EPIDEMIELa campagne de vaccination contre le Covid-19, un défi logistique inédit

Coronavirus : La campagne de vaccination, un défi logistique inédit

EPIDEMIEAlors que le calendrier et les modalités pratiques se précisent depuis les annonces du gouvernement ce jeudi soir sur la campagne de vaccination, les questions de logistique s’annoncent complexes
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Deux laboratoires ont déposé en début de semaine une autorisation de vente pour leurs vaccins en Europe.
  • Avant même le feu vert de la Commission européenne, laboratoires, chaîne du froid et aviation s’organisent pour répondre présent dès que la campagne pourra débuter.
  • Acheminer vite, partout et en grande quantité les doses ne sera pas une mince affaire.

La vaccination contre le Covid-19, saison 2. Le premier volet, celui de la recherche, n’est pas encore terminé, étant donné qu’aucun vaccin n’a pour l’heure obtenu de feu vert de la Commission européenne, préalable au lancement de la campagne en France. Lundi dernier, le laboratoire américain Moderna a demandé à l’Europe une autorisation de mise sur le marché, suivi le lendemain par l’alliance américano-germanique Pfizer-BioNTech.

Mais le gouvernement français imagine d’ores et déjà pouvoir vacciner les seniors dans les Ehpad contre le coronavirus dès janvier 2021. D’où un nouveau challenge qui se profile, et pas le plus simple : « un défi logistique immense, au-delà de ce que notre pays a pu connaître », a prévenu Olivier Véran ce jeudi soir, lors de la présentation de la campagne sur la vaccination. L’équation est triple : non seulement il va falloir transporter énormément de doses, puisque l’échelle est mondiale, mais aussi le faire rapidement. Et avec des contraintes rares : le vaccin de Pfizer-BioNTech se conserve à – 70 °C (plus ou moins 10 °C), celui de Moderna à – 20 °C. Une fois les doses produites, encore faudra-t-il les acheminer dans tous les départements de France. Laboratoires, chaîne du froid et aviation, entre autres, anticipent déjà pour réagir au plus vite et le plus efficacement possible lors du top départ.

Où seront produits et entreposés les vaccins ?

« Dès que les autorisations seront obtenues, les entreprises se mettront en ordre de marche pour livrer dans les points de livraison décidés », a précisé ce jeudi Agnès Pannier-Runacher, ministre chargée de l’Industrie.

Pfizer a confirmé à 20 Minutes que « l’approvisionnement de la France sera assuré par (le) site de production de Puurs, en Belgique ». Mi-novembre, l’entreprise de sous-traitance pharmaceutique française Delpharm, basée à Saint-Rémy-sur-Avre (Centre-Val-de-Loire), annonçait qu’elle se chargerait de la mise en forme de ce vaccin. En clair, mettre dans des flacons le produit, les contrôler et les réfrigérer. Avant de les acheminer vers les pharmacies sur l’ensemble du territoire. « Nous utiliserons les modes de transport routier pour la France hexagonale et aérien pour les DOM-TOM via nos principaux partenaires transporteurs, qui sont Fedex et DHL dans l’Union européenne, nous détaille Pfizer. La distribution se fera auprès de 130 sites [un chiffre non confirmé ce jeudi soir lors de la présentation] désignés par l’Etat français. »

Pour faciliter et sécuriser ce transport et ce stockage à -70 °C, Pfizer a conçu un contenant thermique spécifique, à température contrôlée, utilisant de la neige carbonique. « Le niveau de température pendant le stockage a un effet sur la durée de conservation des vaccins, explique le groupe américain. Ainsi, lorsque chaque site de vaccination recevra les lots dans leurs contenants thermiques, il aura trois options de stockage. Si un congélateur à très basse température est disponible, le vaccin pourra être stocké pendant six mois. Dans le cas contraire, le contenant thermique dans lequel le vaccin a été transporté pourra servir de stockage et être rechargé avec de la neige carbonique pendant quinze jours maximum. Enfin, le vaccin peut être conservé en dehors de son contenant, dans un réfrigérateur ordinaire de 2 à 8 °C, pendant cinq jours. »

