INTERVIEW« Sur le foyer de l’abattoir, on n’aurait pas pu réagir plus vite »

Coronavirus : « Sur le foyer de l’abattoir, on n’aurait pas pu réagir plus vite », selon le CHR d’Orléans

INTERVIEWThierry Prazuck, le chef du service infectiologie en charge du suivi du foyer Tradival, à Fleury-les-Aubrais (Loiret), explique comment les équipes ont travaillé depuis la révélation des premiers cas positifs
Julien Laloye

Propos recueillis par Julien Laloye

L'essentiel

  • Un cluster ayant émergé dans un abattoir près d’Orléans permet de juger de l’efficacité de la méthode de traçage des contacts voulue par le gouvernement pour empêcher un reconfinement.
  • Le docteur Thierry Prazuck, chef du service infectiologie du CHR d’Orléans, décrypte pour 20 Minutes la stratégie poursuivie pour juguler le foyer épidémique de Tradival.

De notre envoyé spécial à Orléans

Petit exploit qui réchauffe le cœur après une journée à traîner nos guêtres devant l’abattoir Tradival, au cœur du cyclone​ depuis la découverte d’un foyer de propagation de l’épidémie de Covid-19. Réussir à voler un peu du temps de Thierry Prazuck, le chef du service des maladies infectieuses et tropicales au CHR d’Orléans, pour qu’il nous explique comment se gère l’un des premiers clusters d’envergure post-déconfinement depuis la salle des manettes.

Le temps de patienter, on entend une infirmière décrocher son téléphone et tenter de dresser avec difficulté le portrait d’une famille entière à dépister dans les plus brefs délais. La dame appelée ne comprend pas très bien le français, et il n’y a plus personne d’ISM inteprétariat dans les parages. L’association, qui facilite la compréhension entre les résidents non francophones et les services publics français, un vaste programme, a été sollicitée spécialement dans le cadre du suivi des cas positifs de l’abattoir, où travaille une large main-d’œuvre étrangère. « Un exemple des difficultés auxquelles nous devons faire face dans ce type de cas », reconnaît le docteur Prazuck.

Thierry Prazuck, dans son bureau du CHR d'Orléans.
Thierry Prazuck, dans son bureau du CHR d'Orléans.  - J.Laloye/20minutes

Comment avez-vous pris connaissance d’un foyer d’épidémie dans un abattoir de la région ?

Les premiers cas sont apparus mercredi dernier, mais en réalité, les symptômes avaient commencé avant. Seulement, comme les gens travaillent dans des conditions difficiles, où il fait très froid, ils ont l’habitude d’avoir des rhumes ou des petites infections respiratoires banales. Ils ne s’affolent pas tout de suite. La plupart de ceux que j’ai eus au téléphone n’avaient eu que des symptômes très modérés, alors ils ne s’étaient pas trop inquiétés. Vous avez un cas, bon. Puis un deuxième. Quand vous en avez un troisième, vous commencez à vous poser des questions et à vous dire qu’il y a peut-être quelque chose.

C’est remonté auprès de l’ARS. A partir du moment où on a constaté des cas groupés, il a été question de tester les 82 salariés qui étaient directement en contact dans l’atelier découpe. Là, on a trouvé 22 cas positifs de plus le vendredi, sans aucune hospitalisation pour le moment.

Comment leur prise en charge se déroule-t-elle ?

On a reçu les résultats samedi, on a appelé immédiatement les patients pour leur dire qu’ils étaient Covid +. Le problème, c’est qu’il y a énormément de travailleurs étrangers. Ils ne parlent pas tous le français, Heureusement, j’ai une collaboratrice à l’hôpital qui parle roumain, alors elle en a appelé beaucoup. Certains n’ont pas de couverture sociale, il y a eu quelques faux numéros… Tous ces gens-là, on les a contactés pour qu’ils se fassent prélever dès le dimanche. Parmi eux, il y avait au moins une dizaine de cas positifs, en plus de ceux de l’abattoir.

Comment le travail entre le service infectiologie du CHR et la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) se divise-t-il ?

Nous faisons une première enquête au sein de l’entourage familial des cas positifs, et on les convoque tous pour un prélèvement à l’hôpital. Ensuite, on rentre les données sur le logiciel « Contact covide » de tout l’entourage proche. Et une fois qu’on fait ce travail, la CPAM est censée remonter la filière pour faire une enquête plus large, voir combien il y a d’autres personnes à prélever.

