REPORTAGEA la résidence de l’Abbaye, en Ephad, on s’adapte au nouveau protocole

Coronavirus : « Certains résidents ont peur qu’on reparte en arrière »… Les nouvelles mesures en Ehpad ravivent les inquiétudes

REPORTAGEDe nouvelles mesures plus strictes sont appliquées depuis cette semaine dans cette résidence pour seniors du Val-de-Marne
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Alors que les contaminations au Covid-19 augmentent, notamment en Ile-de-France, l’Agence régionale de santé a dévoilé un nouveau protocole le 17 août pour les Ehpad.
  • A la résidence de l’Abbaye, dans le Val-de-Marne, on s’adapte à ces nouvelles contraintes avec des visites plus encadrées et moins d’activités.
  • Mais résidents comme soignants espèrent éviter un isolement ou un confinement après des mois compliqués.

Beaucoup de Français, en scrutant les chiffres ascendants des cas de Covid-19, s’interrogent sur cette rentrée riche en incertitudes. En particulier dans les Ehpad, où vivent en collectivité les plus vulnérables et où résidents et soignants ont traversé trois mois de confinement strict entre la mi-mars et la mi-juin.

A la résidence de l’Abbaye, un Ehpad public du groupe ABCD à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), le Covid est dans toutes les têtes alors que de nouvelles mesures, dévoilées par l’Agence régionale de santé de l’Ile-de-France, viennent d’être mises en place.

La résidence pour séniors de l'Abbaye accueille 209 personnes.
La résidence pour séniors de l'Abbaye accueille 209 personnes.  - O. Gabriel / 20 Minutes

Un nouveau protocole

En effet, depuis le nouveau protocole annoncé le 17 août, les Ehpad ont redoublé de vigilance (et de contraintes). Les vacances en famille sont désormais fortement déconseillées. Et celles et ceux qui rentrent d’un séjour familial doivent réaliser un test PCR, rester isolé sept jours s’il est négatif et quatorze s’il revient positif. Quant aux visites, elles sont possibles à certaines conditions. Lavage de mains au savon, puis gel hydroalcoolique, masque obligatoire, prise de température, inscription sur la feuille de visite…

Les familles doivent également prendre rendez-vous pour partager un petit moment en compagnie de leur proche. Et désormais, les rencontres se déroulent en plein air, avec une limite de trois personnes et une durée maximale d’une demi-heure. « C’est un peu mal vécu, certains résidents ont peur qu’on reparte en arrière, se désole Olivia Delaunay, aide-soignante. Et c’est compliqué pour certaines familles, ces nouvelles contraintes. Il faut protéger ses parents, mais on a besoin de se voir, de se parler… » Eternel dilemme auquel sont confrontées nombre de familles.

« J’avoue qu’aller à la loterie, ça ne m’intéresse pas vraiment »

Dans ce grand Ehpad où vivent 209 résidents, entouré de verdure, le restaurant détient une terrasse avec quelques parasols. Car les entrevues doivent se faire, on l’a dit, en extérieur, Covid oblige, mais également à l’ombre pour éviter la déshydratation… « Avant, il fallait rester cloîtré dans sa chambre. Là avec le nouveau protocole, c’est tout l’inverse, on fait tout sur la terrasse !, ironise Renée Planchet, 88 ans et les cheveux aux reflets rosés. Pour le moment, ça va, il fait beau, mais comment on va faire le jour où il pleut ? » Toutes les activités doivent également se dérouler dehors. « De quatre activités par après-midi, on est passé à deux », précise Antonie Wai-Man, infirmière. « Et l’atelier informatique ? », s’enquiert Jean-Pierre Sagette, un résident de 72 ans en fauteuil roulant. Pas pour le moment… « J’avoue qu’aller à la loterie, ça ne m’intéresse pas vraiment », souffle Renée Planchet.