Pour éviter les pénuries sur le territoire français, « nous utiliserons des capteurs équipés de GPS dans chaque transporteur thermique, avec une tour de contrôle qui suivra la localisation et la température de chaque expédition de vaccins sur leurs itinéraires prédéfinis. Ces dispositifs GPS permettront à Pfizer de prévenir de manière proactive les écarts indésirables et d’agir avant qu’ils ne se produisent. »

De son côté, Moderna a signé un accord avec le groupe Lonza, géant de la sous-traitance pharmaceutique, pour fabriquer jusqu’à un milliard de doses par an. Si Lonza, en Suisse, est chargé de la synthèse de la molécule, c’est en France que la mise sous flacon sera réalisée. En effet, Moderna devrait passer un accord courant décembre avec le laboratoire de sous-traitance pharmaceutique suédois Recipharm pour conditionner son vaccin contre le Covid-19 à Monts (Indre-et-Loire).

Le transport routier s’organise

C’est donc surtout via la route que les vaccins seront transportés jusqu’aux usines de conditionnement, puis vers les 10.000 Ehpads français lors de la première étape. « Tout cela nécessite d’avoir une organisation spécifique, avoir des congélateurs, des seringues, des protections », a souligné Olivier Véran. Qui a précisé qu’il y aurait deux circuits de distribution : un principal, qui s’appuiera sur les acteurs habitués au transport de ces produits. Un second, qui reposera sur une centaine d’hôpitaux. « Dans la deuxième moitié du mois de décembre, ce circuit sera testé à blanc », a repris le ministre de la Santé.

Pour les entreprises de camions frigorifiques, il s’agit donc d’un immense challenge. En plus de cadences élevées pour arriver au plus vite dans les Ehpad, où les décès pour cause de Covid sont encore très élevés, la question de la température reste complexe. En effet, la plupart des remorques frigorifiques conservent les produits à – 20 °C, une température optimale pour le vaccin de Moderna, mais insuffisant pour celui de Pfizer-BioNTech. Soit les containers prévus pour le transport par Pfizer seront suffisants, soit il faudra produire une grande quantité de neige carbonique.

Interrogé par France Inter, Gérald Cavalier, président du Groupe Tecnea-Cemafroid et de l' Association française du froid, reconnaît que les prochaines semaines s’annoncent tendues. « Les technologies existent, on sait faire, mais aujourd’hui pour de plus petites quantités, explique-t-il à nos confrères. Il n’existe pas de logistique du quotidien, à grande échelle. Il faudra construire quelque chose, une chaîne du froid spécifique et adaptée car les volumes, pour l’instant, sont totalement inconnus ».

Air France mobilisé

L’aviation ne sera pas en reste. Face à la chute vertigineuse des vols touristiques, Air France KLM, habitué depuis trente ans à transporter ce type de marchandises délicates, se tient prêt à mobiliser les appareils cloués au sol pour participer à la bataille de la vaccination. Si, pour Moderna et Pfizer/BioNTech, le transport vers la France se ferait par la route, on ne sait pas encore d’où viendraient les autres vaccins s’ils obtiennent un laissez-passer de l’Europe.

Par ailleurs, « il va falloir les transporte vers les Dom-Tom, d’ailleurs le lien aérien a été utilisé pour les masques, nous précise un porte-parole d’Air France-KLM. Et il ne faut pas oublier qu’en Afrique, il n’y a pas d’unité de production de ces vaccins. On a déjà transporté des vaccins Covid en phase 3 d’un essai clinique entre la Chine et le Chili. On a besoin de ce type de lien, rapide et qui respecte les contraintes de température, étant donné que la campagne de vaccination va être mondiale. »

Justement, comment ces avions pourront-ils éviter les changements de température ? « On possède des conteneurs spécifiques de deux types, l’un qui permet le transport jusqu’à – 20 °C, et l’autre jusqu’à – 70 °C », reprend le porte-parole du groupe. Qui précise qu’Air France-KLM possède en tout 6 cargos (des avions qui ne transportent pas de passager) pouvant acheminer jusqu’à 1 million de doses et 175 longs courriers où on peut charger 400.000 doses en soute.