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A J + 5 de la découverte des premiers cas, estimez-vous que le fameux dispositif du « contact-tracing », vendu comme la solution au déconfinement, a bien fonctionné ?

Il faut bien comprendre qu’un tel foyer aussi grand, on n’en a pas eu, c’est assez exceptionnel. Pendant deux mois, on a travaillé sept jours sur sept parce qu’il y avait des cas graves, mais là, on est passé à un autre aspect de la gestion de la maladie.

Sur l’abattoir, je pense qu’aller plus vite que ça en termes opérationnels, avec le week-end au milieu, je ne vois pas comment on aurait pu faire. Les tests ont démarré le vendredi, le centre de prélèvement a été ouvert tout le dimanche, ça ne s’est pas arrêté une seconde. A la rigueur, on aurait pu décider de tester toute l’entreprise plus vite. Mais dans un premier temps, la stratégie fixée par l’ARS était de tester dans l’atelier concerné. On a vite élargi.

Selon vous, existe-il malgré tout un risque de perte de contrôle du foyer épidémique dans les prochaines heures ?

Le traçage des foyers, c’est d’abord une question de ressources humaines qu’il faut nous mettre à disposition. Pour l’instant, on n’en a pas assez. J’ai une secrétaire et une infirmière qui ont travaillé samedi et dimanche de 8h à 19h non-stop, alors qu’elles avaient travaillé toute la semaine, et qu’elles vont travailler toute la semaine d’après. Quand ce coup de feu va retomber, il faudra faire attention à ne pas être trop désarmés.

Pour faire face à un foyer pareil, on a besoin que les personnes soient formées. Or, l’activité de l’hôpital reprend et des gens qui sont très performants, parce qu’ils sont arrivés au début de la crise, retournent dans leur service. Ensuite, il faut aussi que la CPAM fasse sa part de travail. Tout ne dépend pas de nous.

C’est-à-dire ?

Il y a environ 400 personnes qui travaillent dans l’abattoir. Vous multipliez par trois ou quatre si vous comptez les proches, ça fait 1.200 personnes potentiellement positives. Combien d’entre elles vont devoir être confinées, et dans quelles conditions ?

Par exemple, j’ai eu une famille : ils vivent à quatre dans deux pièces et il y en a pour l’instant un seul qui est positif. On ne peut pas le confiner dans une chambre, c’est inhumain. La CPAM doit leur proposer un hôtel. Je ne dis pas qu’ils ne le font pas, mais je n’en sais rien.

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Plus globalement, est-ce que l’apparition de ce foyer vous inquiète, une semaine après la levée du confinement ?

Pas plus que ça. Les salariés qui bossent dans l’abattoir, ce ne sont pas des gens qui sont restés confinés. On avait besoin d’eux pour continuer à se nourrir. Cet épisode-là ne veut pas dire que c’est la conséquence du déconfinement, et c’est par ailleurs trop tôt pour en mesurer les effets. Sur l’hospitalisation, il y a quelques cas, mais ils sont là depuis longtemps. La décrue reste de mise. Cela dit, c’est comme lorsqu’il y a eu la première vague : au départ, on a eu des cas peu graves, et puis petit à petit c’est monté. On ne sait pas.

L’aide précieuse des équipes mobiles du CHR

A l’abattoir Tradival, elles sont trois infirmières à dépister sans discontinuer depuis vendredi dernier. Les dernières forces vives de l’équipe mobile gérée par Anne Gravier, qui a pu monter jusqu‘à 17 personnes au mois d’avril, quand il fallu tester près de 3.000 personnes dans les Ehpads de la région, « grâce au renfort des autres services, des infirmières scolaires, et même des étudiants en école ».

Les équipes mobiles n’interviennent qu’à l’apparition de foyers de plus de 15 personnes. Vendredi, c’est donc Anne Gravier qui a contacté l’entreprise à midi pour lancer un dépistage massif. « On donne les instructions sur le choix du lieu, la désinfection avant et après, les documents nécessaires ». A 15h, les premiers salariés étaient testés. « La coordination a été excellente de la part de tous les acteurs. L’ARS, l’hôpital, les laboratoires qui ont donné les résultats en moins de 24 heures, et même l’entreprise, qui a très vite pris conscience du problème. Ça ne veut pas dire qu’une ou deux personnes ne vont pas passer entre les mailles du filet, mais ça ne devrait pas avoir de conséquences sur la maîtrise de ce foyer d’épidémie ».