Coronavirus : Le ras-le-bol des infirmières scolaires, qui n’ont plus les moyens d’accompagner les jeunes en difficulté
ALERTE•Ce jeudi, le syndicat des infirmières scolaires organisait une mobilisation virtuelle pour alerter, car leurs nouvelles tâches se font au détriment des missions indispensables auprès d’une jeunesse en difficultéOihana Gabriel
L'essentiel
- Les infirmières scolaires alertent depuis des années sur leur manque de moyens et d’effectifs.
- Avec la crise sanitaire, elles sont surchargées par de nouvelles tâches, le contact tracing et le dépistage notamment.
- Pourtant, les enfants et les adolescents ont plus que jamais besoin de leur écoute et de leurs soins pour gérer des difficultés tant physiques que psychiques.
C’est une profession dont on parle peu. Et qui, pourtant, fait partie des soignants en première ligne dans la lutte contre l’épidémie de coronavirus. Ce jeudi, le Syndicat national des infirmier.e.s conseiller.e.s de santé (Snics-FSU) organisait une mobilisation nationale et un congrès extraordinaire (à distance bien sûr).
Le but : demander au ministère de l’Education nationale (avec une lettre ouverte) d’entendre leurs revendications. Et d’alerter la presse sur les conditions de travail des infirmières scolaires, dégradées par l’épidémie et les décisions gouvernementales. Et ce alors que les besoins des élèves comme des étudiants, eux, sont criants.
Le Covid-19 au détriment du reste
On compte actuellement 7.703 infirmières scolaires pour 12,4 millions d’élèves. Quant aux médecins scolaires, c’est une espèce en voie de disparition : moins de 800 exerçaient cette profession en cette rentrée 2020. La pénurie de soignants serait donc difficile à nier. Depuis des années, les infirmières scolaires tirent la sonnette d’alarme sur le manque de moyens et d’effectifs. Et depuis quelques mois, l’épidémie a accru un peu plus leurs tâches et leurs responsabilités. Tout tourne désormais autour du Covid-19. Depuis la rentrée, les infirmières scolaires sont chargées d’expliquer les gestes barrières et de réaliser le contact tracing quand un élève est infecté. « La charge de travail devient intenable, prévient Saphia Guereschi, secrétaire générale du Snics-FSU. On a des collègues en burn-out, qui démissionnent, beaucoup cherchent à sortir de l’Education nationale… »
Alors quand le 6 novembre, ces professionnels de la santé scolaire découvrent qu’ils seront en plus sollicités pour réaliser les tests antigéniques dans les établissements, c’est la goutte de trop. Le 10 novembre, ils décident d’organiser cette journée de mobilisation virtuelle, ce jeudi, qui aurait mobilisé autour de 900 infirmières.
« C’est normal d’être sollicité en tant que professionnel de santé, mais les moyens ne nous sont pas donnés pour faire face à cette crise, explique la secrétaire générale du syndicat. On a la certitude que d’autres professionnels seraient disponibles et disposés à les réaliser, notamment des infirmières libérales. » Le Snics-FSU suggère également, dans une lettre à Jean-Michel Blanquer, d’installer des espaces de dépistage proches des établissements. Précision de taille : ces infirmières scolaires sont sollicitées sur la base du volontariat. En cas de manque de bras, il est prévu que des secouristes et des sapeurs-pompiers viennent leur prêter main-forte.
Colère et incompréhension
Ce qui agace notamment ces soignants, c’est de devoir tester en priorité les personnels de l’Education nationale, du public comme du privé, alors que leur mission première reste de prendre soin des élèves. « Les endroits pour faire les tests antigéniques se sont multipliés, il n’y a pas de problème d’accès », souligne Marie-France Maghdad, secrétaire académique à Besançon. Depuis début novembre, les personnes symptomatiques et asymptomatiques peuvent réaliser un test antigénique (sans ordonnance et remboursé) en pharmacie. « Les personnels de la santé scolaire n’ont pas à pallier le manque de moyens de la médecine du travail de l’Education nationale, critique Carla Dugault, co-présidente de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), invitée à ce congrès. Ce sont les élèves et leurs familles qui en font les frais. »
Le syndicat rappelle que ces infirmières scolaires sont parfois une porte d’entrée vers les soins… voire le seul interlocuteur disponible. « On a constaté en septembre que certains élèves ont vécu une rupture dans leur parcours de soin depuis mars, illustre Mélanie Dhaussy, infirmière scolaire au Havre. Chez nous, un élève diabétique avait interrompu son traitement. » Sans parler des délais d’attente, quand certains enfants doivent patienter six mois pour obtenir un rendez-vous chez l’ophtalmologiste ou le pédopsychiatre dans certaines régions.
Le manque d’écoute du terrain, l’incohérence des décisions et le danger du glissement de tâches reviennent sur toutes les lèvres. « Chaque décision prise par le ministère de l’Education est médiatisée avant même d’en informer les personnels, tempête Sandy Cariat, infirmière scolaire à Montpellier. Avec en ligne de mire une troisième vague possible et la vaccination. Combien de temps va-t-on encore nier notre rôle ? » Ces infirmières n’ont pas bénéficié du coup de pouce accordé par le Ségur de la santé aux paramédicaux des hôpitaux publics et privés. Rares sont celles qui ont touché la prime Covid. Et elles attendent peu du Grenelle de l'Education. « On voit que dans le Grenelle, il n’y a pas grand-chose pour les enseignants et rien pour les non enseignants », regrette Benoît Teste, secrétaire général de la Fédération syndicale unitaire (FSU), première fédération de l’enseignement.
Un appui indispensable pour les jeunes
On le sait, la crise sanitaire a accru le malaise psychique de la jeunesse. Sans compter que l ’attentat qui a visé Samuel Paty le 16 octobre a ajouté une couche d’angoisse. « On voit une augmentation des syndromes anxieux liés au décrochage scolaire, des troubles du sommeil, de l’alimentation, les effets de la sédentarité visibles, une addiction aux écrans, liste Mélanie Dhaussy, infirmière scolaire au Havre. Les jeunes n’ont plus de possibilité de se socialiser en dehors des réseaux sociaux, c’est la catastrophe pour leur bien-être ! » Une urgence partagée par Mathieu Devlaminck, président de l’ Union nationale lycéenne (UNL) : « on n’a même pas accès à une infirmière dans chaque établissement, c’est très difficile dans cette période où le mal-être s’accentue. »
« Il est grand temps qu’on reconnaisse que les élèves ont besoin d’être entendus et écoutés, reprend Saphia Guereschi. Depuis des semaines, d’autres professionnels interpellent l’opinion publique sur leurs difficultés psychiques. Nous voulons interpeller notre ministre pour pouvoir nous recentrer sur ce qui fait le cœur de notre profession : la réponse aux besoins individuels des élèves et étudiants librement exprimés dans les infirmeries. » Voilà pourquoi le syndicat demande le triplement du nombre d’infirmières scolaires. Et Mélanie Dhaussy de conclure : « Si nous ne sommes pas dans les infirmeries, mais dans des gymnases à faire des tests, qui va accueillir ces élèves ? »