Coronavirus : Pour l’ex-dirigeant de Santé publique France, les décideurs n'ont pas assez cru à la protection des masques
EPIDEMIE•Un rapport préconisait déjà en août 2018 de prévoir une boîte de 50 masques par foyer comprenant une personne malade, soit 20 millions de foyers20 Minutes avec AFP
Interrogé à l'Assemblée nationale, l’ancien patron de Santé publique France, a regretté le manque de stocks en masques de la France au moment de la crise sanitaire. François Bourdillon estime que de nombreux responsables sanitaires ne croyaient pas en leur efficacité pour le grand public.
« Je pense qu’il y avait, dans le processus de décision, toute une série de personnes qui ne croyaient pas réellement à l’utilité des masques en population » générale, a-t-il déclaré devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la gestion de la crise du coronavirus. Cela expliquerait que seuls 100 millions de masques chirurgicaux aient été commandés à l’été 2019 pour reconstituer le stock stratégique d’Etat, qui avait chuté de plus de 700 millions à une centaine de millions après la destruction de stocks en mauvais état.
Consigne transmise en 2018, commande passée en 2019
Un rapport de l’infectiologue Jean-Paul Stahl remis à Santé publique France en août 2018 préconisait pourtant de prévoir 1 milliard de masques : une boîte de 50 masques par foyer comprenant une personne malade, soit 20 millions de foyers en cas d’atteinte de 30 % de la population.
François Bourdillon, directeur général de Santé publique France depuis sa création en avril 2016 et jusqu’en juin 2019, explique avoir transmis, en septembre 2018, cette préconisation au directeur général de la Santé Jérôme Salomon, soulignant que l’état des stocks « ne permet (tait) pas une protection » du pays en cas d’épidémie.
Ce dernier lui a alors donné instruction de commander 100 millions de masques, ce qui a été fait, après lancement d’un appel d’offres, en juillet 2019 : 32 millions ont été livrés courant 2019, le reste étant arrivé en février 2020, alors que l’épidémie de Covid-19 touchait déjà la France.
Du flou sur la protection des Français
Le spécialiste de la santé publique a également expliqué avoir demandé au responsable ministériel une « doctrine claire » sur la destination de ces masques. Si officiellement depuis 2013, hôpitaux et cliniques devaient eux-mêmes déterminer l’opportunité de constituer des stocks de masques pour protéger leur personnel, il n’était pas clair si les stocks stratégiques gérés par Santé publique France devaient couvrir les besoins du grand public ou également ceux des soignants, a-t-il estimé.
Auditionnée ensuite, Geneviève Chêne, qui a pris la direction générale de Santé publique France en novembre 2019, a souligné que lorsque le ministère lui avait demandé de commander 1,1 million de masques FFP2, le 7 février, « il y a à ce moment-là, moins de 10 cas qui sont confirmés en France, on est encore dans une phase très précoce de l’épidémie en France ».
Elle a par ailleurs justifié l’adoption début mars d’un système de surveillance « adapté de celui utilisé pour la grippe », où « on ne compte plus nécessairement tous les cas un par un » et où « il n’est plus nécessaire de diagnostiquer l’ensemble des personnes ». François Bourdillon a toutefois reconnu que l’effort budgétaire réalisé au moment du cyclone Irma en 2017 avait « peut-être impacté ce qui était prévu » pour l’achat de masques et de médicaments antiviraux. La réduction de 20 % des effectifs opérée en quelques années a aussi pu affecter l’efficacité de l’agence, a-t-il ajouté.