Confinement à Toulouse : « Au téléphone, les jeunes nous font part de leur énorme sentiment de solitude »
REPORTAGE•Réactivée pour ce second confinement, la cellule d’urgence médico-psychologique du CHU de Toulouse a de plus en plus de coups de fil de jeunes de moins de 25 ans, déprimésBéatrice Colin
L'essentiel
- En fin de semaine dernière, le ministre de la Santé indiquait que « l’impact psychologique du confinement est réel ».
- Depuis le reconfinement, la cellule d’urgence médico-psychologique du CHU de Toulouse dédiée à la crise sanitaire a été réactivée.
- Les écoutants ont lors de cette seconde vague énormément d’appels de jeunes, victimes d’un stress post-traumatique dû, notamment, à l’isolement.
«J’ai un étudiant chinois qui m’appelle chaque semaine et je suis peut-être le seul à qui il parle de la semaine. Il est arrivé en septembre dans le cadre de son cursus. Tous ses cours sont en distanciel et il ne voit personne », raconte Nicolas de Schryver. Ce psychanalyste est l’un des répondants de la cellule d’urgence médico-psychologique du CHU de Toulouse dédiée à la crise sanitaire (05.34.39.33.47).
Selon lui, le cas de ce jeune Chinois est loin d’être isolé. « Chez les jeunes, qui ont cours huit heures par jour derrière leur écran sans interaction sociale, il y a un énorme sentiment de solitude », relève-t-il. Mise en place lors du premier confinement, ce numéro d’appel gratuit a été réactivé avec la seconde vague, face aux besoins importants de la population. Le Crous de Toulouse, qui travaille avec l’association Prism pour le suivi pyschologique des étudiants, a dû aussi augmenter le nombre de permanences, que soit dans les résidence universitaire, ou par téléphone.
« L’impact psychologique du confinement est réel », expliquait en fin de semaine dernière, Olivier Véran, abordant la face cachée du coronavirus, celle « dont on parle peu mais qui concerne directement beaucoup de Français ». Dans le petit box réservé à leur attention juste à côté du centre d’appels du SAMU de Toulouse, les spécialistes de la santé mentale ne le savent que trop bien.
« Au printemps, nous avions été confrontés à des décompensations psychiatriques dures car lors de la première vague, tout s’est arrêté, y compris les suivis de patients atteints de troubles psychiatriques. Ce qui n’est pas le cas cette fois-ci. La, nous recevons beaucoup d’appels d’adolescents et de jeunes adultes en perte de repères, ayant des troubles du comportement alimentaire de type anorexie-boulimie. Il y a des personnes très isolées pour qui le lycée ou l’université sont quelque chose de très structurant », souligne Vincent Bounes, le patron du SAMU 31.
Une primo-consultation
En deuxième ligne, les psys apparaissent aujourd’hui un peu comme les filets de sécurité de cette crise sanitaire, ceux qui durant les mois à venir vont gérer ses conséquences au long cours. Chaque jour, ils reçoivent entre dix à quinze appels, souvent d’une durée de 40 à 50 minutes, en forme de primo-consultation avant d’orienter les patients vers les structures adaptées.
« On a des appels de commerçants et d’artisans que nous n’avions pas avant la crise et qui sont confrontés à des difficultés économiques. Et puis beaucoup, beaucoup d’appels de jeunes. Ils ont été beaucoup décriés, mais ils se retrouvent avec des peurs et des angoisses, sans possibilité d’avoir de perspectives et parfois à cela s’ajoutent des difficultés financières », pose le psychanalyste qui déplore que les universités n’accueillent plus vraiment physiquement leurs étudiants. Parfois, le confinement est aussi le révélateur de problèmes plus enfouis, qui joue le rôle de révélateur.
De nouvelles addictions
Ce stress post-traumatique né de la crise se traduit par des troubles du sommeil, de nouvelles addictions, au tabac, à l’alcool ou aux psychotropes de toutes natures. Un dérivatif pour ces étudiants enfermés presque H24 dans leur chambre et studios universitaires, pour qui « il n’est pas facile d’avoir 20 ans en 2020 » ne se résume pas à un axiome présidentiel. Par contre, ce que les professionnels de la santé mentale attendent aujourd’hui d’Emmanuel Macron, c’est qu’il « pose les jalons ». « Qu’il soit clair, qu’il donne de l’espoir pour que les gens se projettent et qu’il ne les laisse pas dans l’incertitude, ce qui provoque un stress élevé », relève Nicolas de Schryver.
Comme tous ses collègues, ce dernier s’attend à subir une troisième vague, plus longue et insidieuse, qui sera clairement celle du stress post-traumatique. « Il ne faut pas se leurrer on va rester dans un marasme à bas bruit pendant des mois. Ce ne sera pas une grosse vague, ça va être des gens pas bien tout le temps. Les conséquences, ce n’est pas tellement pendant les crises, le stress post-traumatique, ça va arriver dans les mois et années qui suivent, on le voit dans les pays en guerre. Il y a des signes comme les troubles du sommeil ou le fait de ne plus vouloir sortir, des personnes agoraphobes », conclut le patron du SAMU, qui n’est pas près de voir sa cellule d’écoute raccrocher.