Renée, résidente de cet Ehpad du Val-de-Marne.
Renée, résidente de cet Ehpad du Val-de-Marne.  - O. Gabriel / 20 Minutes

« On doit s’adapter aux nouvelles règles qui évoluent sans arrêt », explique l’infirmière. Ce qui n’a pas changé depuis mars, c’est le masque partout et tout le temps pour les soignants. Défi de taille quand on travaille en Ehpad… « Avec le masque, on n’est parfois ni entendu, ni reconnu, soupire Olivia Delaunay. Déjà qu’en temps normal, il y a des barrières, mais là, on ne peut pas mettre en place un autre lien par le toucher, le sourire… »

Un lieu de vie devenu prison

Tous espèrent que le confinement est désormais derrière eux. « Cela a été très dur pour eux, pour nous, ce lieu de vie était devenu désert, une prison même », se remémore Antonie Wai-Man. « Heureusement qu’il n’y a pas de barreaux aux fenêtres ! », ironise Jean-Pierre Sagette, qui souffre d’une sclérose en plaques. En effet, pendant ces mois de confinement, ni l’esthéticienne, ni les coiffeuses, ni les kinés, ni les animateurs sportifs ou culturels n’ont pu proposer aux résidents une bouffée d’oxygène ou un moment de bien-être.

Mais cette période a aussi été marquée par un élan de solidarité. « D’autres salariés de l’entreprise nous ont aidés. Par exemple, l’exthéticienne apportait des plateaux-repas », renchérit Olivia Delaunay. Car pendant le confinement, tous les résidents restaient isolés dans leur chambre. Il fallait donc leur apporter leur repas, installer Skype sur la tablette, pour qu’ils puissent faire un coucou de loin, redoubler de vigilance, de disponibilité pour soulager leur angoisse.

Téléphone et écriture

Un sentiment qui semble avoir épargné Jean-Pierre Sagette et Renée Planchet, deux résidents qui n’ont pas perdu leur regard pétillant. « A l’armée, on apprend à être cloîtré, explique Jean-Pierre, l’air bonhomme. C’est vrai que c’était important le téléphone, pour parler avec mes enfants. » Ce qui a beaucoup aidé Renée, c’est l’écriture. Voyant l’arrêt brutal de toutes les activités, cette grand-mère malicieuse s’est accrochée à son stylo pour écrire à des élèves de 6e avec qui elle devait monter un projet théâtre, à ses proches, mais aussi aux résidents avec qui elle mangeait habituellement.

Depuis juin, les résidents ont pu recevoir en chair et en os leurs proches. Mais aussi retrouver la retoucherie, le restaurant collectif, les goûters gourmands et autres animations. « Heureusement, les résidents étaient au bout du rouleau, assure l’infirmière, qui précise que 22 d’entre eux sont décédés. On voyait beaucoup de syndromes de glissement, c’est-à-dire des personnes qui ne voulaient plus manger, qui avaient besoin de nourriture affective. » « On a beau faire le maximum, on ne remplace pas la famille, souffle sa collègue aide-soignante. On ne savait plus, au bout d’un moment, si le confinement n’avait pas des effets plus délétères, car certains mouraient non pas du Covid, mais de chagrin. »

Un risque de retour à l’isolement ?

Et si ce nouveau protocole ne suffisait pas ? Olivier Véran a prévenu il y a une semaine qu’il n’y aurait pas de confinement généralisé en Ehpad, n’excluant pas des mesures ponctuelles d’isolement. Piste confirmée ce jeudi par le Premier ministre, Jean Castex. « Ce qu’on appréhende, ce n’est pas le côté matériel, on connaît les protocoles, on a les protections nécessaires, on sait qu’on a réussi à limiter les dégâts pendant la première vague, explique Olivia Delaunay. Mais on n’aura pas de renfort humain. » « C’est vraiment cela qui manque », renchérit Jean-Pierre. « Cela risque d’être très compliqué de s’occuper correctement de nos résidents, on aimerait faire plus et mieux, mais on nous met en échec. Déjà que toute l’année, on tire sur la corde, mais dans ce contexte de Covid… » Une préoccupation partagée par bien des Ehpad. Dans un communiqué ce jeudi, l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) « appelle au maintien des gestes barrières et à multiplier les dépistages, mais rappelle que l’Etat doit surtout agir sur le nombre de professionnels auprès des personnes âgées, en établissement comme à domicile, puisque tous les rapports confirment leur manque criant. »

La perspective d’un retour à l’isolement ne réjouit pas non plus les résidents. « Ce serait embêtant si ça recommençait, c’était long et iI nous manquait tout de même du contact humain, le fait de discuter avec un voisin dans le couloir », reconnaît Jean-Pierre Sagette. « Je l’accepterais, parce qu’on est fragile et que je sais que je peux vivre avec mes ressources intérieures, philosophe Renée Planchet. Mais je sais que d’autres résidents risqueraient d’en souffrir, selon leur état de santé physique et mental. Bien sûr, on a moins de liberté, mais c’est un choix de survie. » Une leçon de sagesse.