe SOS, 104 réfugiés, principalement des hommes venus du Soudan, d’Erythrée, d’Afghanistan et de Somalie, sont hébergés en moyenne 15 à 17 mois dans des chambres de trois personnes. Autant dire que lorsque la France est entrée en confinement, la sidération a pris d’assaut le centre. « C’était difficile parce qu’on ne pouvait pas se déplacer, voir nos amis et on avait peur du Covid », avoue Huruy, réfugié venu d’Erythrée. « Certains faisaient une attestation par heure, d’autres ne sortaient pas du tout et avaient l’impression d’être mis en danger par leur camarade. Il a fallu accompagner les inquiétudes et les tensions », explique Sami Souid, directeur du CPH.
Dépistage massif et chambre d’isolement
Très vite, l’équipe s’est organisée. Le Groupe SOS, qui compte des médecins, a mis en place une cellule de crise, définit un protocole pour tous les centres d’hébergement, s’est procuré des masques… Et quand, en juin, une grande opération de dépistage a été organisée, les médecins de l’ARS se sont installés dans la salle de cours de français pour réaliser des PCR à la chaîne. Bilan : le centre n’a déploré que deux malades, un lors du premier confinement, un lors du second. Mais les affiches avec le rappel des gestes barrières, pictogrammes à l’appui, couvrent encore les couloirs. Trois bureaux de ce CPH ont été transformés en chambre d’isolement lors du premier confinement, un seul lors du second. « Ne vous inquiétez pas, tout est désinfecté », rassure Sami Souid en montrant à quoi ressemble la chambre. Depuis mars, les services de ménage passent quotidiennement.
La crise sanitaire a apporté des changements inattendus. « En mai, deux résidents travaillaient comme auto-entrepreneur pour livrer des repas. Aujourd’hui ils sont entre dix et quinze », remarque Julie Boutet, cheffe de service du CPH. « Le matin, le parking est rempli de vélos et scooters », complète Sami Souid. Au point qu’un garage pour deux-roues va bientôt ouvrir…
« Leur expliquer qu’un couvre-feu n’est pas forcément militaire »
Mais cette période, extraordinairement anxiogène et solitaire, a aussi réveillé des angoisses. « Un homme venait d’obtenir un logement durable, pour lui seul. Mais quand le confinement a été annoncé, effrayé, il a refusé, raconte la cheffe de service. Il disait "je veux rester ici, avec vous !" » Pour des personnes qui ont fui parfois un coup d’État, subi la prison, la torture, l’exil, entendre à la télévision un président dire « nous sommes en guerre » rime avec incompréhension, ou pire traumatisme. « Il a fallu leur expliquer, avec des mots simples, en quoi c’était une guerre différente de celle qu’ils ont pu connaître, qu’un couvre-feu n’est pas forcément militaire », synthétise Sami Souid.
En moyenne, ces personnes mettent trois ans pour arriver en France. Un parcours souvent ponctué de violences, de deuils, de stress, de camps sans eau ni électricité. « Des violences qui peuvent venir des policiers italiens, mais aussi des institutions françaises, vous en avez entendu parler avec la manifestation à Bastille », soupire le directeur. Ajouter à cela deux ans et demi entre le moment où elles posent le pied en France et celui où elles posent leurs affaires dans un centre d’hébergement. « Obtenir des papiers et un toit, c’est un immense soulagement », résume Julie Boutet. « Mais une fois la pression de l’insécurité disparue, il n’est pas rare qu’ils décompensent [que leur état de santé se dégrade brutalement], physiquement et psychiquement, renchérit Sami Souid. Le confinement a créé des souffrances psychologiques dans l’ensemble de la population. Mais là, on parle d’un public qui vit au préalable avec des troubles psychiques importants. Cela fait longtemps qu’on insiste sur ces besoins pour les migrants. Aujourd’hui et demain, ce sera dix fois plus important. » Voilà pourquoi les salariés du centre se montrent particulièrement vigilants sur la santé psychique des résidents. « Mais nous ne sommes pas médecins », souffle Julie Boutet. Et ils n’ont pas le temps d’attendre qu’un psychiatre reçoive dans six mois un réfugié qui traverse un délire de persécution…
Accompagner les séquelles psy du parcours et du confinement
Depuis juin 2019, une psychologue vient une demi-journée par semaine au CPH. Début novembre, un groupe de travail a réuni cette psychologue, anglophone, six exilés et une salariée. Le sujet ? « Comment avez-vous vécu le confinement ? » A la demande des résidents, le rendez-vous est depuis devenu régulier, alors que parler avec une psy ne va pas de soi pour beaucoup de ces réfugiés. « Le mot psychologue n’est pas traduit dans toutes les langues, notamment en pachtou et en dari, langues parlées en Afghanistan. Les troubles psychiques sont parfois traités par la sorcellerie ou associés forcément à la folie », reprend Sami Souid. Sans parler de la barrière de la langue, car exprimer ses sentiments, raconter ses cauchemars quand on ne maîtrise par bien le français est un frein supplémentaire. Voilà pourquoi la psychologue accepte l’aide de traducteurs, formés à la santé psychique. « Et elle apprend à l’arabe ! », se réjouit Sami Souid.
Ce dernier souhaite aller plus loin. « Une demi-heure par semaine, c’est du bricolage ! », regrette-t-il. Depuis trois ans, le Groupe SOS et l’association Le Chêne et l’Ibiscus, avec l’appui notamment de deux fondations et de la direction départementale de la cohésion sociale en Essonne, travaillent sur un projet pour proposer un centre d’accompagnement psycho-social pour les exilés (Capse). Il accompagnerait tous les migrants, même ceux déboutés du droit d’asile, formerait les professionnels et servirait de lieu ressource pour toutes les associations qui s’occupent des migrants. En attendant de boucler le financement et de trouver un lieu, la première phase sera lancée en janvier 2021, avec des équipes mobiles de psy polyglottes qui se déplaceront dans les centres d’hébergement de l’Essonne. Une première réponse pour un besoin urgent. « Mais je suis toujours impressionnée par la résilience de ces migrants », salue Julie Boutet. Un modèle, peut-être, pour les Français qui ont découvert ce mot cette année.